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A Nuutania, l’école de l’espoir pour détenus en quête d’une vie nouvelle


FAAA, 28 octobre 2014 – Dix-sept élèves de l’unité d’enseignement de Nuutania ont reçu un Certificat de formation générale, mardi, lors d'une cérémonie officielle. L’unité pédagogique compte 101 élèves soit près du quart des détenus du centre pénitentiaire de Faaa.

"Impossible n’est pas français : Napoléon !", Tehei, la trentaine et l’air vaguement timide, amuse ainsi le public et les officiels présents à la remise de diplômes du Certificat de Formation Générale (CFG). Face à ce détenu qui vient d'obtenir sa capacité en Droit, la ministre de l’Education, Nicole Sanquer, le secrétaire général du Vice-rectorat, Christian Climent-Pons, le représentant de l’Etat, premier secrétaire du Haut-commissariat, le directeur de la prison et l’équipe pédagogique de l’unité d’enseignement du centre pénitentiaire. Derrière lui, dix-sept détenus sur le point de recevoir leur diplôme du CFG, un certificat d’études amélioré qui permet de poursuivre une scolarité en enseignement professionnel.

Mardi, cette cérémonie d’encouragements s’est déroulée dans la petite chapelle de Nuutania, une pièce triste et sobrement décorée, où l’on accède à l’étage après avoir franchi un dédale de portes métalliques, de cours intérieures et de couloirs, au cœur même de la prison de Faaa.

101 élèves cette année

Cette année, 28 détenus ont suivi le cursus de préparation du CFG, 18 se sont présentés à l’examen en juin dernier, 17 l’ont obtenus dont deux mineurs et trois femmes. Chacun a reçu son diplôme et un petit cadeau d’encouragement, mardi.

Tehei, c’est l’élite des élèves de Nuutania. Détenu comme les autres, il vient de faire six ans et doit encore en purger sept. C’est aussi l’un des deux prisonniers qui obtiennent cette année une capacité en Droit, après un cursus scolaire entièrement suivi derrière les murs.

L’unité d’enseignement de Nuutania accueille 101 élèves cette année dont une vingtaine parfaitement illettrés. Ils ont tous connu l’échec scolaire avant d’aboutir enfermés dans la sordide prison de Faaa. "En général, ils savent compter", reconnait cependant l’un des trois enseignants du premier degré en poste dans cette école très particulière.

Dans cette école d'un genre spécial, on prépare le CFG, puis avec le secours d’enseignants vacataires du second degré, le diplôme national du brevet (DNB) et le DEAU, le Diplôme d’accès aux études universitaires, sanctionné par un examen au terme d’un cursus de deux ans qui vaut à Tehei la capacité en Droit qui lui a été remise mardi. Ils sont deux dans son cas à Nuutania - son collègue était en permission - et quatre inscrits en première année de DEAU.

« Tu peux réussir, si tu le veux »

"On est là tout à fait dans ce qu’est le rôle de l’Education", explique Nicole Sanquer : "offrir une seconde chance à des personnes qui ont connu des problèmes dans la vie et surtout leur offrir une chance de réinsertion", puis la ministre affirme sa "volonté de continuer ce programme et de le renforcer au second degré" alors qu’aujourd’hui la préparation au DNB et au DEAU est assurée par des enseignants de l’extérieur et par un budget annuel de 4,17 millions Fcfp pour 350 heures supplémentaires. Ces moyens pourrait être doublés dès 2015 avec l'accord de l'Etat : réponse le 7 novembre prochain.

"La prison m’a donné l’opportunité de reprendre des études", avoue Tehei, sa scolarité d'abord interrompue en CM2. "Un pas après l’autre, avec beaucoup de travail j’ai d’abord eu mon CFG. Puis ça a été un tremplin", se souvient-il. "Teva, notre formateur, m'a dès le début dit : « Tu peux réussir, si tu le veux »"

Pour les futurs détenus-étudiants comme Tehei, contraints de poursuivre leur formation par le biais du Centre national d’enseignement à distance (Cned), le ministère de l’Education envisage la signature, avant la fin 2014, d’une convention avec l’Université de Polynésie française afin de permettre l’installation occasionnelle à Nuutania d’un centre d’examen homologué.

Au cœur de la prison tahitienne, qui a valu à l'Etat d'être condamné à 51 reprises et au versement de près de 20 millions Fcfp d'indemnités depuis 2013 à d'anciens détenus, "pour mauvaises conditions de détention", l'école de l'espoir permet à près d'un quart des détenus d'envisager une vie nouvelle.

"Il y a en milieu carcéral la capacité de s’améliorer"



Quel cheminement professionnel vous a conduit à devenir enseignant, coordinateur de l’unité d’enseignement de Nuutania ?

Teva Leone : J’ai saisi une opportunité en 2006, qui allait dans le sens du diplôme que j’avais préparé pour pouvoir aider des élèves en difficulté dans le cursus classique et qui nécessitaient une éducation particulière, différente en tous cas.

Qu’est qui se dégage de l’expérience d’une éducation en milieu carcéral ?

Teva Leone : Je suis très content pour eux. C’est un véritable bonheur de constater jour après jour que rien n’est figé, que rien n’est gravé dans la roche ; que pour les détenus qui font preuve de volonté et de courage et qui travaillent, il y a en milieu carcéral la capacité de s’améliorer et d’avancer de façon très constructive sur le chemin de la préparation de la sortie.

Vous parliez d’une éducation particulière : quelle est la singularité de l’élève-détenu ?

Teva Leone : C’est un élève très motivé. Les détenus qui suivent une formation en milieu carcéral sont, je crois, conscients de cette nouvelle chance qui leur est offerte. Ils souhaitent s’en saisir. Je pense souvent à mes collègues, dans des structures plus classiques avec un public d’adolescents, et qui se trouvent confrontés à plus de difficultés pour transmettre leur enseignement. Pour beaucoup, ces jeunes adolescents ne sont pas encore assez mûrs, n’ont probablement pas, à l’extérieur, le recul nécessaire pour constater la chance qui leur est offerte de pourvoir apprendre. Ici, nous avons affaire à des adultes qui font volontairement ce cheminement vers la connaissance, avec le souci d’entamer une nouvelle phase de leur vie porteuse d’espoirs pour leur avenir.

Avez-vous le sentiment de leur donner les clés pour une nouvelle vie ?

Teva Leone : L’école propose quelques clés. Elle ne les offre pas toutes.


Rédigé par JPV le Mardi 28 Octobre 2014 à 14:14 | Lu 1026 fois