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Chercher des métaux loin sous les mers? L'UICN se penche sur un moratoire


HO / JAMSTEC / AFP
HO / JAMSTEC / AFP
Marseille, France | AFP | lundi 06/09/2021 - Faut-il chercher des métaux à 5.000 mètres sous les mers pour répondre aux besoins croissants de l'industrie? Ce projet se heurte à l'opposition d'ONG et à la prudence de scientifiques, au moment où un moratoire est discuté à l'UICN.

Les membres de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) examineront à partir de mercredi en assemblée générale à Marseille une motion défendant l'idée d'un "moratoire sur l'exploitation minière des grands fonds marins", en attendant d'avoir "des évaluations d'impact rigoureuses" et que "la protection efficace du milieu marin soit garantie".

Les fonds marins contiennent des métaux sous plusieurs formes, dont des nodules polymétalliques. Ces petits cailloux sont riches notamment en manganèse, cobalt ou nickel, de plus en plus demandés car utilisés dans les batteries de véhicules électriques.

Mais il y a un hic: ces nodules se trouvent entre 4.000 et 6.000 mètres sous la surface des océans.

L'exploitation minière en haute mer n'existe pas actuellement. En revanche, des instituts de recherche comme l'Ifremer en France ou des entreprises privées mènent des opérations d'exploration, à condition d'être parrainés par un pays.

L'Autorité internationale des fonds marins (AIFM), mandatée par l'ONU pour réguler les activités liées aux minéraux en haute mer "dans l'intérêt de l'humanité dans son ensemble", a approuvé 30 licences d'exploration de ressources minérales.

"Menace imminente"

Une entreprise en particulier, The Metals Company, soutenue par Nauru, Etat insulaire en Micronésie, inquiète les ONG. "Les nodules polymétalliques représentent la source la plus propre de métaux de qualité pour les batteries et la meilleure voie à suivre", assure l'entreprise sur son site internet.

"La menace est imminente" et l'exploitation minière pourrait débuter sous deux ans, s'alarme Matthew Gianni, co-fondateur de la coalition pour la protection des eaux profondes (DSCC), depuis Marseille.

Les écosystèmes marins profonds sont très particuliers: obscurité totale, froid, pression hydrostatique élevée, nourriture limitée provenant de la surface... 

"Nous commençons à connaître les écosystèmes sur place mais nous avons du mal à comprendre comme ils fonctionnent", explique à l'AFP Pierre-Marie Sarradin, responsable de l'unité de recherche Etude des écosystèmes profonds à l'Ifremer, qui travaille sur les nodules dans la zone de fracture de Clarion-Clipperton, dans le Pacifique.

Selon les recherches du consortium européen JPI Ocean, les zones comprenant des nodules sont plus riches en biodiversité que celles sans. Des zones protégées ont été mises en place par l'AIFM, mais les scientifiques, dont l'Ifremer, estiment qu'elles ne sont pas représentatives des zones susceptibles d'être exploitées. 

En cas de perturbations, le rétablissement est très lent. Dans une zone raclée il y a 30 ans, "l'écosystème n'est pas revenu à son état initial", donne pour exemple le scientifique.

Recyclage 

Quel serait l'impact d'une exploitation minière? "Il est compliqué de quantifier les impacts sur les grands cycles biochimiques, (tels que) la fixation du carbone par l'océan", essentiel dans la lutte contre le changement climatique, les impacts sur des zones avoisinantes, ou encore les perturbations liées au bruit et à la lumière des engins susceptibles d'être utilisés, poursuit-il.

D'autant "que nous ne connaissons pas les techniques qui seraient utilisées" par ces entreprises. 

"Les nodules nécessitent deux millions d'années pour se reformer, les animaux qui dépendent ne peuvent pas revenir", précise Katja Uhlenkott, doctorante à l'université allemande Carl-von Ossietzky d'Oldenbourg.

Des entreprises importantes, BMW, Google, Samsung SDI ou encore Volvo, se sont engagées à "ne pas utiliser des minéraux issus des eaux profondes ou à financer l'exploitation minière en eaux profondes" tant que les scientifiques n'en auront pas mesuré clairement les conséquences.

Pour Farah Obaidullah de DSCC, si la transition énergétique nécessite plus de métaux, la solution se trouve sur terre et non en mer. "Nous pouvons recycler des métaux" et compter sur le développement de nouvelles technologies pour les batteries, argumente-t-elle.

Les conditions d'exploitation minière sur terre sont "actuellement horribles", mais elles peuvent être améliorées, au moins en théorie. "Personne ne va se rendre six kilomètres sous la mer et dire +vous ne faites pas les choses correctement+", relève-t-elle.

"A partir du moment où les industriels auront décidé qu'il faut y aller, nous serons complètement dépassés", faute de moyens financiers équivalents, craint Pierre-Marie Sarradin. Mais l'exploitation n'a pas encore commencé, tempère-t-il, réclamant plus de recherche pour évaluer les impacts.

le Lundi 6 Septembre 2021 à 03:29 | Lu 325 fois