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À Waikiki, tout fout le camp… même la plage


Tahiti, le 26 novembre 2021 - Le mythe part en lambeaux. Waikiki peine à se remettre de la crise sanitaire. Les touristes qui la fréquentent encore sont moins nombreux et moins riches qu'auparavant. Et dans le même temps, l'érosion ronge les plages et le bord de mer sans que les autorités ne prennent de mesures concrètes pour empêcher le désastre. Visite. 

“Sad, unsafe, dirty”. Ces trois qualificatifs anglais (“triste, peu sécurisant et sale”), sont bien sûr à relativiser quand on parle de Waikiki, mais tout de même, une semaine sur place nous a permis de mettre en lumière bien des points noirs venant enlaidir l’image de carte postale paradisiaque de cette destination.

Ce petit centre commercial dans une rue proche du Hard Rock Café illustre le malaise que connaît Waikiki. Au premier étage, plus de la moitié des boutiques sont fermées : “on sale” ou “on lease” peut-on lire sur les portes...
Ce petit centre commercial dans une rue proche du Hard Rock Café illustre le malaise que connaît Waikiki. Au premier étage, plus de la moitié des boutiques sont fermées : “on sale” ou “on lease” peut-on lire sur les portes...
Boutiques et restaurants au ralenti
 
Triste, car nombre de magasins, boutiques ou bars-restaurants ont mis la clé sous la porte. Dans les grands et les petits centres commerciaux, les boutiques en rez-de-chaussée ont réduit la voilure en termes de personnel et surtout d’horaires, alors que les emplacements situés dans les étages sont très souvent déserts quand ils ne sont pas plus simplement fermés. 

Les horaires en outre ne sont plus ceux de Waikiki il y a deux ans. 

Certaines grandes enseignes n’ouvrent plus qu’à partir de midi pour fermer leurs portes à 20 heures, voire à 21 heures. En clair, le personnel a été réduit et les plages horaires ont fait de même. Ce qui ne permet guère d’animer certaines rues le matin... Beaucoup de jeunes ont été recrutés : ils coûtent moins cher que les titulaires ayant de l’ancienneté et ayant de ce fait perdu leur travail durant la période de confinement, lorsque tout était fermé. Les amortisseurs sociaux aux États-Unis, et donc à Hawaii, sont extrêmement réduits et la casse sociale a été importante.

Côté ambiance, les restaurants affichent certes presque toujours complets le soir, mais les mesures de distanciation et la diminution drastique du nombre de tables sont plus responsables de cet état de fait que la fréquentation habituelle. A la mi-journée, des établissements comme le Duke par exemple sont devenus des havres de paix et de tranquillité, loin de l’agitation extrême qui y régnait il y a encore deux ans. Idem pour le Hula, un étage plus haut ; il n’y a d’ailleurs souvent plus de réservations à l’avance ; il faut se présenter à partir de 17 heures et faire la queue pour savoir à quelle heure on sera servi. L’un des membres de la famille doit donc se sacrifier en fin d’après-midi. Il est également bon de rappeler que la présentation de son schéma vaccinal complet et de son passeport, avec port du masque bien entendu, sont obligatoires dans tous les établissements de restauration.

Omniprésents, souvent ivres morts quand ils ne sont pas sous l’emprise de drogues, les “homeless”, les SDF, sont partout à Waikiki.
Omniprésents, souvent ivres morts quand ils ne sont pas sous l’emprise de drogues, les “homeless”, les SDF, sont partout à Waikiki.
Des “homeless” omniprésents
 
Peu sécurisante, Waikiki l’est incontestablement à cause de l’explosion du nombre de “homeless”, comprenez de personnes aujourd’hui sans abri, sans revenus ou presque et sans aucune perspective de retrouver un travail ou un logement décent. C’est particulièrement vrai dans le secteur pourtant très touristique de la statue du Duke, du fait de l’aide que leur fournit la paroisse catholique de Sainte-Augustine by the Sea (créée en 1854, donc très ancienne). 

On ne reprochera bien entendu pas aux religieux de cet établissement leur œuvre de charité, pas plus qu’on ne peut la reprocher à Père Christophe à Tahiti, mais le fait est que les SDF s’agglutinent volontiers dans le secteur, attendant de pouvoir y recevoir de quoi manger. Ce sont les Picpus, membres de l’ordre des Sacrés Cœurs de Jésus et de Marie qui gèrent cette paroisse et sa double casquette : centre d’aide aux SDF (peu touristique...) et musée du père Damien de Molokai (le musée contient des reliques du père ayant soigné les lépreux à Molokai et une vidéo d’une vingtaine de minutes résume son œuvre exceptionnelle).

De l’alcool et de la drogue circulent au sein de cette population misérable et souvent certains de ces SDF se montrent très agressifs, notamment envers les policiers qui tentent, tant bien que mal, de faire respecter un peu d’ordre et de déloger les plus récalcitrants…

Les religieux de l’église St-Augustine of the Sea font de leur mieux pour aider les SDF, mais en même temps ils les fixent sur Waikiki, ce dont se plaignent certains commerçants.
Les religieux de l’église St-Augustine of the Sea font de leur mieux pour aider les SDF, mais en même temps ils les fixent sur Waikiki, ce dont se plaignent certains commerçants.
Relâchement dans la propreté
 
Sale : le qualificatif, si on compare les rues de Waikiki à celles de Papeete, semblera très exagéré, mais le fait est que les trottoirs et axes piétonniers sont loin d’être aussi proprets qu’ils le furent dans le passé. En cause, les déchets jetés à terre, papiers gras et canettes notamment, qui ont tendance non seulement à “fleurir” un peu trop, mais qui parfois ont aussi tendance à demeurer sur place faute de balayeurs. 

La ville a-t-elle réduit la voilure elle aussi en termes de personnel communal ? Toujours est-il que la légendaire propreté de Waikiki a pris un petit coup dans l’aile, beaucoup de trottoirs notamment demandant le passage d’un coup de karcher.

Pour couronner le tout, l’un des accès à la mer, où les surfeurs rangent leurs long-boards, a fait récemment l’objet d’un incendie volontaire. 

Pour les besoins de l’enquête, pour les assurances aussi, la remise en état de ce secteur semble quelque peu traîner, ce qui ajoute au sentiment général de malaise que ressentent les habitués.

Le petit marché de babioles, il y a encore deux ans très fréquenté, connaît aujourd’hui une période de calme. Les touristes y sont nettement moins nombreux.
Le petit marché de babioles, il y a encore deux ans très fréquenté, connaît aujourd’hui une période de calme. Les touristes y sont nettement moins nombreux.
Une clientèle moins haut de gamme
 
Enfin, dernier point mais non des moindres, si Waikiki peut se targuer d’avoir conservé, en données statistiques brutes, soixante pour cent de sa fréquentation de 2019, en réalité, les touristes d’aujourd’hui n’ont que peu de rapport avec ceux de l’avant Covid. 
La moitié au moins de la fréquentation touristique était en effet fournie par une clientèle asiatique (Chinois et Japonais essentiellement), prenant littéralement d’assaut les boutiques de luxe, voire de grand luxe. Aujourd’hui, c’est une clientèle essentiellement nord-américaine qui profite de tarifs sacrifiés pour venir en vacances à Waikiki à moindre coût et cette clientèle est loin d’avoir le même pouvoir d’achat que les visiteurs étrangers. 

Pour beaucoup de visiteurs, il s’agit de s’acheter à manger ici ou là à bas prix et de prendre son ou ses repas dans sa chambre. Nettement moins glamour, on en conviendra...

Bref, Waikiki semble aujourd’hui danser sur un pied. Ce qui n’est pas sans danger quand on est adepte du hula...

L'érosion ronge Waikiki

Ce passage, sur le Sheraton Boardwalk, n’est plus praticable sur une partie de son tracé ; on voit que les vagues ont emporté un morceau conséquent du chemin construit en bord de mer, l’eau s’infiltrant sous ce qui reste (pas grand-chose) des fondations de l’escalier dans l’attente de l’effondrement final.
Ce passage, sur le Sheraton Boardwalk, n’est plus praticable sur une partie de son tracé ; on voit que les vagues ont emporté un morceau conséquent du chemin construit en bord de mer, l’eau s’infiltrant sous ce qui reste (pas grand-chose) des fondations de l’escalier dans l’attente de l’effondrement final.
Waikiki, ta plage fout le camp ! En écrivant ces quelques mots, nous savons que nous avons à la fois raison et tort. Raison parce que remonter à pied du Hilton Village à la statue du Duke relève presque du parcours du combattant, tort parce que la plage de Waikiki proprement dite ne s’étend que du Sheraton et du Pink Palace au Moana Surfrider et que ce n’est pas ce petit morceau de plage qui est le plus en danger...
 
Alors que se passe-t-il aujourd’hui sur ce bord de mer si attractif, qui attirait jusqu’à six millions de touristes par an à lui seul (pour environ huit millions de touristes pour tout l’archipel hawaiien).

Personnes âgées, à mobilité réduite, jeunes enfants, femmes enceintes : ici on ne passe pas sinon à ses risques et périls. La plage la plus réputée du Pacifique ressemble à un chantier de démolition. On remarquera qu’une partie du chemin qui prolonge les blocs de béton n’a même pas de glissière de sécurité pour les marcheurs... Il y a dix ans, en septembre 2011, la plage ayant aujourd’hui disparue était alors tout à fait fréquentable. Les touristes pouvaient y bronzer, les passants la traverser sans faire d’escalade...
Personnes âgées, à mobilité réduite, jeunes enfants, femmes enceintes : ici on ne passe pas sinon à ses risques et périls. La plage la plus réputée du Pacifique ressemble à un chantier de démolition. On remarquera qu’une partie du chemin qui prolonge les blocs de béton n’a même pas de glissière de sécurité pour les marcheurs... Il y a dix ans, en septembre 2011, la plage ayant aujourd’hui disparue était alors tout à fait fréquentable. Les touristes pouvaient y bronzer, les passants la traverser sans faire d’escalade...
La faute au réchauffement
 
Le premier phénomène est planétaire et rien ni personne n’y peut grand-chose. Le niveau des océans monte partout autour du globe et Waikiki ne fait pas exception à la règle : les plages diminuent en surface, les vagues lors de fortes houles se montrent plus agressives et l’érosion est plus forte que jamais. 

Bref, le réchauffement climatique fait ici comme ailleurs son œuvre, mais si de nombreuses destinations ne restent pas les bras croisés à regarder la mer monter et détruire les infrastructures côtières, force est de constater qu’à Waikiki, on parle certes de projets, mais personne ne fait rien de bien tangible.

A l’est de Waikiki, la plage de Kuhio Beach résiste très bien, dans la mesure où depuis des décennies, des digues en béton cassent la houle, formant de véritables piscines peu profondes, très appréciées des familles. Des digues qui, soit dit en passant, mériteraient d’être consolidées et renforcées...

Séparée du reste de Waikiki d’un côté par le Waikiki Walk s’avançant très largement dans la mer (la digue fait plus de cent mètres, terminée par le petit bâtiment sans mur du Waikiki Covered Walkway into the Ocean), de l’autre par la petite digue face au Kuhio Beach Hula Show (actuellement fermé), cette partie du front de mer de Waikiki est donc relativement bien protégée des assauts de l’océan.

A l’une des extrémités de la plage proprement dite de Waikiki, une petite digue, une “diguette”, a été consolidée avec un peu de ciment. Mais elle est ridiculement trop petite pour entraver la force de l’océan.
A l’une des extrémités de la plage proprement dite de Waikiki, une petite digue, une “diguette”, a été consolidée avec un peu de ciment. Mais elle est ridiculement trop petite pour entraver la force de l’océan.
Après, ça se gâte !
 
C’est à partir de là que commence la plage proprement dite de Waikiki Beach, jusqu’au Sheraton. Elle demeure toujours très fréquentée, à la fois par la clientèle des palaces qui la bordent et par tous les touristes désireux de bronzer sur ce coin de sable mythique. 

Là encore, la digue un peu “riquiqui”, consolidée récemment devant le Sheraton, semble maintenir le sable ; mais en revanche, dès que la mer forcit, c’est vite un trottoir de sable de soixante centimètres de haut qu’elle creuse entre la parie sèche de la plage et la partie immergée, preuve que les éléments sont au travail là aussi.

C’est après que ça se gâte, et que ça se gâte même dangereusement. Le Sheraton Boardwalk n’est en effet plus praticable sur une partie de son tracé, et cela depuis plusieurs années, ce qui oblige les touristes à se balader au sein même du Sheraton, entre le bâtiment principal et la piscine. 

Un va-et-vient permanent qui vient effectivement troubler la tranquillité de la clientèle de l’hôtel qui ne peut profiter de la piscine en “infinity” et de son bar sans servir de spectacle à tous les passants.

Cette situation grotesque et qui perdure s’est toutefois considérablement dégradée sur le prolongement de ce chemin, le Halekulani Boardwalk

Pour parcourir la plage dans son intégralité, il faut une mer calme et bien tenir sur ses jambes car certains passages défoncés par la houle demandent des talents d’acrobate !
Pour parcourir la plage dans son intégralité, il faut une mer calme et bien tenir sur ses jambes car certains passages défoncés par la houle demandent des talents d’acrobate !
Escaliers démolis, passage interdit
 
Ici, la mer est passée à l’action, démolissant les escaliers en béton, passant en dessous de ceux-ci, les rendant impraticables, ce qui demande donc aux visiteurs d’escalader à leurs risques et périls des blocs de ciment complètement désarticulés et battus par la houle. 

Quant à la plage située dans le prolongement, il n’en reste qu’une infime frange de sable, façon string de baigneuse, où quelques touristes pas trop effrayés continuent vaille que vaille à venir bronzer. 

Le restaurant qui se trouvait à cet endroit a eu ses fondations gravement attaquées et l’établissement a dû fermer ses portes.

Il faut rejoindre le Fort DeRussy Boardwalk pour retrouver enfin une plage digne de ce nom et la sécurité qui va avec, même si les deux cents premiers mètres de cette plage ont considérablement rétréci en largeur ces dernières années. 

Ce n’est qu’une fois passé le Surfboard Rental from Hali Koa que l’on retrouve enfin une vraie plage conduisant directement à celle, toujours magnifique, du Hilton Village (la Kahanamoku Beach).

Vers Kuhio Beach, la plage résiste bien mieux car deux digues, l’une ouverte sur l’océan, l’autre fermée, la protègent efficacement. Mais ces digues sont très anciennes et mériteraient d’être renforcées.
Vers Kuhio Beach, la plage résiste bien mieux car deux digues, l’une ouverte sur l’océan, l’autre fermée, la protègent efficacement. Mais ces digues sont très anciennes et mériteraient d’être renforcées.
Un désastre à très court terme
 
Face au danger bien réel que représente ce bord de mer dans certains passages, nous avions naïvement pensé que des travaux sérieux seraient entrepris pendant la période de confinement pour remettre en état au moins le passage pour les piétons. 

Il eut été judicieux également de renforcer les digues existantes et d’en créer quelques autres, sans qu’il soit nécessaire de les étendre très au large, au risque de casser les vagues dont sont friands les longboarders

Force est de constater aujourd’hui que rien de tout cela n’a été fait et qu’une grande insouciance semble guider les responsables politiques locaux. 

En cherchant bien, face à ce que nous considérons comme un désastre potentiel à très court terme (humain peut-être, touristique et donc économique certain), nous avons tout de même trouvé un petit panneau discret, sur lequel il est affiché qu’un projet de restauration de la plage est... en cours ! 

Peut-être se réveillera-t-on lorsque tous les soubassements du “boardwalk” se seront effondrés...

Rédigé par Daniel Pardon le Vendredi 26 Novembre 2021 à 17:16 | Lu 7792 fois