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Comment Lana Tetuanui veut supprimer la prime d’éloignement des fonctionnaires d’État


Tahiti, le 5 septembre 2022 – Une proposition de loi déposée au Sénat par Lana Tetuanui suggère la suppression de l’indemnité d’éloignement pour les fonctionnaires civils venant en Polynésie. Cheval de bataille depuis plusieurs années du Tapura, qui entend ainsi favoriser le recrutement local, cette proposition n’est pourtant pas du goût des syndicats, qui n’en cernent pas le réel intérêt.
 
Le 8 août, la sénatrice Lana Tetuanui a déposé au Sénat, avec quelques cosignataires, une proposition de loi visant à supprimer purement et simplement l’indemnité d’éloignement des fonctionnaires de l’État affectés en Polynésie. Cette modification de la loi de 1950, “qu’il convient de toiletter”, ne s’appliquerait qu’aux fonctionnaires civils, donc pas au personnel militaire en service dans les Outre-mer, et ne concernerait pas les autres collectivités ultramarines. Environ 9 000 fonctionnaires, dont des Polynésiens, seraient ainsi impliqués, selon des chiffres publiés par Polynésie la 1ère.
 
“Il n’est pas question de toucher à l’indexation qui est nécessaire compte tenu du coût de la vie chère dans notre collectivité”, est-il ainsi exposé dans les motifs de la proposition de loi. “En revanche, les dispositions relatives à l’indemnité d’éloignement égale au versement de cinq mois de traitement indiciaire brut à chaque séjour administratif de deux ans ne se justifient plus. Aujourd’hui, les fonctionnaires affectés dans les collectivités d’outre-mer ne voyagent plus en bateau à vapeur mais en avion.”
 
Dans un post publié ce lundi sur les réseaux sociaux, Lana Tetuanui justifie sa position par le fait que “cet avantage demeure encore tellement incitatif qu’il porte préjudice au retour de nos fonctionnaires d’État polynésiens dans leur collectivité”. Sa démarche vise ainsi à “tarir le flux d’affectation en Polynésie française de fonctionnaires dépourvus du CIMM (une qualification administrative qui permet de déplacer son centre d’intérêts moraux et matériels sur un territoire en fonction de ses attaches, NDLR), à prioriser le retour de nos fonctionnaires polynésiens et à encourager le recrutement local à compétences égales sur les postes laissés vacants”.
 
Le sujet n’est pas nouveau au Tapura. Déjà, pendant la campagne des législatives, la candidate du parti sur la deuxième circonscription, Tepuaraurii Teriitahi, soutenait dans nos colonnes la suppression de cette prime, ou tout du moins sa réduction, aux mêmes motifs : “Si on fait une réforme de cette indemnité d’éloignement, beaucoup moins d’expatriés seront intéressés de venir en Polynésie. Et à ceux qui me diront que c’est une perte financière pour la Polynésie, je dis non. Parce que bien souvent, cette indemnité d’éloignement retourne en métropole dès qu’elle est touchée par les fonctionnaires.”
 
“C’est complètement ridicule”
 
Une opinion que ne partagent pas certaines organisations syndicales de la place. Si A Tia I Mua attend de se réunir pour se prononcer sur la question, du côté de l’UNSA Polynésie et de CSTP-FO, on est dans l’incompréhension. “C’est complètement ridicule. Pourquoi supprimer des avantages acquis de longue date ? Il ne faut pas supprimer ces droits mais il faut faire en sorte que tout le monde ait les mêmes. D’autant plus que c’est l’État qui paye, pas nous. Je ne comprends pas”, s’interroge Patrick Galenon, secrétaire général de la CSTP-FO.
 
Même son de cloche du côté de l’UNSA Polynésie. “Nous sommes opposés à cette proposition de loi en l’état”, s’indigne Diana Yieng Kow, secrétaire générale de l’Union nationale de syndicats autonomes au fenua. “Tout d’abord parce qu’il n’y a pas eu de concertation avec les organisations syndicales. Ensuite parce qu’on ne sait pas du tout l’impact économique que cela pourrait avoir pour les collègues qui vont arriver. D’autant plus que parmi eux, il y a des Polynésiens qui peuvent en bénéficier. Ils ne sont pas très nombreux mais de plus en plus passent des concours très élevés dans la fonction publique d’État. Je ne pense pas que ce soit une façon d’embaucher davantage localement. Il faudrait d’abord qu’il y ait une volonté du Pays d’embaucher localement à diplôme égal. Et il y a des secteurs où l’on n’a pas de vivier local, ce serait problématique si personne ne venait. On serait confronté à des postes non pourvus, cela va tirer notre administration vers le bas. Je ne comprends pas du tout la réflexion qui a été menée, d’autant plus que c’est discriminant par rapport aux autres territoires”, vu que cette suppression ne serait effective qu’en Polynésie.
 
Selon Diana Yieng Kow, d’autres mesures seraient davantage efficaces en matière d’emploi local. Notamment la règlementation du “transfert des CIMM pour ne pas bloquer les postes qu’on pourrait donner à nos enfants qui sont en train de faire leurs études”. Ou encore la mise en place d’une prime d’éloignement qui fonctionnerait également dans l’autre sens, de la Polynésie vers la métropole.
 

Patrick Galenon, secrétaire général de la CSTP-FO : “Ils n’ont plus rien à proposer du coup ils font n’importe quoi”

“Pourquoi ne demande-t-elle pas carrément la suppression des fonctionnaires d’État tant qu’elle y est ? Si on fait venir des gens en Polynésie, c’est par manque de compétences locales ou d’effectifs. Mais ce n’est pas ça la problématique de la création d’emploi local. En général, c’est d’emplois subalternes que l’on manque. Bien sûr qu’il faut faire venir des professeurs d’université de métropole afin d’enseigner aux Polynésiens. D’autant plus qu’il y a des Polynésiens parmi ces fonctionnaires. Il faut faire en sorte que ces Polynésiens qui reviennent bénéficient des mêmes avantages que les métropolitains, mais pourquoi les supprimer aux autres ? D’autant que ce n’est même pas nous qui payons, c’est la France. Quand ces gens viennent avec leurs avantages, ils dépensent ici, ça fait tourner l’économie du Pays. Pourquoi ne pas supprimer les avantages ou les voyages des sénateurs sinon ? C’est peut-être bête mais c’est du même acabit. Je ne comprends pas… Enfin si, je comprends très bien, ils n’ont plus rien à proposer du coup ils sont paniqués et ils font n’importe quoi. Ça va être quoi après, la suppression de l’indexation ?”
 

Rédigé par Lucie Ceccarelli le Lundi 5 Septembre 2022 à 17:35 | Lu 4180 fois