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Ayana Champot ou la volonté de changer


TAHITI, le 14 décembre 2022 - Ayana Champot a 24 ans et a fondé Biobase en juin 2022. Son objectif ? Proposer une alternative aux plastiques qui polluent les plages et les vallées du fenua. Selon elle, comme le consommateur ne change pas ses habitudes c’est au producteur d’assumer ses responsabilités.

Biobase fête ses six mois d’existence. Le projet lancé par Ayana Champot consiste en une production d’emballages et papiers à base de ressources renouvelables. Plusieurs fibres sont à l’essai et donnent des résultats très encourageants : la fibre de bananier, de canne à sucre, d’ananas et de coco. Ayana Champot et son compagnon Ioteve Mendolia qui a rejoint l’aventure proposent des sacs. Ils travaillent sur des sous-bocks et des cartes postales avec l’artiste Ravage chargé des designs. Ils ont imaginé des papiers magiques. “Ce sont des papiers à base de fibres naturelles dans lesquels nous avons intégrés des graines de basilic et qui peuvent être plantés.” Cette création a vu le jour pour le salon du livre en novembre. “Nous faisons à présent des tests pour pouvoir proposer des barquettes alimentaires, des pots pour des semis.”

Devenir compétitif, un vrai combat

Le couple produit et mène en parallèle des recherches pour trouver de nouvelles recettes. “Nous faisons de la recherche et du développement en permanence”, affirme Ayana Champot dont le but ultime est de proposer une alternative abordable au plastique. Elle a conscience qu’aujourd’hui, ses produits ont un coût de revient beaucoup trop élevé et qu’ils sont difficilement diffusables à grande échelle. “C’est un combat difficile qu’il faut encore mener pour devenir compétitif.” Mais elle ne baisse pas les bras. Le chemin déjà parcouru lui donne confiance. Des entreprises du secteur privé, des galeries et artistes, le Pays et le haut-commissariat lui ont déjà passé commandes. Les médias s’intéressent à Biobase. “Des journalistes de TF1 sont venus faire un reportage à la maison le 12 décembre”, raconte-t-elle. Des écoles la contactent pour lui demander d’intervenir dans les classes afin qu’elle détaille son projet, son parcours et ses attentes. Directeurs et enseignants espèrent ainsi déclencher des vocations et sensibiliser les enfants à l’économie circulaire et à la préservation des ressources. “Malheureusement, nous ne pouvons pas encore y répondre positivement", regrette Ayana Champot. “Nous n’avons pas assez de temps, nous ne sommes que deux pour tous gérer.” Le couple est seulement assisté de deux personnes en phase de production.


Une enfance proche de la nature

Ayana Champot est née à Moorea. Elle a grandi dans la nature, son père avait construit la maison familiale dans un arbre. Elle sait aujourd’hui que son envie, profonde, de changer les choses, de produire dans le respect de l’environnement, son attachement à l’environnement viennent de là. Un drame est survenu lorsqu’elle avait dix ans. Son père est décédé, noyé. “C’était un surfeur, il est mort de ce qu’il aimait, de l’eau.” Cela reste un traumatisme. “La nature reste très ancrée.” À la suite de l’accident, Ayana Champot est allée en France, deux ou trois ans, pour se rapprocher d’une partie de sa famille. À son retour en Polynésie, elle a suivi son année de troisième à Moorea avant de s’inscrire au lycée Raapoto à Tahiti. À l’âge de 15/16 ans, elle vivait seule, en ville. Il est des épreuves qui font grandir vite.

Ayana Chambot a songé très jeune à devenir infirmière. “Je voulais prendre soin des gens”, dit-elle. Une fois son baccalauréat en poche, elle a passé le concours d’entrée à l’école d’infirmière. “J’ai eu l’écrit, mais pas l’oral, j’y ai vu un signe, je n’ai pas insisté.” Elle a changé de cap, s’est inscrite à l’École de commerce de Tahiti (ECT). “J’avais plein d’idées que je voulais concrétiser, comme monter un village en bambou.” Lancer une entreprise respectueuse de l’environnement, telle était son envie. “Je ne comprenais pas, et je ne comprends toujours pas, pourquoi ce n’est pas une évidence pour tout le monde.” Elle reconnaît ne pas être personnellement parfaite et irréprochable, “parfois cela m’arrive d’utiliser du plastique”, confie-t-elle. “Mais je tenais à un projet qui fasse sens.

Dans les coulisses du business

Ses études à l’ECT ont duré trois ans. Elle a fait plusieurs stages, dont un en Espagne sur la Costa Brava et un autre en Nouvelle-Zélande. À Auckland, elle a travaillé au sein d’un organisme qui œuvrait pour la coopération Pacifique, “j’ai appris beaucoup sur la région”. Ses incursions dans le monde professionnel l’ont surtout aidée à savoir ce qu’elle ne voulait pas faire. Elles lui ont donné accès aux coulisses de la production, la consommation, le marketing. “J’ai appris à être moi-même moins facilement manipulable.” Selon Ayana Chambot, les entreprises ont “un pouvoir énorme”. Leurs responsabilités sont à la hauteur de ce pouvoir.

Après avoir eu son diplôme, elle a cherché un emploi, “il me fallait bien un peu d’argent”, mais elle n’a pas trouvé d’endroit où s’épanouir avec fierté. Elle a donc fait des remplacements en école. Elle était à Saint Michel, à Tahiti. Elle a su tout de suite qu’elle n’en ferait pas son métier. Mais l’expérience a été très enrichissante. Elle reste admirative de ceux qui partagent leur savoir. Ayana Chambot a vu leurs responsabilités, et l’importance de l’école. Les conséquences du Covid étaient prégnantes. “On voyait une nette différence entre les enfants qui, pendant le confinement, avaient été suivis, et les autres.”

En 2020, elle est retournée fouiller dans sa nasse d’idées. Elle s’est lancée dans la fabrication d’alternatives au plastique. Elle a démarré dans sa cuisine, avec pour seul guide des vidéos en ligne. La nature est jonchée de plastique, “les habitudes des consommateurs ne changent pas, je me suis dit qu’il revenait au producteur de proposer des solutions qui n’aient pas d’impact même si les sacs et emballages continuaient à être jetés n’importe où.”

Ayana Chambot a cherché des solutions végétales, “mais sans avoir à couper des arbres pour cela”. Elle a imaginé utiliser des pestes végétales comme le miconia. “Mais en donnant de la valeur à ces espèces est-ce que je n’allais encourager les gens à en planter ?” Elle a fait le point sur les déchets à valoriser : bagasse, bananiers, ananas… Elle a regardé des tutoriels décrivant notamment la fabrication de papiers végétaux. “Cela existe depuis la nuit des temps.” Mais nulle part ne se trouvaient les dosages, temps de cuisson, paramètres. “J’avais la preuve que c’était possible, que ça existait, mais je n’avais aucune recette.” Il lui a fallu deux années pour parvenir à des produits aboutis, résistants, commercialisables. En ressortant ses premiers résultats, elle rit. “Ce n’était vraiment pas bon.”

Elle a été incubée par Prism, elle faisait partie de la promotion numéro 5 en 2021. Le projet s’appelait alors Eco-systems. Biobase est le nom d’une patente depuis juin 2022. En 2023, cela sera le nom d’une société. Bientôt, Ayana Chambot et Ioteve Mendolia devraient intégrer un local pour augmenter leur production et poursuivre leurs recherches.

Depuis juin, Biobase a réalisé 2 000 sacs de différents formats. Le couple, qui est épaulé par deux personnes en phase de production, reçoit 200 kg de bananiers chaque semaine. Il faut ensuite les traiter rapidement pour ne pas que les feuilles pourrissent. Mais la fibre d’avenir reste la canne à sucre selon Ayana Champot. Elle est résistante et pourra servir dans l’alimentaire et le jardinage. Le chemin est encore long, mais la motivation d’Ayana Chambot est à la hauteur des obstacles à venir.

Contacts

FB : Biobase

Rédigé par Delphine Barrais le Mercredi 14 Décembre 2022 à 21:27 | Lu 2346 fois