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Ciguatera : Une thèse et des questions


Tahiti, le 9 mai 2021 – L’acidification des eaux et les rejets de sédiments favorisent-ils la prolifération de la ciguatera en Polynésie ? Si Sébastien Longo y répond dans sa thèse soutenue jeudi à l’UPF, son travail a soulevé une foule de questions sur la croissance de ces microalgues et leur production en toxine.
 
Vous êtes arrivé en Polynésie il y a cinq ans, qu’est-ce qui vous a amené ici ?

“C’était l’envie de faire de l’écologie mais un peu plus appliquée au milieu tropical. Je suis issu de l’écologie classique on va dire, je viens du fin fond du Tarn en métropole, j’avais envie de me spécialiser dans le milieu marin et la Polynésie était un endroit tout indiqué pour ça. A l’issue du Master 2, j’ai réalisé que j’étais tombé amoureux de la ciguatera et des ciguatoxines”.
 
Qu’est-ce qui justifie une thèse sur l’impact de l’acidification des eaux sur la prolifération de la ciguatera ?

“Afin de désenclaver les archipels les plus éloignés, la Polynésie est en train d’activer son développement urbain et le tourisme y contribue beaucoup. Ce qui provoque des rejets de sédiments dans le lagon qui peuvent bénéficier à cette microalgue responsable de la ciguatera et donc potentiellement augmenter le risque de la gratte au fenua”.
 
Qu’est-ce que ce travail vous a permis de découvrir ?

“L’acidification a un effet assez négatif sur le taux de croissance de cette microalgue. En général, j’avais des quantités de cellules divisées par deux par rapport à une condition classique. Par contre l'acidification et les rejets ont eu un effet, non pas sur la quantité totale de toxines produites, mais sur la production de différentes ciguatoxines, très minoritaires au début, et qui le seront un peu moins. Et on ne sait pas trop quel sont leurs effets sur les symptômes observés.”
 
Ce qui pourrait expliquer la grande diversité des symptômes ?

“Certainement, mais là aussi les connaissances sont parcellaires à ce sujet”.
 
Y a-t-il d’autres paramètres qui influent sur l’extension des ciguatoxines ?

“Il semblerait que la température de surface des océans y contribue. Même si dans notre cas, on ne l’a pas souvent observé sur les espèces polynésiennes, mais sur d’autres espèces ailleurs dans le globe ça semble avoir un effet. Plusieurs références bibliographiques évoquent aussi la salinité ou tout simplement l’éclairement. Et puis il y a aussi un facteur anthropique, c’est-à-dire d’origine humaine. Des études se sont intéressées au transport de ces microalgues par les bateau cargo ou le transport maritime, qui vont influencer sur leur distribution autour du globe”.
  
Les “ciguatoxines” arrivent en Europe, on se doute que le réchauffement climatique y est pour quelque chose…

“Plusieurs études ont montré que cette microalgue est effectivement capable d’atteindre les régions tempérées du globe et elles sont aujourd’hui aux portes de la méditerranée au niveau des îles Canaries. Ce qui représente un risque de plus en plus important à l’échelle du globe”.
 
La ciguatera c’est un sujet qui fait l’objet d’assez peu d’études ?

“Ce n’est pas tellement qu’il n’y a pas eu beaucoup de recherches sur le sujet, mais à chaque fois qu’on arrive à répondre à une question, il y en a une trentaine d’autres qui émergent derrière. Plus on avance, plus on se pose de questions qui sont stimulantes”.
 
Preuve que c’est un sujet très complexe ?

“Oui très complexe. On se rend compte qu’il y a de plus en plus de paramètres qui influencent directement soit la croissance de la microalgue, soit sa production en toxine. Il faut arriver à comprendre quelle est l’influence de chacun de ces paramètres et ensuite comprendre tout simplement pourquoi cette microalgue synthétise cette toxine ? Quel est son rôle dans les symptômes déclarés ? En quelle quantité elle passe chez le poisson ? Est-ce que ça contamine d’autres organismes ? On a vu que le troca et le bénitier peuvent également être porteurs de ciguatera. Donc oui il reste beaucoup de questions”.
  
Ce qui ouvre de nouvelles perspectives de recherche ?

“Les perspectives permettront de répondre aux questions qui émergent au fur à mesure, notamment sur les méthodes de détection des ciguatoxines. Il faudrait mener des études en milieu naturel pour voir quelles espèces de Gambierdiscus on peut trouver dans l’océan indien ou dans les Caraïbes, dont on ne connaît pas grand-chose. Elles permettront de répondre aux questions qui émergent”.
 
L’espèce polynésienne est-elle plus toxique que les autres ?

“En effet, les espèces que l’on retrouve ici, elles sont particulièrement toxiques. La Gambierdiscus polynesiensis sur laquelle je travaille, est la plus toxique connue à ce jour avec un facteur de 5 à 10 en production toxinique par rapport aux autres espèces”.
 
Ce qui se traduit par des symptômes plus puissants, plus variés ?

“Il reste plein d’études à faire à ce niveau-là. Elles produisent beaucoup, mais combien de toxines arrivent à l’homme ? Ça reste encore à ce jour très abstrait pour nous. Mais sa toxicité pose un risque ciguatérique plus important qu’une espèce qui ne produit quasiment rien. Pour l’instant on ne l’a pas retrouvé en dehors du Pacifique. Par contre, du côté des autres espèces dites “cosmopolites”, si celles-ci venaient à produire plus de toxines, du fait de l’acidification de l’océan, ou des rejets de plus en plus importants en nutriments, ces espèces qui ne présentaient pas un risque élevé d’intoxication pourraient s’avérer dangereuses”.
 
Vous avez évoqué la possibilité de valoriser les ciguatoxines, comment ça marche ?

“En plus de poser des problèmes sanitaires, les ciguatoxines permettent de calibrer les tests de détections pour les rechercher que ce soit dans le poisson, voire directement dans le sang humain. Si on parvenait à isoler chacune des ciguatoxines connues à ce jour, on pourrait développer des tests plus précis et rapides pour détecter ces toxines dans les organismes contaminés. On peut aussi les utiliser pour des applications médicales diverses comme les maladies neurodégénératives à l’instar de la maladie d’Alzheimer. La faculté des ciguatoxines à agir sur la transmission nerveuse (on parle de neurotoxines) pousse les scientifiques à se dire qu'elles pourraient avoir des applications pour mettre au point des traitements efficaces contre les maladies qui touchent au cerveau".


Rédigé par Esther Cunéo le Dimanche 9 Mai 2021 à 21:10 | Lu 2670 fois