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Bras de fer (à cheval) au domaine Labbé


Le domaine Labbé est destiné à d’autres projets par le gouvernement. (Photos : TahitiZoom)
Le domaine Labbé est destiné à d’autres projets par le gouvernement. (Photos : TahitiZoom)
Tahiti, le 9 avril 2024 - L’équitation à Pirae sur le domaine Labbé, c’est terminé. Le vieux dossier lancé par le précédent gouvernement qui vise à relocaliser les activités hippiques du Fenua a connu un nouveau rebondissement le 4 avril dernier. Par lettre d’huissier, la Direction des affaires foncières, mandatée par la vice-présidence, ordonne aux associations et clubs équestres de vider les lieux sous quinzaine.
 
C’est un véritable coup de tonnerre sur ce domaine de 7 hectares qui abrite depuis des dizaines d’années les cavaliers de Polynésie française et qui est le lieu, chaque année, des finales de cross scolaires. L’association hippique et les clubs qui y sont affiliés ont 15 jours pour vider les lieux.
 
Le dossier ne date pourtant pas d’hier. En 2014 déjà, le Pays, sous l’impulsion d’Édouard Fritch, profitait de la fin du bail accordé par le Pays sur le domaine Labbé à l’Association hippique et d’encouragement à l’élevage de Polynésie française (AHEE) – troisième fédération sportive du Fenua derrière le va’a et le football –, pour demander à l’association et aux clubs de quitter les lieux. Une proposition de relocalisation de l’hippodrome était émise à Mataiea, ou Atimaono.
 
À l’époque, la commune de Pirae souhaitait lancer un train de construction de logement sociaux dans le cadre de son Projet de rénovation urbaine (PRU) et le maire Fritch avait demandé au président Fritch la rétrocession des terrains à la commune. Un vœu qui avait naturellement été exaucé.

Procédure judiciaire

Les courses devront se dérouler dans un autre lieu. (Photos : TahitiZoom)
Les courses devront se dérouler dans un autre lieu. (Photos : TahitiZoom)
Mais trois ans plus tard, la mairie de Pirae, bloquée dans son avancement de projets par les recours devant les tribunaux intentés par l’AHEE, jetait l’éponge et les terrains retournaient dans le parc domanial du Pays.
 
Les procès se sont succédé entre le Pays et l’association hippique et toutes les décisions de justice sont allées dans le sens du Pays en ce qui concerne sa demande de récupération des 7 hectares du domaine Labbé. Un dernier recours est en cours, en cassation celui-ci. La vie équestre a pu continuer sur le site, mais en dehors de toute convention avec le Pays, autre que sportive.
 
Mais alors que la justice n’a pas encore donné son ultime décision, le Pays a décidé de relancer le dossier, de demander aux cavaliers et aux chevaux de s’installer ailleurs, pour, à son tour, lancer ses projets, pour l’heure tenus secrets. Une position très risquée du gouvernement si la Cour de cassation annule les précédents jugements.
 
“C’est un dossier qui ne date pas de l’année dernière, et les membres de l’association hippiques sont parfaitement au courant. Ils ont eu dix ans pour se préparer à déménager”, expliquait ce mardi la vice-présidente du Pays, Éliane Tevahitua. “Il y a six décisions de justice qui vont dans notre sens”, poursuit Hinatea Paoletti, conseillère technique en charge du dossier. “Le Pays a gagné à chaque fois.”
 
“On a envoyé l’huissier pour faire constater qu’ils sont toujours là, neuf ans après la perte du bail, sans payer”, reprend la vice-présidente. La Direction des affaires foncière préparerait de son côté une facture de 700 millions de franc de loyers impayés pour appuyer l’expulsion des cavaliers.

“Pour aller où ?”

La fête du cheval ne sera bientôt plus qu’un souvenir à Pirae. (Photo : Archives TI)
La fête du cheval ne sera bientôt plus qu’un souvenir à Pirae. (Photo : Archives TI)
Du côté de l’association, on s’offusque de voir ce site, réservé depuis près de 70 ans à l’équitation, se transformer en zone de logements, sans se soucier, ni du devenir des chevaux, ni de celui des adhérents, et encore moins de l’avenir même de l’activité équestre aux Fenua.
 
Le domaine Labbé est devenu depuis très longtemps un lieu prisé par les centres de loisirs qui organisent des stages, ainsi que les écoles qui font aussi des classes équestres. Une délocalisation serait une catastrophe pour les clubs qui restent convaincus que ce site en zone urbaine est une chance, et non juste une perte de foncier. Sans parler des nombreux propriétaires de chevaux qui ne peuvent pas reprendre leurs équidés chez eux. On estime à 200 le nombre de chevaux et poneys que l’association et les clubs devront déplacer… mais où ?
 
“Admettons : toute l’activité équestre déménage. Pour aller où ?”, se demandait un moniteur mardi. “200 chevaux et poneys, des infrastructures à reconstruire, des manèges, des dizaines d’emplois concernés, cela ne se fait pas en deux semaines comme le stipule la lettre de l’huissier. C’est comme si demain, on disait à tous les clubs de football ‘On récupère les terrains pour faire des maisons. Allez jouer ailleurs’, c’est aberrant.”
 
Mardi, nous apprenions que la ministre des Sports, Nahema Temarii, ignorait que la sommation de quitter les lieux avait été envoyée à l’association hippique et serait furieuse de la situation qu’elle aurait promis d’évoquer au conseil des ministres.
 
“Ça fait quand même neuf ans que cela dure”, leur rétorque Éliane Tevahitua. “Depuis 2014, le Pays a fait plusieurs propositions. Toutes refusées”, poursuit Hinatea Paoletti. “On vient de le refaire. La Direction des affaires foncières est en train de travailler pour leur proposer d’autres lieux, plus grands, mieux adaptés, mais ce ne sera pas en ville.”
 
La vice-présidente expliquait mardi qu’elle ne souhaitait pas que la sommation de vider les lieux sous quinzaine s’applique à la lettre. À la demande de la fédération, un rendez-vous a été organisé. Il est programmé le 23 avril prochain, soit après la date d’expiration de la sommation. Un délai “raisonnable” sera accordé afin que l’association mette en œuvre son déménagement sur un terrain proposé par le Pays, avec convention et loyer modéré. Et si l’association refuse, “alors qu’ils trouvent un terrain dans le privé”, sanctionne la vice-présidente. “Mais s’ils mettent un an à trouver un terrain dans le privé, on ne sera plus dans le raisonnable”, prévient-elle.

Rédigé par Bertrand PREVOST le Mardi 9 Avril 2024 à 17:33 | Lu 6491 fois