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Carburants : Pas tous logés à la même enseigne


Tahiti, le 19 juillet 2022 – La récente augmentation des coûts du carburant, après plusieurs mois de maintien des prix subventionnés, n'a pas été la même pour tout le monde. Le fonds de régulation des prix des hydrocarbures permet en effet au gouvernement d'ajuster les prix pour aider certains professionnels. Parmi eux, les pêcheurs qui résistent toujours à la hausse des prix…
 
La forte hausse des prix du carburant appliquée le 1er juillet dernier par le gouvernement pour compenser l'envolée des cours du pétrole sur les marchés internationaux touche tous les secteurs d'activité. Mais pas dans les mêmes proportions. On le sait, l'augmentation a été de +35 Fcfp pour l'essence et le gazole à la pompe pour les automobilistes, avec un coût du sans-plomb à 181 Fcfp/l et un coût du gazole à 183 Fcfp/l. Mais selon les prix fixés par l'arrêté du conseil des ministres du 28 juin dernier, cette augmentation n'a pas été la même pour tous les professionnels. Elle varie en effet de +2 Fcfp/l pour l'essence des pêcheurs -dans un contexte particulier évoqué ci-après- à +40 Fcfp/l pour le gazole utilisé par EDT…
 
C'est le double effet du Fonds de régulation des prix des hydrocarbures (FRPH) et du Fonds de péréquation des prix des hydrocarbures (FPPH) qui permet au Pays de stabiliser différemment les coûts des carburants pour les différents secteurs d'activité. Les perliculteurs paient par exemple 126 Fcfp/l pour le gazole et le sans-plomb liés à leur activité et n'ont subi qu'une hausse de +20 Fcfp au 1er juillet dernier. Même distinction pour le gazole destiné aux trucks et distribué aux boulangers pour amortir les coûts de fabrication du pain : 110 Fcfp/l avec une augmentation de +30 Fcfp le 1er juillet dernier. La différence de carburant peut même parfois s'opérer sur des secteurs très précis. Ainsi, le gazole vendu aux goélettes assurant la liaison avec les îles éloignées est payé 103 Fcfp/l au prix de détail et n'a augmenté tout récemment que de +20 Fcfp/l, quand le carburant vendu aux navires assurant la desserte Tahiti-Moorea est vendu 106 Fcfp/l au prix de gros et a augmenté de +30 Fcfp dernièrement.
 
Les pêcheurs résistent
 
Il est enfin une "petite" catégorie de professionnels qui résiste encore et toujours à la hausse : les pêcheurs. Avec un prix du gazole qui n'a augmenté que de +9 Fcfp/l et un prix du sans-plomb qui n'a progressé que de 2 Fcfp/l, les pêcheurs professionnels ont subi la hausse la moins lourde des prix du carburant en Polynésie. Une situation qui fait grincer des dents certains autres professionnels du secteur maritime, mais qu'il faut tempérer en la rapportant à la proportion de cette augmentation. L'utilisation du sans-plomb par les pêcheurs étant quasi-anecdotique, la hausse la plus représentative est celle du prix du gazole qui progresse de +22,5% pour les pêcheurs. Pas si éloignée des +23,5% appliqués à la hausse des prix du gazole pour les automobilistes polynésiens…
 
Les pêcheurs polynésiens ne paient donc aujourd'hui que 49 Fcfp/l le gazole à la pompe, sur présentation de leur livret professionnel. Et ils obtiennent même ce carburant à 42 Fcfp/l au prix de gros directement auprès des fournisseurs. Dans son rapport publié fin 2021, la chambre territoriale des comptes s'interrogeait déjà sur cet important coup de pouce du Pays au secteur, avec une compensation du Fonds de régulation des prix des hydrocarbures (FRPH) pesant jusqu'à 474 millions de Fcfp sur l'année 2019 pour les seuls pêcheurs. "Ce soutien au secteur de la pêche nécessite que la ressource du FRPH soit de plus en plus abondée par les autres catégories de consommateurs de produits hydrocarbures", relevait le rapport de la juridiction financière, tout en présageant déjà : "Cette solidarité imposée pose la question de sa soutenabilité dans une période de difficultés sanitaires et économiques pour l’ensemble de la population polynésienne."
 
Côté gouvernement, le ministre de l'Économie Yvonnick Raffin assume pleinement ce soutien. "La première proposition a été une augmentation de +20 Fcfp", expliquait la semaine dernière le ministre, en référence aux discussions récentes avec les pêcheurs sur la hausse opérée au 1er juillet. "Ce qui a été acté après échange et avec une clause de revoyure au mois de septembre, c'est un ajustement de +9 Fcfp par litre pour le gasoil pêcheurs et de +2 Fcfp par litre pour l'essence. Mais si on devait appliquer le vrai prix, ce ne serait pas +9 Fcfp, ni +20 Fcfp, ce serait +50 à +60 Fcfp. Il ne s'agit pas d'en arriver là, puisqu'il y a un intérêt à accompagner l'ensemble de la profession. Là, pour le coup, nous avons accès à leurs comptes d'exploitation, leurs bilans comptables et ils n'arrivent pas à les équilibrer sans cette subvention du Pays. Malheureusement, c'est une réalité."
 
"Que tout le monde puisse vivre"
 
Chez les professionnels, on confirme que le secteur ne pourrait pas se passer du carburant subventionné. "On a négocié. J'ai demandé +8 Fcfp. Ils ont proposé +10 Fcfp. Et on a arrêté à +9 Fcfp. Mais seulement pour deux mois, parce que je sais que les cours du pétrole au Qatar vont baisser, donc on se revoit au mois de septembre", affirme, un brin optimiste, le président du syndicat des pêcheurs, Jaros Otcenasek. Augmenter le coût du carburant dans les mêmes proportions que le commun des automobilistes ? "Non, c'est trop compliqué vu ce qui se passe à l'international. Sur l'export, on est complètement pénalisés avec le transport maritime et les navires bloqués en Nouvelle-Zélande. L'export a diminué, donc il faut trouver le meilleur compromis pour que tout le monde puisse vivre : thoniers, bonitiers, poti marara…" Quant au fait d'apparaître comme des "privilégiés" aux yeux des autres consommateurs, le président du syndicat met en avant son lobbying actif : "Mais il faut que la population se manifeste aussi. Nous les pêcheurs, on s'est toujours levés. Si la population se lève, on travaillera ensemble pour demander une baisse pour tout le monde."
 
Reste qu'avec un FRPH qui se creuse encore aujourd'hui jusqu'à près de 700 millions de Fcfp supplémentaires par mois pour amortir le coût réel des carburants, ce n'est pas vraiment la baisse des carburants qui se profile dans les prochains mois. Mais plutôt l'inverse.
 

Rédigé par Antoine Samoyeau le Mardi 2 Août 2022 à 22:47 | Lu 2715 fois