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1988-2013: la Nouvelle-Calédonie garde le cap des accords Matignon depuis 25 ans


Le 26 juin 1988, le "Caldoche" Jacques Lafleur et le Kanak Jean-Marie Tjibaou signaient les accords de Matignon
Le 26 juin 1988, le "Caldoche" Jacques Lafleur et le Kanak Jean-Marie Tjibaou signaient les accords de Matignon
NOUMÉA, 23 juin 2013 (AFP) - Il y a 25 ans, le 26 juin 1988, le "Caldoche" Jacques Lafleur et le Kanak Jean-Marie Tjibaou signaient les accords de Matignon, mettant un terme à plusieurs années d'affrontements. Depuis, la Nouvelle-Calédonie vit en paix mais la question de son indépendance reste posée.

L'archipel français du Pacifique sud a basculé dans la violence au début des années 1980, jusqu'à la tragédie de la grotte d'Ouvéa, le 5 mai 1988, où périrent 19 militants kanaks et deux militaires.

Après avoir attaqué la gendarmerie de l'atoll tropical d'Ouvéa, un commando du FLNKS retenait en otage une vingtaine de gendarmes depuis le 22 avril. Pour régler cette crise, intervenue entre les deux tours de l'élection présidentielle, Paris avait choisi la manière forte et envoyé l'armée.

Cette sanglante opération fait l'effet d'un électrochoc dans les deux camps rivaux de Calédonie.

Fraîchement nommé Premier ministre, Michel Rocard confie au préfet Christian Blanc une mission du dialogue chargée d'écouter sur place tous les protagonistes.

La méthode s'avère payante. Moins de deux mois après Ouvéa, Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou enterrent la hache de guerre et signent, le 26 juin 1988 à l'hôtel Matignon, les accords du même nom.

Une poignée de main entre les deux hommes immortalise cette réconciliation historique, qui marque l'entrée dans une nouvelle ère.

"On a réussi à faire que des gens qui ne s'aiment pas acceptent de se regarder en face et de construire ensemble l'avenir", déclare à l'époque Jean-Marie Tjibaou, qui sera assassiné l'année suivante par un indépendantiste ultra.

De son côté, Jacques Lafleur, décédé en 2010, affirme "qu'il fallait concilier les antagonismes".

Un statut entre autonomie et indépendance envisagé

Partage du pouvoir avec les indépendantistes, rééquilibrage économique et social en faveur des populations kanakes et émancipation progressive de la tutelle de la France sont les maîtres-mots des accords de Matignon.

Depuis vingt cinq ans, la voie ainsi tracée n'a jamais été remise en cause. Ni par les acteurs locaux, ni par l'Etat, conscient depuis la crise d'Ouvéa de l'instabilité de la situation en Nouvelle-Calédonie, inscrite depuis 1986 sur la liste des pays à décoloniser de l'ONU.

Au contraire, en 1998, date d'échéance des accords de Matignon, l'accord de Nouméa prolonge la perspective et organise sur 20 ans la décolonisation progressive de l'archipel, avec l'accompagnement de la France.

Ce processus doit aboutir entre 2014 et 2018 à un référendum d'autodétermination.

François Hollande s'est clairement inscrit dans cette trajectoire, se posant en "garant" des accords. "Ce qu'il a été possible de faire en 1988 puis en 1998, tout cela doit nous donner confiance : si vous avez été capables de conjurer la défiance et la violence, vous devez être capables de faire le même effort pour la suite", a déclaré le président de la République, en décembre, lors de la réception des élus calédoniens.

Avant celles de l'accord lui-même, des commémorations du drame d'Ouvéa ont eu lieu en avril sur l'atoll, marquées par la réconciliation entre gendarmes et familles d'indépendantistes kanaks.

Sur le terrain, le succès phare du rééquilibrage économique est l'entrée en production en avril dernier d'une gigantesque usine métallurgique de nickel dans la province nord indépendantiste.

Cette usine symbolise l'ascension des Kanaks dans l'industrie minière dont ils ont longtemps été écartés.

Routes, dispensaires, lycées, équipements culturels: les provinces du nord et des îles ont en outre bénéficié d'importants financements pour se doter d'infrastructures publiques, tandis qu'un programme a permis de former près de 1.000 cadres kanaks.

En dépit de ces efforts, la société calédonienne demeure marquée par une nette fracture sociale, qui suit une frontière ethnique entre Océaniens et Européens.

"Seules la réduction des inégalités et l'entente sur un projet de société commun permettraient de sortir de ce communautarisme", observe Mathias Chauchat, professeur de droit public à l'Université de Nouvelle-Calédonie.

Dans ce contexte social fragile, qui se double d'un paysage politique morcelé où les discours se radicalisent, le terme de l'accord de Nouméa (2018) apparaît comme une étape à haut risque pour la Nouvelle-Calédonie.

Pour éviter un référendum couperet qui ne proposerait que le "oui" ou le "non" à l'indépendance, un statut consensuel entre autonomie et indépendance totale pourrait être envisagé.

"La France doit assumer la décolonisation, ce qui ne veut pas dire rupture. Pourquoi se fâcher?", demande M. Chauchat.

Rédigé par Par Claudine WERY le Lundi 24 Juin 2013 à 06:16 | Lu 1779 fois