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Carnet de voyage aux Marquises: L’omelette des acrobates de Ua Huka


Un nuage de kaveka assaille le visiteur ; à l’arrière-plan, le motu Hemeni, déclaré tabu.
Un nuage de kaveka assaille le visiteur ; à l’arrière-plan, le motu Hemeni, déclaré tabu.
Dans un nuage de kaveka agressifs ¬- Si nous ne devions vous proposer qu’une seule et unique excursion aux Marquises, nous la réserverions sans hésiter à l’île aux oiseaux de la côte sud de Ua Huka (le motu Teuaua). Escapade fabuleuse entre ciel et océan, dans un cadre grandiose. Époustouflant !

Ça commence plutôt calmement au minuscule port de Vaipaee. On charge le speed-boat à partir d’un quai d’où l’on ne peut même pas voir l’océan, tant la langue de mer qui sert de havre naturel est profondément encaissée dans une étroite et sinueuse gorge rocheuse. Quelques encablures plus loin, le kau sort sans prévenir de son goulet abrité ; en une seconde, le bateau se retrouve brutalement ballotté en plein océan ; devant nous, une mer hachée, blanche d’écume et l’assurance de quarante minutes de “machine à laver”.
Trempés, tout le monde s’accroche à ce qui se trouve à portée de main pour ne pas passer par-dessus bord ! À l’horizon, se découpent déjà les silhouettes des deux îles aux oiseaux, la plate où l’on se rend et la pointue, tabu.


Les deux motu aux oiseaux de Ua Huka,Teuaua et Hemeni, vus des falaises de la côte.
Les deux motu aux oiseaux de Ua Huka,Teuaua et Hemeni, vus des falaises de la côte.
Coups de bec sur le crâne

À l’approche de la falaise, entre Ua Huka et le motu convoité, la mer devient plus calme, l’îlot Teuaua nous protégeant de la houle et du vent. Une corde pend contre le roc vertical. À sa base, un petit balcon naturel nous accueillera, le temps d’un saut -hasardeux- depuis la proue instable du kau jusqu’à la caillasse. Pas de temps à perdre, faute de place, il faut monter à la force des bras le long du filin pour dégager la minuscule esplanade, car, derrière, les autres suivent.
Au bout de la corde, arrivé sur le motu, l’étourdissement est total : du tapis vert des pourpiers décollent des centaines, des milliers de sternes, furieuses d’être dérangées par l’incursion de bipèdes à l’évidence mal intentionnés ; et pour cause, tous sont bien décidés à remplir leurs seaux d’œufs frais. Le piaillement est assourdissant, les attaques en piquée incessantes et, parfois, un coup de bec virulent sur le haut du crâne sanctionne les importuns. Inutile de tenter de se baisser, les oiseaux accompagnent le mouvement instantanément et piquent quand même. Avec une casquette, on parvient malgré tout à limiter la portée des coups.
La petite équipe s’est égaillée sur le motu. Nous sommes une douzaine, et presque tous les oiseaux ont décollé à l’approche des hommes. Le ciel semble parfois obscurci par les volatiles, et tout en se protégeant des attaques, il faut regarder constamment où l’on met les pieds, au risque de briser inutilement des œufs. Il y en a partout, posés à même le sol ; en moins d’une demi-heure, les ramasseurs ont achevé leur mission ; les seaux sont pleins !
Le plus dur reste à accomplir, descendre un à un les récipients dans le bateau, par une corde, en évitant que celui-ci, frôlant la falaise, ne vienne y fracasser sa proue. Acrobaties garanties, sur le kau comme du haut des rochers.


Le plus dur, c’est l’escalade de la falaise pour arriver au niveau des nids.
Le plus dur, c’est l’escalade de la falaise pour arriver au niveau des nids.
Pas un œuf cassé

Après les œufs, les hommes. Les Marquisiens se contenteront d’effectuer de spectaculaires sauts des sept mètres depuis leur belvédère jusqu’à la mer. “Plouf” grandioses, qui mettront en fuite les raies manta ! Les moins intrépides reprendront, en sens inverse, la corde ; il leur restera ensuite à sauter dans le kau à l’instant indiqué par le pilote.
Le retour jusqu’au havre de Vaipaee est encore plus chahuté qu’à l’aller, un peu comme si la mer, écumant de rage, voulait faire payer aux “hommes oiseaux” leur impudence et leur audace. L’entrée de la gorge menant au port de Vaipaee est accueillie par des cris de joie. Pas un œuf n’a été cassé, sur quelques centaines à bord, et personne n’est tombé à l’eau. La distribution se fera sur le quai, au calme. Et chacun rentrera, heureux, avec sa part.
La première omelette orangée sera dégustée dès le dîner. Celle du lendemain matin -car des œufs, il en restera- sera encore meilleure, arrosée d’un jus frais de taporo…

Textes et photos : Daniel Pardon



C’est parti pour une balade pas comme les autres.
C’est parti pour une balade pas comme les autres.
Tangata manu…

Impossible de ne pas songer aux tangata manu, les hommes oiseaux de I’île de Pâques, en effectuant cette escapade à Ua Huka. À Rapa Nui, après le renversement des moai, un culte annuel fut instauré au village d’Orongo, sur la lèvre du volcan Rano Kau. L’Homme Oiseau de l’année devenait le chef de guerre (tamatoa) ; son serviteur ramenait le premier œuf d’oiseau marin migrateur depuis des petits motu au large d’Orongo. L’oeuf sacralisé incarnait une sorte d’hymne à la renaissance de la vie.
Cette coutume, de manière “païenne”, sans référence religieuse aucune, les ”tangata manu” de Ua Huka la revivent pour leur part deux fois par an. Une tradition au symbolisme fort et puissant, à l’image de la nature dans laquelle, et de laquelle, vivent les Marquisiens.


Les kaveka font les frais de la gourmandise des hommes.
Les kaveka font les frais de la gourmandise des hommes.
Écologique

Les Marquisiens qui procèdent à la récolte des œufs de kaveka ne le font que sur un des deux motu où nichent les oiseaux (le motu Teuaua). Outre le fait qu’ils sont loin de tout ramasser, ils s’interdisent formellement de poser le pied sur l’autre grand motu voisin (le motu Hemeni), où les oiseaux forment de véritables nuées sombres dans l’azur. C’est dire que la ressource est gérée et protégée. De cette manière, elle est inépuisable. Mais attention : les habitants de Ua Huka estiment, à juste tire, que ces œufs sont les leurs et ils chassent, manu militari (avec amende et poursuites) les pilleurs venus d’autres îles. Donc pas question de violer ces deux sanctuaires sans l’accord des habitants de Ua Huka.


Ua Huka pratique

Pour y aller
Deux vols par semaine avec Air Tahiti (Papeete-Nuku-Hiva en ATR, puis Nuku-Hiva-Ua Huka en Dornier). Le déplacement prend une bonne partie de la journée.

Quand y aller ?
Le motu aux oiseaux n’est pas une destination touristique. Il faut saisir l’opportunité d’une expédition de chasseurs d’œufs pour embarquer. Il convient donc, avant toute chose, de se renseigner sur les deux périodes de l’année durant lesquelles se déroulent les récoltes (l’une a lieu en juillet). Sur place, il vous faudra négocier un passage avec le patron de votre pension, qui sera ravi que vous lui rameniez des œufs.

Comment y aller ?
On se fait “saucer” sur le speed boat, on se salit en escaladant la falaise, on transpire beaucoup aussi, bref, ce n’est pas une excursion à faire avec des talons aiguilles. Impératif d’avoir aux pieds des sandalettes en plastique ou de robustes chaussures de sport (pas de savates !). Et un sac étanche pour son matériel photo.

Que ramenez ?
Des photos bien sûr, car cette récolte unique est très photogénique, mais aussi des œufs. Que vous donniez un coup de main à la récolte sera apprécié. En revanche, vous êtes un invité sur le bateau. Au retour, vous attendrez que l’on vous offre votre part, sans en discuter l’importance (les Marquisiens sont généreux, rassurez-vous).


Les bonnes adresses Séjours dans les îles

Pension Maurice et Delphine
A l'entrée du village de Hokatu, la pension de Maurice et Delphine se niche sur la falaise, face à l’océan. 5 bungalows construits en bois et en bambou offrent une vue imprenable sur le pittoresque rocher de Hane, qui émerge fièrement de la mer. Un petit sentier mène aux piscines naturelles en bord de mer.
Séjour Vol + 2 nuits à partir de 64 802 Fcfp/pers., avec demi-pension

Le Rêve Marquisien
C'est le rêve d'un couple de retraités polynésiens. Taro, dont la mère est originaire de Ua Huka, a implanté sa pension de famille sur la terre de ses ancêtres, à proximité d'une rivière, en plein cœur de l’île. Le paradis pour se ressourcer dans un univers de verdure, au calme.
Séjour vol + 2 nuits à partir de 69 802 Fcfp/pers., avec demi-pension

Pension Mana Tupuna Village
Situé sur les hauteurs du village de Vaipaee, Mana Tupuna est une pension tenue par la famille Taiaapu, sculpteurs marquisiens de père en fils. 3 bungalows pouvant accueillir 2 à 4 personnes et 1 bungalow familial avec mezzanine pour 7 personnes maximum, surplombent la vallée.
Séjour vol + 2 nuits à partir de 65 302 Fcfp/pers., avec demi-pension





Rédigé par Textes et photos : Daniel Pardon le Jeudi 5 Novembre 2015 à 18:08 | Lu 1790 fois