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Autonomie et indépendance, des lignes mouvantes


Tahiti, le 23 mars 2023 – Le Tavini a-t-il toujours un discours indépendantiste et le Tapura a-t-il toujours un discours autonomiste ? À l'heure des déclarations politiques destinées à rassurer ou à ouvrir l'électorat dans chacun des deux camps, le professeur des universités et politologue Sémir Al Wardi répond aux questions de Tahiti Infos sur l'évolution du positionnement idéologique des deux partis.
 
Dans une stratégie d'ouverture de l'électorat du Tavini huiraatira pour les prochaines élections territoriales, le député et candidat désigné pour la présidence en cas de victoire, Moetai Brotherson, a positionné l'État comme un “partenaire incontournable” la semaine dernière lors du congrès du parti. Peut-on voir dans ce discours, surtout destiné à rassurer les électeurs sur la capacité à gouverner du Tavini, une évolution dans le positionnement idéologique du parti d'Oscar Temaru sur l'indépendance ?

“La stratégie électorale du Tavini qui consiste à rassurer les électeurs en abordant d’autres thèmes que l’indépendance a déjà été utilisée en 2004 (lutte pour la sauvegarde de la démocratie) et en 2022 (la question sociale et les problèmes économiques). On aborde ces seuls sujets et non l’indépendance, sachant que la population n’est pas prête. Oscar Temaru avait lui-même reconnu que le peuple polynésien devait “être éduqué” avant d’accéder à l’indépendance. Lorsqu’il a déclaré, en décembre 2022, que les prochaines élections territoriales ont valeur de référendum, c’était précipiter le parti vers l’échec. Ainsi Moetai Brotherson a dit le contraire lors du congrès du Tavini. Depuis, il s’agit d’aller plus loin comme futur dirigeant de la Polynésie, en expliquant cette nouvelle approche de l’État qui n’est plus un État colonial mais un partenaire. Le discours autonomiste et indépendantiste se rejoignent sur le principe de réalité.”
 
Sur le même sujet, est-ce que vous constatez une approche différente du Tavini sur les modalités d'accession à l'indépendance, lorsqu'on entend davantage aujourd'hui qu'il faut d'abord créer les conditions de l'indépendance pour mieux y accéder ensuite, alors qu'on pouvait entendre auparavant des discours sur la nécessaire immédiateté de la démarche d'accession à la pleine souveraineté ?

“Ce discours a en réalité toujours existé. En fait, cela dépendait des circonstances et les deux attitudes se chevauchaient. Si la discussion était apaisée, Oscar Temaru proposait un temps long pour préparer le pays sur le plan économique, mais aussi préparer les mentalités. Mais si un événement embarrassait le Tavini (comme la police qui bouscule Oscar Temaru à l’IRD à Nouméa), alors Oscar Temaru réclamait une indépendance immédiate. Mais d’une manière générale, c’est le temps long qui a prévalu."
 
Du côté du Tapura huiraatira maintenant, le président Édouard Fritch a évoqué lors de son propre congrès l'État comme un “partenaire privilégié”. Là-aussi, est-ce une évolution du discours autonomiste par rapport à la France ?

“Non, c’est un des fondements de la culture politique polynésienne : voir l’État comme un partenaire à égalité et non se voir comme une collectivité territoriale subordonnée à l’État. En Tahitien, l’État se dit Hau Farani et la Polynésie Hau Fenua. Nous avons dans les deux cas “Hau” qui signifie notamment pouvoir mais aussi sagesse. Les autonomistes ont souvent utilisé le terme de partenaire pour qualifier l’État. Nous sommes là dans une continuité de la culture politique.”
 
Peut-on tout de même déceler, après neuf ans de gouvernance du Tapura huiraatira d'Édouard Fritch, une évolution du positionnement idéologique par rapport au discours des leaders autonomistes précédents notamment ?

“La nouveauté, c’est d’abord le discours d’Édouard Fritch à l’ONU en 2016 : ‘En tant qu’autonomistes, nous sommes parfaitement conscients que notre histoire n’est pas celle de la France ; que notre mode de vie océanien et tropical, n’est pas celui de la France européenne. Il y a simplement le fait que les autonomistes, conscients de l’étroitesse de leur terre de 4 000 km2, et du faible nombre de leur population de 280 000 habitants, ont une approche et une vision réalistes de leur pays face à l’interdépendance des nations et à la mondialisation des échanges.‘ On retiendra le terme de ‘réaliste’ qui suggère que seule la raison conduit le choix de rester dans la République. Maco Tevane disait : ‘Tous les Polynésiens sont indépendantistes de cœur, seule la raison diffère les uns des autres‘. Le discours d’Édouard Fritch a évolué aussi quand, en 2021, Il a laissé entendre qu'il n'était pas opposé à l'indépendance qui est inévitable (...). À un moment on va y venir, peut-être parce que la France n'aura plus de budget (…) ou en aura marre de nous. Et surtout que c'est dans notre sang. Tout en précisant : Je ne vais pas choisir l'indépendance pour mon peuple mais je vais lui laisser le choix et s'il faut un référendum, pourquoi pas ? en rappelant au passage que la crise est actuellement le principal souci. En clair, le thème de l’indépendance est dédiabolisé de façon générale et ce sont les thèmes socio-économiques qui l’emportent dans le discours politique.”
 

Rédigé par Antoine Samoyeau le Jeudi 23 Mars 2023 à 16:24 | Lu 3027 fois