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Assistants FN: la justice a demandé au Parlement européen de lever l'immunité de Marine Le Pen


Paris, France | AFP | vendredi 14/04/2017 - A neuf jours de la présidentielle, le calendrier des affaires continue de se télescoper avec la campagne: la justice a demandé la levée de l'immunité d'eurodéputée de Marine Le Pen, visée par une enquête sur des soupçons d'emplois fictifs d'assistants du Front national au Parlement européen.

Les juges d'instruction financiers ont adressé des demandes de levée d'immunité parlementaire de Marine Le Pen et d'une autre députée européenne frontiste, Marie-Christine Boutonnet, qui ont été signées respectivement les 29 et 30 mars, a affirmé vendredi une source judiciaire à l'AFP, confirmant une information d'Europe 1. "C'est normal, c'est la procédure tout à fait classique, je suis pas étonnée", a réagi la candidate du parti d'extrême droite à la présidentielle sur franceinfo.

Son avocat Rodolphe Bosselut s'en est en revanche "étonné" auprès de l'AFP, "puisqu'il y avait l'engagement pris par Marine Le Pen de se présenter devant les juges après les législatives, sous réserve des résultats de l'élection présidentielle".
Selon une source proche du dossier, "ces demandes sont motivées sur le fond et sur le refus des personnes de comparaître".
La candidate frontiste, qui reste dans le duo de tête des intentions de vote pour le premier tour, avait en effet invoqué son immunité parlementaire pour refuser de se rendre, le 10 mars, à une convocation des juges en vue d'une possible mise en examen dans ce dossier.
Marie-Christine Boutonnet n'avait pas non plus répondu à une convocation début mars chez les juges, qui enquêtent sur un éventuel système organisé par le FN pour rémunérer des permanents du parti avec des fonds publics de l'Union européenne, via ces contrats d'assistants au Parlement européen.
"Les magistrats instructeurs ont tiré toutes les conséquences qui s'imposaient de la décision de Marine Le Pen de ne pas répondre à leur convocation", a déclaré à l'AFP Patrick Maisonneuve, avocat du Parlement européen qui s'est constitué partie civile. "Il va falloir qu'elle réponde à un moment ou un autre des indices graves ou concordants recueillis par les magistrats."
 

- Pas avant la présidentielle -

 
La demande des juges ne devrait pas aboutir avant la présidentielle: en 2016, l'examen de la quinzaine de demandes de levée d'immunité reçues au Parlement européen a pris entre quatre et huit mois. Les requêtes des juges français devaient notamment transiter, comme le veut la procédure, par la Chancellerie avant d'être envoyées au Parlement de Strasbourg.
Selon une source proche du dossier, elles ne sont pas encore arrivées devant la commission des affaires juridiques du Parlement, chargée de se prononcer pour ou contre la levée de l'immunité lors d'un vote au terme d'un débat, avant un second vote décisif en assemblée plénière. La présidente du FN devrait vraisemblablement être convoquée au cours de cette procédure pour s'expliquer devant cette commission.
Dans cette affaire, les juges ont déjà mis en examen pour "recel d'abus de confiance" deux assistants parlementaires, Charles Hourcade, un temps employé comme graphiste au siège français du parti, ainsi que Catherine Griset, recensée comme chef de cabinet de Marine Le Pen au FN.
Le candidat de la droite à l'Elysée, François Fillon, dont la campagne est également empoisonnée par l'affaire judiciaire sur des soupçons d'emplois fictifs de son épouse et de ses enfants comme assistants parlementaires, avait, lui, choisi de se rendre chez les juges tout en dénonçant une "machination".
"On ne peut pas être président de la République si on ne respecte pas les institutions", a estimé vendredi Nicolas Dupont-Aignan, autre candidat à la présidentielle, sur BFMTV-RMC: "Que la justice passe, que les hommes politiques respectent la justice et que la justice respecte les hommes politiques, dans le respect des lois et la présomption d'innocence, pour que tout se passe de manière apaisée". 
Contrairement à un justiciable ordinaire, un député européen ne peut être contraint à se présenter devant les juges.
Si l'immunité parlementaire ne protège pas un député d'une mise en examen, elle doit être levée pour permettre des mesures coercitives (contrôle judiciaire, garde à vue ou mandat d'amener devant un juge d'instruction). Cela a été effectué dans un autre dossier, où il est reproché à la présidente du FN d'avoir diffusé sur Twitter des images d'exactions du groupe jihadiste Etat islamique.

Enquête : le FN a-t-il organisé un système pour rémunérer ses permanents?

Le Front national et Marine Le Pen ont-ils profité depuis des années de l'argent public européen pour rémunérer des permanents comme assistants au Parlement européen? Des éléments réunis par les enquêteurs ainsi que des témoignages à l'AFP semblent accréditer ces soupçons, démentis par le parti.
En janvier 2014, avant même le triomphe frontiste aux européennes, le gendarme antifraude de l'Union européenne, l'Olaf, ouvre une procédure après une lettre anonyme sur des soupçons d'emploi fictif d'assistants parlementaires par l'eurodéputée Marine Le Pen depuis 2009.
L'affaire change d'ampleur en mars 2015, lorsque le président du Parlement européen de l'époque, le socialiste allemand Martin Schulz, saisit l'Olaf et la justice française concernant une vingtaine d'assistants apparaissant sur l'organigramme du parti d'extrême droite.
Le Parlement a lancé des procédures de recouvrement pour un total de 1,1 million d'euros concernant six eurodéputés FN, dont Marine Le Pen (340.000 euros).
En décembre, les juges d'instruction ont pris le relais de l'enquête préliminaire du parquet de Paris.
 

- Avant 2014, les "vases communicants"? -

 
Les enquêteurs ont mis la main sur un courriel du 13 septembre 2012 adressé au trésorier du parti, Wallerand de Saint Just, et à une salariée du cabinet d'experts-comptables qui sert de tiers-payant pour les salaires d'assistants parlementaires, a appris l'AFP de source proche du dossier.
L'auteur, Charles Van Houtte, personnage central dans l'organisation du FN à Bruxelles, écrit: "Voici les modifications à apporter aux différents contrats, suite à la réunion qui a eu lieu à Strasbourg (...) Wallerand, Marine demande que vous informiez les salariés".
Le mail détaille des "vases communicants pour ne pas dépasser le budget de 21.209 euros de dotation" mensuelle par eurodéputé: "CDI de Yann" Maréchal Le Pen, chargée des grands événements au FN, "sur BG (Bruno Gollnisch, NDLR) à partir du 1/5/2012. Pas possible de la mettre sur autre contrat".
Suit le descriptif de ce qui ressemble à un jeu de chaises musicales entre assistants et eurodéputés avec, en pièce jointe, un tableau où apparaissent ces projections.
"Il est normal que les budgets alloués aux parlementaires soient utilisés. Tout ça n'apporte en aucun cas la moindre preuve que ces gens n'ont pas travaillé comme assistants parlementaires", a réagi M. de Saint Just, interrogé par l'AFP.
Pour lui, ce courriel recense des préconisations, pas forcément suivies de modifications contractuelles.
Contacté, M. Van Houtte n'a pas répondu.
 

- Après 2014, un nouveau tableau? -

 
Mai 2014, après les élections, le FN passe de trois à 24 eurodéputés.
Les enquêteurs ont saisi une lettre potentiellement cruciale. "Dans les années à venir et dans tous les cas de figure, nous ne nous en sortirons que si nous faisons des économies importantes grâce au Parlement européen et si nous obtenons des reversements supplémentaires", écrit le 16 juin 2014 Wallerand de Saint Just à Marine Le Pen.
L'argentier du FN assure aujourd'hui que les économies attendues portaient sur les salariés du parti devenant eurodéputés, dont les contrats de travail s'interrompraient. Plusieurs autres documents saisis font état d'"économies avec européennes" ou "dues aux députés européens".
Aymeric Chauprade, élu à Strasbourg en 2014 mais qui a depuis rompu avec Marine Le Pen, affirme que la présidente du FN a demandé aux eurodéputés lors d'une réunion le 4 juin 2014 qu'ils embauchent chacun au moins un assistant parlementaire pour le parti. "Un affabulateur", a répondu la candidate à la présidentielle.
Certains "ont été mis là juste pour être salariés" par le Parlement européen, confirme pourtant à l'AFP un actuel assistant frontiste, qui a requis l'anonymat. Quatre sources en rupture avec le FN ont affirmé à l'AFP que Marine Le Pen avait un rôle de décideur en matière d'emploi d'assistants parlementaires européens.
Cheville ouvrière de leur gestion, M. Van Houtte. D'après une source proche du dossier, le représentant du Parlement européen a dit aux juges que les élus FN l'avaient comme "même responsable administratif à Bruxelles (...) Il était notre principal interlocuteur".
M. Van Houtte a simplement confirmé à l'AFP avoir "collecté des procurations" en début de mandature permettant de "consulter les soldes des budgets des députés pour les assistants".
Mais selon le témoignage à l'AFP d'une des sources en rupture avec le FN, il y a eu après 2014 comme avant "un tableau globalisé de gestion des assistants" qui aurait été géré à nouveau par M. Van Houtte. "Ça dit +untel, on peut le mettre là, untel ici, en profitant de telle enveloppe financière+".
"Chacun fantasme sur ces documents que je ne connais pas. Il n'y a eu aucun emploi fictif", a répondu M. de Saint Just.
Le FN a choisi la stratégie du silence face aux juges d'instruction. Deux assistants parlementaires ont été mis en examen et deux eurodéputées, Marie-Christine Boutonnet mais surtout Marine Le Pen, ont refusé de répondre à leur convocation avant la présidentielle.
Décidée à les entendre, la justice française a demandé au Parlement européen la levée de leur immunité.
 
par Guillaume DAUDIN et Andrea BAMBINO

le Vendredi 14 Avril 2017 à 04:51 | Lu 526 fois