Tahiti Infos

Concession Tahiti-Faa'a : La bataille du tarmac à la barre


Tahiti, le 25 octobre 2021 - Le tribunal administratif de Papeete a examiné ce lundi en référé le marché passé dans le cadre de la concession de l’aéroport de Tahiti-Faa’a. Le groupement composé de la CCISM, de l’entreprise Boyer, des sociétés Meridiam et Aéroport Marseille Provence a en effet décidé de contester fermement l’attribution par l’État de la concession au groupement Egis / Caisse des dépôts et consignation pour les 40 prochaines années. Un marché à fort enjeu économique qui a donné lieu à une foire d’empoigne juridique.
 
Si le président du tribunal a veillé en début de séance à faire respecter les deux mètres de distanciation sociale entre les avocats, la mesure, destinée à assurer la sécurité sanitaire, a aussi permis de préserver les robes noires lorsque les esprits se sont échauffés pendant une audience qui a duré près de quatre heures. Dans ce marché à fort enjeu, où les montants évoqués atteignent aisément les 10 chiffres lors d’une exploitation prévue sur les quatre prochaines décennies, l’avocat de la CCISM n’a pas lésiné sur les arguments pour demander au juge des référés d’annuler la décision d’attribution au groupement Egis.  Des arguments aussi bien économiques que purement juridiques qui ont donné lieu à d’âpres passes d’armes avec les avocats de la Direction générale de l’aviation civile, de l’État et ceux du groupement attributaire.
 
Droits d’entrée dissuasifs et informations incomplètes
 
En 2017, la Cour administrative d’appel avait enjoint l’État de résilier le contrat de concession avec la société Aéroport de Tahiti (ADT) dans un délai d’un an. Un délai dont tout le monde convient, quatre ans plus tard, qu’il n’a pas été vraiment respecté et qui a permis à ADT de continuer à exploiter la plateforme aéroportuaire de Faa’a. Lors du lancement du nouveau marché, l’État a considéré que le nouveau concessionnaire devait s’acquitter d’un droit d’entrée de 27 millions d’euros (3,2 milliards de Fcfp) à régler sous 30 jours. Selon l’avocat de la CCISM, rien dans le dossier de consultation ne permet de déterminer à quoi correspond cette lourde facture initiale. Ce montant est censé indemniser ADT, dont EGIS est déjà actionnaire, pour les travaux réalisés ces dernières années. Des droits d’entrée plus faciles donc à payer pour le concessionnaire sortant que pour le groupement de la CCISM.
Un déséquilibre qui s’accompagne, selon l’avocat de la chambre consulaire, d’une “asymétrie d’informations” entre l’actuel concessionnaire et les autres candidats conduisant à “une distorsion de concurrence”. L’avocat dénonce également dans le même mouvement un “parti pris” de l’État dans l’évaluation des offres alors qu’il subsiste “le flou le plus complet” sur les travaux à réaliser à court et long terme par le futur concessionnaire.
 
La participation du Pays en suspens
 
Un argument parmi d’autres pour l’avocat qui relevait que l’offre du groupement EGIS / CDC était irrégulière. Le dossier de consultation obligeait les candidats de préciser l’identité de l’entreprise de construction en charge des futurs travaux. Une exigence auquel s’est astreint la CCISM en choisissant Boyer mais pas EGIS.
Autre point d’achoppement, la participation prévue du Pays à la future société en charge de la concession. L’offre EGIS prévoit en effet que le Pays détiendra 49% des parts du futur concessionnaire. Sauf que cette participation relève plus de l’hypothétique que du réel. Compte tenu de sa situation financière actuel, le Pays n’est pas vraiment en capacité d’apporter les quelques centaines de millions nécessaires à cette prise de participation. Le conseil des ministres n’a rien acté à ce sujet et l’assemblée n’a pas encore prévu de consacrer des crédits de la collectivité à cette opération. Le Pays avait ainsi sollicité et obtenu le concours financier de l’État lorsqu’il avait repris la gestion des aérodromes de Bora Bora, Raiatea et Rangiroa.
 
La CCISM, candidat “mauvais perdant”
 
Des arguments pas vraiment partagés du côté de l’État et du mandataire du groupement attributaire. Les avocats ont successivement dénoncé “un baroud d’honneur”, “un feu d’artifice” d’arguties juridiques émanant d’un candidat “mauvais perdant”. La CCISM, dont les affirmations présentent “un caractère caricatural et imprécis” est sans doute “très déçue, très vexée” d’avoir perdu. “Vous introduisez beaucoup de confusion et d’inexactitudes sur le sujet”. Selon les avocats représentant l’État et le groupement attributaire, les règles étaient “claires et lisibles” quant aux travaux à réaliser, la méthode de notation “bien expliquée”. Enfin, toutes les informations ont bien été transmises à tous les candidats dans les mêmes conditions. Pour l’avocat d’EGIS, “dire que vous n’avez pas eu cette information, c’est une fable ?”. Le juge des référés dispose de quelques jours pour démêler les vérités des uns et les affabulations des autres. Il rendra sa décision jeudi.
 

Rédigé par Sébastien Petit le Lundi 25 Octobre 2021 à 21:17 | Lu 4027 fois