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Concurrence : des règles et un arbitre pour imposer les "bonnes pratiques"


Concurrence : des règles et un arbitre pour imposer les "bonnes pratiques"
En moins de 10 ans, ce sera la troisième tentative d’adoption d’une loi encadrant les pratiques commerciales et réglementant la concurrence, en Polynésie française. Nuihau Laurey a annoncé mercredi matin la transmission d’un projet de loi du Pays sur la concurrence simultanément devant le CESC et le Haut Conseil.

Cette loi sur la concurrence était présentée début août par le gouvernement comme un élément clé du plan de redressement économique du Pays. Le texte pourrait être soumis à l’Assemblée de Polynésie française dès novembre prochain.

Inspiré des dispositions métropolitaines, le projet de loi du pays "portant réglementation de la concurrence" porté par Nuihau Laurey repose sur deux piliers.
Il définit d’une part les règles visant à assurer le maintien d'un climat de concurrence. Il comporte d’autre part la mise en place d’une autorité administrative indépendante chargée de la mise en application du droit de la concurrence alors que la création en Polynésie française de cette "Autorité de régulation de la concurrence" est rendue possible par l’article 30-1 de la loi statutaire modifiée en 2011.

"Ce projet de loi satisfait une exigence d’intégration de la Polynésie française dans l’environnement économique international", analyse notre partenaire Globstream à la lecture du projet de loi du Pays sur le droit de la concurrence. "Tous les Etats développés se sont dotés d’un dispositif concurrentiel calqué sur l’un des deux grands modèles, américain ou européen. Dans les collectivités françaises ultramarines, le droit de la concurrence s’inscrit dans le cadre de la lutte contre la vie chère qui est devenue une préoccupation d’ordre public après les émeutes aux Antilles, en 2009. Dans le prolongement de cette crise et des conclusions des états-généraux de l’outre-mer, les travaux menés par l’Autorité de la concurrence ont permis d’identifier des spécificités favorisant la cherté de la vie. Il s’en est suivi un renforcement des dispositions concurrentielles applicable outre-mer avec la loi du 20 novembre 2012 relative à la régulation économie outre-mer, dite « loi Lurel ». Mais la Polynésie française est restée étrangère à ce renforcement en raison de son statut d’autonomie. (…) L’introduction du droit de la concurrence est une condition sine qua non du dépassement du modèle d’économie administrée post-CEP et de l’indispensable processus la reconversion de l’économie polynésienne", estime-t-il en outre.

La fin des exclusivités et des monopoles de fait ?

Abus de position dominante, phénomènes de collusion, contrôle des opérations de concentration économique : l’Autorité polynésienne de régulation de la concurrence aura pour mission d’apprécier les situations, de recommander, de conseiller et de sanctionner si nécessaire. Elle pourra intervenir dans le domaine de l’énergie ou des télécommunications et, par exemple, apporter son concours sur des sujets comme la réécriture de la formule tarifaire de l’électricité ou les tarifs d’interconnexion. Au-delà, elle pourra même conseiller le gouvernement dans la mise en œuvre de politiques de libéralisation de secteurs monopolistiques ou fortement réglementés.

L’indépendance et l’impartialité de l’Autorité sont un point crucial. Pour y satisfaire, outre des règles classiques liées aux incompatibilités et aux conflits d’intérêt, le projet de loi du pays prévoit que la présidence de l’Autorité soit assurée par un magistrat et qu'il ne soit pas révocable durant son mandat fixé à 5 ans.

Le projet de loi complète les dispositions relatives aux abus de position dominante par deux mesures assez novatrices en Polynésie française.

La première introduit l’interdiction de l’exclusivité d’importation pour les produits de grande consommation dans l’alimentaire, l’hygiène et les produits ménagers. Cette disposition a été récemment introduite à l’article L 420-2-1 du Code de commerce par la loi Lurel. Sont visés "les droits d’importation exclusifs qui ne sont pas justifiés par des motifs économiques objectifs".

La seconde mesure tend à limiter les parts de marché détenues par un opérateur unique dans le commerce de détail. Elle introduit l’obligation d’une autorisation préalable pour tout franchissement d’un seuil fixé à 35% des surfaces de vente, pour les îles d’au moins 10 000 habitants. Cette mesure a la faculté d’ouvrir un périmètre protégé à un nouvel opérateur qui souhaiterait s’installer sur un marché déjà détenu par des intervenants historiques. Ainsi, les opérations de croissance organique seront soumises à un contrôle préventif voisin de celui des concentrations.

Le projet de loi du pays introduit aussi une série de dispositions régissant les relations entre les opérateurs économiques en précisant les règles destinées à assurer la transparence des relations commerciales et à sanctionner certaines pratiques restrictives. On note pour assurer la transparence des relations commerciales l’obligation de facturation, de communication des conditions générales de vente, de conclure un contrat de coopération commerciale, etc. Quant aux pratiques restrictives prohibées il pourra s’agir des prix minimum de vente imposés, de fausse coopération commerciale, de chantage au référencement ou au déréférencement, de rupture abusive des relations commerciales, etc.

"Il y a des secteurs dans lesquels quelques opérateurs ont un poids important", a résumé Nuihau Laurey à propos du projet de loi sur la concurrence, citant : "l’énergie, la grande distribution, les télécommunications, les banques. (...) Ce n’est pas la position dominante qui est problématique en soit mais l’usage qui peut en être fait pour pressuriser les relations commerciales et obtenir des avantages. La position dominante ne constitue pas un trouble si elle s’accompagne de pratiques commerciales claires et transparentes. Là, dans le texte nous définissons clairement ces situations de restriction à la concurrence et d’abus de position dominante".

L’Autorité polynésienne de régulation de la concurrence

Pour garantir le respect et la bonne application du droit de la concurrence, il a été jugé nécessaire d’instituer une autorité de régulation destinée à en sanctionner les manquements. Le choix retenu est celui de la création d'un organisme polyvalent. Celui prendra la forme d'une autorité polynésienne indépendante de régulation de la concurrence et devra, malgré un positionnement généraliste, concourir à des actions de régulation sectorielle.

L'organisme pourra intervenir dans le domaine de l’énergie ou des télécommunications et, par exemple, apporter son concours sur des sujets comme la réécriture de la formule tarifaire de l’électricité ou les tarifs d’interconnexion. Au-delà, elle pourra même conseiller le gouvernement dans la mise en œuvre de politiques de libéralisation de secteur monopolistiques ou fortement réglementés. Cette indispensable polyvalence se traduit par un certain nombre de caractéristiques, notamment d’importantes attributions consultatives et de très larges possibilités de saisine.

L’Autorité polynésienne de régulation de la concurrence disposera d’une très grande souplesse d’intervention.

A côté des sanctions classiques (sanctions pécuniaires, injonctions, astreintes), elle pourra recourir des "sanctions négociées" évitant aux entreprises en situation d’infraction qui le souhaitent de s’engager dans une longue procédure. Outre le pragmatisme, cette approche souple témoigne de l’esprit général du texte qui – comme le souligne avec insistance le vice-président Laurey – privilégie systématiquement la dissuasion et la pédagogie, "parce que la sanction constitue l’ultime recours".

L’indépendance et l’impartialité de l’Autorité sont un point crucial.

Pour y satisfaire, outre des règles classiques liées aux incompatibilités et aux conflits d’intérêt, le projet de loi du pays prévoit que la présidence de l’Autorité soit assurée par un magistrat. Le collège de l’Autorité comprendra quatre à six membres assurant des vacations. Le choix des membres reflétera la pluridisciplinarité et une répartition équilibrée des points de vue et des expériences professionnelles. Le collège de l’Autorité étant réduit (comparativement à l’Autorité de la concurrence métropolitaine) l’exigence de compétence professionnelle est d’autant plus grande.

Afin de garantir leur indépendance, les membres du collège ne pourront être révoqués, sauf dans des cas strictement définis. Il est envisagé qu’ils exercent leurs fonctions à plein temps et qu'ils soient soumis à un certain nombre de contraintes permettant de garantir leur indépendance (incompatibilité, obligation de déclaration de conflits d’intérêts, etc.)

Toujours dans le souci de garantir l’impartialité, un service d’instruction autonome est prévu.

Cette exigence qui est inspirée de la réforme de l’Autorité de la concurrence issue de la loi n° 2008-778 du 4 août 2008 de modernisation de l’Economie. Elle apparaît comme une garantie indispensable de l’indépendance de l’Autorité. Elle permet une meilleure séparation des fonctions d'instruction et de jugement et un respect accru du principe d'égalité des armes.

L’instruction des dossiers portant sur les pratiques anticoncurrentielles sera ainsi menée en toute indépendance par le service d'instruction, placé sous la direction d’un rapporteur général jouissant d’une large autonomie par rapport au collège et au président.

L’indispensable accompagnement de l’Etat

Bien que sa mise en place relève de la compétence de la Polynésie française, un accompagnement de l’Etat s'avère nécessaire pour la mise en place de l'Autorité polynésienne de régulation de la concurrence.
Le fonctionnement de cette institution est tributaire de dispositions touchant à l’organisation judiciaire et à la procédure pénale, qui relèvent de compétence régaliennes. L'Etat doit donc préciser la juridiction dont relèvera le contentieux des décisions de l’Autorité. L'appel des jugements de l'Autorité polynésienne de régulation de la concurrence devront normalement être portés devant la Cour d’appel de Paris, à l’instar de ce qui prévaut au plan national pour l’Autorité de concurrence.

Un projet de résolution de l’Assemblée de la Polynésie française au titre de l’article 133 de la loi statutaire est prévue l’adoption de ces dispositions par l’Etat.

D'autre part, un accompagnement par l’Autorité nationale de la concurrence est en cours discussion dans le cadre d’une convention d’assistance.

Ce soutien de l’Autorité nationale est destiné à faciliter le démarrage de l’Autorité polynésienne de la concurrence.
Il pourrait aussi déboucher sur une coopération à plus long terme, permettant aux membres et aux agents de la future Autorité polynésienne de se former auprès de l’Autorité nationale ou de bénéficier d’un appui technique, sur certains dossiers.

(Souce : Globstream)

> Lire aussi : L'analyse de notre partenaire Globstream

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Rédigé par JPV avec Globstream le Jeudi 5 Septembre 2013 à 10:52 | Lu 1695 fois