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Ces milliards aux associations


Tahiti, le 19 septembre 2022 – La chambre territoriale des comptes a examiné pour la première fois les subventions accordées par le Pays aux personnes morales de droit privé entre 2016 et 2021. La CTC relève une grande disparité dans le subventionnement des associations. En effet, dix d'entre elles se partagent plus de la moitié de l'enveloppe globale des subventions de fonctionnement, quand près de la moitié se partagent seulement 2% de cette enveloppe.
 
La chambre territoriale des comptes (CTC), dans un rapport datant de fin août, a passé au crible les subventions accordées par le Pays aux personnes morales de droit privé (PMDP) pour les exercices 2016 et suivants. Durant cette période, le Pays a subventionné les PMDP à hauteur de 23,54 milliards de Fcfp en fonctionnement (9,62 milliards de subventions ordinaires et 13,89 de subventions exceptionnelles) et 5,35 milliards de Fcfp en investissement. Mais premier constat : les associations n'ont touché que 28% des subventions globales de fonctionnement, soit 6,65 milliards de Fcfp, alors que les sociétés et les autres organismes de droit privé avec des statuts particuliers se sont partagé à parts égales les deux tiers de l'enveloppe. La CTC souligne que le dispositif de subventionnement, outil en principe privilégié pour accompagner le secteur associatif, concerne en réalité aux deux tiers des personnes morales parapubliques du Pays (SEM ou SA avec participation du Pays, GIE) pour des subventions d’équilibre”.
 

Concentration vs saupoudrage

En prenant le cas des seules associations, la CTC relève une “extrême concentration”. En effet, sur 624 associations subventionnées, dix d'entre elles (soit 1,6%) se partagent 55% de l'enveloppe financière, soit 3,68 milliards de de Fcfp. Il s'agit de Rahu Ora – Agence immobilière sociale de Polynésie française (AISPF), le Comité olympique de Polynésie française, le Comité polynésien des maisons familiales rurales, la Tahitian Pearl Association of French Polynesia, l'Association pour le droit à l'initiative économique, l'Union polynésienne pour la jeunesse, l'Union de sport scolaire polynésien, l'Union sportive de l'enseignement du premier degré, l'Association du tourisme authentique de la Polynésie française, ainsi que divers créanciers (des fédérations sportives et associations qui bénéficient de subventions sans conditions, c'est-à-dire sans passage par la commission de contrôle budgétaire et financier de l'assemblée pour avis, mais qui font l'objet d'une inscription au budget primitif de la Polynésie française). Et au sein-même de ces dix associations, une grande disparité est encore constatée puisque que l'AISPF obtient, à elle seule, 20% des subventions allouées par le Pays aux associations, soit 1,35 milliard de Fcfp, les autres touchant entre 2% et 7% de l'enveloppe. Concernant le reste du subventionnement de fonctionnement aux associations, la CTC parle de “saupoudrage”. En effet, près de la moitié de l'ensemble des associations subventionnées se partagent à peine 2% de l'enveloppe globale.
 
Enfin, la CTC note que les subventions d'investissement aux associations sont “marginales”. Entre 2016 et 2020, elles ont représenté 480 millions de Fcfp, soit 8% de l’ensemble des crédits de paiement en investissement au profit des personnes de droit privé. C'est le secteur sportif qui est le principal bénéficiaire de ces subventions d'investissement, qui a reçu 131 millions de Fcfp en cinq ans. Viennent ensuite les Maisons familiales rurales qui ont bénéficié, sur cette période, de 119 millions de francs pour la rénovation des maisons familiales rurales, l’achat de matériels agricoles ou encore de véhicules. L’association Initiative Polynésie française est la troisième à avoir bénéficié de subventions significatives d’investissement. Elle a reçu 50 millions de Fcfp en 2017 et 75 millions de Fcfp en 2019 pour réaliser des prêts d’honneur compris entre 500 000 et 2,5 millions de Fcfp en faveur des porteurs de projets économiques. Selon l'association, ces fonds auraient permis d’octroyer 90 prêts d’honneur et de soutenir 85 entreprises, soit 170 emplois créés ou maintenus.

Des dysfonctionnements dans l'instruction des dossiers

Dans son rapport sur les subventions accordées par le Pays aux personnes morales de droit privé entre 2016 et 2021, la chambre territoriale des comptes fait état de dysfonctionnements dans l'instruction des dossiers. Les demandes de subventions peuvent se faire auprès des services concernés par l'objet de la subvention, mais aussi du ministère de tutelle qui transmet ensuite au service concerné. La CTC attire l’attention du Pays sur le fait que “tout changement de périmètre d’un ministère et de réorganisation des services instructeurs expose le monde associatif à une dégradation de la qualité d’instruction des dossiers”. Elle recommande donc de déployer un logiciel commun pour l'instruction des dossiers. Le Pays a confirmé qu'une phase de test est en cours.
Par ailleurs, la CTC estime que les modalités d'instruction sont insuffisamment cadrées et souligne une logique trop souvent appliquée du “premier arrivé, premier servi”. Elle recommande donc au Pays de définir des critères objectifs d'attribution. Elle souligne enfin une absence de recours systématique à une commission pour examiner les dossiers ainsi que des délais d'instruction “difficiles à suivre”. En moyenne, ils sont de cinq mois pour les associations sportives, ce qui conduit parfois certaines d'entre elles à obtenir des subventions après que l'événement organisé a eu lieu. De son côté, l’AISPF déplore chaque année une attribution et un déblocage trop tardifs des fonds pour engager des frais relatifs à de nouveaux logements en faveur des ménages supplémentaires, souligne la CTC.

Des subventions pas toujours nécessaires

La chambre territoriale des comptes rappelle que pour bénéficier d'une subvention, “l'activité de la personne morale doit être sans but lucratif et satisfaire à des considérations d’intérêt général en contribuant à la mise en œuvre des politiques publiques”. Elle s'interroge alors sur le versement de 360 000 Fcfp à l'association Te mana o te moana pour ses journées scolaires et portes ouvertes en 2018, “alors même que le conseil d’administration est présidé par le propriétaire d’un groupe hôtelier international”. En réponse à la CTC, le Pays a rappelé que cette subvention était “en adéquation avec les orientations du ministère de l’Environnement”. Pour sa part, l'association a précisé qu'elle “ne bénéficiait pas de financements conséquents directs en lien avec ce groupe hôtelier mais essentiellement d’une aide logistique à titre gracieux”.
Autre exemple cité par la CTC, celui de l'Association des chirurgiens orthopédiques de Tahiti qui a bénéficié, en 2019, d'une subvention de 2,55 millions de Fcfp pour l'organisation d'un événement professionnel, à savoir un congrès international. Pour la chambre, si le financement peut s’entendre pour le ministère de la Santé (subvention de 1,35 million de Fcfp), il reste moins évident lorsqu’il s’agit du ministère du Tourisme (1,2 million de Fcfp)”. Ce dernier l'a justifié par les retombées économiques via les professionnels qui prolongeront leur séminaire par des vacances sur place”. Un “tourisme de niche” pour des catégories sociaux professionnelles ++ qui entrerait dans le champ de la stratégie de développement touristique de la Polynésie française 2015-2020. “Le ministère chiffre très sommairement ces retombées à 714 millions de Fcfp, ce que la chambre n’est pas en mesure ni d’infirmer ni de valider”, précise-t-elle.
La CTC souligne en outre un risque de surfinancement d'associations en bonne santé. Elle souligne le cas de l'AISPF qui bénéficie de 20% de l'enveloppe globale des subventions de fonctionnement et dont les fonds propres ont triplé entre 2016 et 2021. “Un tel niveau de ressources doit interpeller tant la gouvernance que le financeur public”, dit-elle. Elle indique également que le surfinancement risque de favoriser des pratiques non permises, comme l'activité de prêt à d'autres associations. Et à l'inverse, la chambre précise que soutenir des associations en difficulté n'est “pas de bonne gestion non plus”. La CTC recommande donc au Pays de sensibiliser ses services instructeurs à l'analyse financière des associations.

Rédigé par Anne-Laure Guffroy le Lundi 19 Septembre 2022 à 18:24 | Lu 3574 fois