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1840 : Belcher fait un trou pour rien à Hao


On doit ce portrait d’Edward Belcher au peintre anglais Stephen Pearce. Il était le capitaine le plus détesté de la Royale britannique.
On doit ce portrait d’Edward Belcher au peintre anglais Stephen Pearce. Il était le capitaine le plus détesté de la Royale britannique.
PACIFIQUE, le 25 novembre 2019 - Parmi les marins ayant sillonné le vaste Pacifique au XIXe siècle, beaucoup d’entre eux avaient pour mission bien plus que de naviguer d’île en île. Les expéditions scientifiques étaient rares, parce que coûteuses et de ce fait, très souvent, des capitaines de navire se voyaient donc confier, en marge de leurs fonctions, de singuliers travaux destinés à éclairer la science. Ce fut le cas en 1840 du commandant anglais Edward Belcher : l’Amirauté, à la demande des scientifiques britanniques, l’avait chargé de déterminer la profondeur de la couche de corail recouvrant un atoll…
 
De 1836 à 1842, Edward Belcher sillonna le Pacifique, commandant un navire de la marine anglaise, le HMS Sulphur. Autant le dire de suite, Belcher était cordialement détesté dans toute la Royale, par les officiers, par  certains hauts gradés de l’Amirauté et surtout par ses équipages, qu’il traitait plus mal encore que ne le faisait le célèbre capitaine Bligh un demi-siècle avant Belcher. 

Un « bosseur » curieux de tout

Belcher, pour tout dire, était assez brut de fonderie et n’était pas le plus distingué des personnages de la vaillante marine britannique. Il est vrai qu’il était né en Nouvelle Ecosse en 1799 (le 27 février), à Halifax, et que sa famille n’était rentrée en Grande Bretagne qu’en novembre 1811 ; le gamin mal élevé du Nouveau Monde entra dès avril 1812 dans la marine comme volontaire, bien décidé à y faire carrière, quels que soient les états d’âme de ceux qui croiseraient son chemin. 
Cela dit, Belcher, à la morale élastique et au comportement détestable, était ce qu’il convient d’appeler un « bosseur ». Le 21 juillet 1818, il était promu lieutenant (il avait 19 ans) ; il multiplia alors les voyages en Atlantique, tantôt en Afrique, tantôt en Amérique et consacra le plus clair de son temps libre à étudier : la navigation, les mathématiques, les sciences naturelles, la topographie, tout ce qui pouvait le faire apprécier et monter en grade, d’où son premier commandement sur l’Aetna le 16 mars 1829, à tout juste trente ans. 
Professionnel zélé, il connut une période de disgrâce en 1833 à son retour d’Afrique, dénoncé par ses équipages et ses officiers pour ses méthodes arrogantes et inutilement violentes ; l’Amirauté décida alors, en guise de sanction, de le cantonner sur un rafiot pour surveiller la côte au large de l’Irlande. Un purgatoire qui dura jusqu’en 1836 ; à cette époque, Belcher, qui avait été sous les ordres du célèbre Francis Beaufort, décrocha, grâce à l’appui inconditionnel de ce dernier, un commandement plus valorisant sur le HMS Sulphur (380 tonneaux, 109 hommes), dont le capitaine en titre, Beechey, était malade. Au menu, avec pour second navire le HMS Starling (109 tonneaux), la cartographie des côtes nord et sud-américaines, une affaire qui occupa notre homme jusqu’au 19 juillet 1842. 
Cette carte de Hong Kong a été réalisée après la prise de l’île par les Britanniques, due en grande partie à l’intervention de Belcher et de ses hommes.
Cette carte de Hong Kong a été réalisée après la prise de l’île par les Britanniques, due en grande partie à l’intervention de Belcher et de ses hommes.

Héros de Hong Kong

C’est au cours de cette expédition que Belcher passa par la Polynésie, car il eut l’opportunité de voir sa mission étendue. Coup de chance pour lui, il boucla sa traversée du Pacifique par l’Asie : à l’époque, la Grande-Bretagne était en guerre et Belcher participa activement aux batailles navales au large de Canton, au terme desquelles Londres décrocha la souveraineté sur Hong Kong (qu’elle ne perdit qu’en 1997). 
Evidemment, l’Amirauté ne put que féliciter Belcher pour son travail et lui décerna la China War Medal en 1842. L’autoritaire capitaine aurait pu connaître une fin de voyage plus compliquée sans la prise de Hong-Kong, car, comme à chaque retour de mission, son équipage se plaignit des mauvais traitements subis pendant des années. Une enquête fut menée, mais le prestige de Belcher, après ses exploits hongkongais, le mettait à l’abri de toutes représailles et il put repartir dès le 26 janvier 1843 pour une nouvelle mission en Asie.

Percer le secret des atolls

En forant le sol corallien de l’atoll de Hao, Belcher et son équipe entendaient bien percer le secret des Tuamotu et de toutes les îles basses.
En forant le sol corallien de l’atoll de Hao, Belcher et son équipe entendaient bien percer le secret des Tuamotu et de toutes les îles basses.
C’est donc lors de son passage dans nos archipels que Belcher s’illustra, au cours d’une mission pour le moins hasardeuse. Explorant les Tuamotu, il décida de se rendre à terre pour se lancer dans une recherche vouée à l’échec : forer le sol corallien de l’atoll de Hao pour en connaître l’épaisseur. 
A l’époque, on ne savait pas avec certitude comment ces îles basses avaient été formées. L’explication de l’enfoncement d’îles hautes dans la plaque tectonique ne fut développée qu’en 1842 par Charles Darwin, après son long voyage (de 1831 à 1836) à bord du Beagle ; avant cette date, on se perdait quelque peu en conjectures sur la formation géologique de ces îles dépourvues de relief. 
D’où l’idée des Britanniques de profiter du passage de Belcher aux Tuamotu pour tenter de voir ce que le sol corallien d’un atoll pouvait cacher en son sein.
Le 5 février 1840, le HMS Sulphur fit son entrée dans le vaste lagon de Hao et de suite, Belcher donna ses ordres pour que le matériel dont il disposait fût installé à terre afin que les travaux commencent. Le capitaine décrivit lui-même ce matériel : « des forets de grandeur variable, des tuyaux en fer de trois pouces et des barres de vingt pieds qui se vissent ensemble grâce à des joints mâles et femelles ».

35 jours de labeur pour rien

On peut reprocher beaucoup de choses à ce capitaine anglais, mais pas celui d’être un fainéant. Son exploration se traduisit par la publication d’un certain nombre de rapports et d’ouvrages, dont l’un était consacré à la faune rencontrée par le HMS Sulphur lors de son long périple.
On peut reprocher beaucoup de choses à ce capitaine anglais, mais pas celui d’être un fainéant. Son exploration se traduisit par la publication d’un certain nombre de rapports et d’ouvrages, dont l’un était consacré à la faune rencontrée par le HMS Sulphur lors de son long périple.
Avez-vous déjà essayé de creuser un trou cylindrique dans le sable d’une plage ? C’est à peu près impossible, le sable en question ne cessant de boucher l’orifice au fur et à mesure de son creusement.
Pour l’équipe de Belcher, si l’ardeur ne manquait pas, la confrontation avec la réalité du monde corallien mis très vite à mal les énergies. 
Le sable et les débris compacts de coraux s’avérèrent bien plus difficiles à perforer que prévu, car ce substrat était très dense. Mais en même temps, le fait de forer ces débris amalgamés les destructurait et chaque fois que le foret était remonté, les équipes de Belcher constataient que les éboulements rebouchaient au moins partiellement le puits. Pire même, et Belcher s’en expliqua lui-même dans le compte-rendu de sa mission, ça ne marchait pas ! « Avec persévérance et beaucoup d’ingéniosité, nous arrivons quand même à introduire quarante-cinq pieds de tuyaux (ndlr : une quinzaine de mètres à peine !) jusqu’au moment où la pression latérale devient trop grande pour les joints et provoque l’éclatement des soudures (…) Nous continuons à travailler malgré ces problèmes jusqu’au 17 février lorsqu’un effondrement bloque notre foret de telle façon qu’il nous est impossible de bouger les leviers. Nous sommes donc obligés d’utiliser des palans pour récupérer le maximum de tubes… ».
Trente-cinq jours d’un labeur acharné pour un trou ridiculement peu profond et petit : Belcher et son équipe furent obligés de renoncer et ne connurent donc jamais la profondeur du substrat corallien recouvrant les restes basaltiques de Hao (qui se trouvent à plusieurs centaines de mètres de profondeur).  

Une étude des marées à Tahiti

D’ailleurs Belcher non seulement échoua, mais se fourvoya en déclarant qu’en réalité, le sous-sol des atolls n’était composé que de débris coralliens et de sable, niant l’existence de roches dures. 
A contrario, dès 1842, Charles Darwin expliquait le plus officiellement du monde que les atolls étaient les restes d’anciens volcans, d’îles hautes s’enfonçant peu à peu dans la plaque tectonique, sous leur propre poids et s’érodant sous l’action des éléments extérieurs (pluies tropicales notamment). Donc avec une base solide, en basalte. 
Belcher ne fit tout de même pas que perdre son temps lors de son passage en Polynésie puisqu’on lui doit, entre autres, la première étude précise des marées à Tahiti.
Plus tard, à nouveau accusé de mauvais traitements par ses équipages, il fut mis au placard après une expédition funeste à la recherche de Sir John Franklin, perdu corps et bien à la recherche du passage du Nord-Ouest. Belcher entama ses recherches en 1852 et ne rentra en Angleterre qu’en 1854, en ayant perdu trois de ses cinq navires dont le HMS Resoluteabandonné dans les glaces. Au printemps, libéré de son étau glacé, le navire dériva et fut retrouvé par un baleinier. Le gouvernement américain rendit le Resolute à l’Angleterre ; le bateau fut  démonté quelques années plus tard, une partie de son bois fut transformé en bureau et envoyé aux Etats-Unis comme cadeau ; le meuble en question orne aujourd’hui  le bureau ovale de la Maison Blanche.  
Malgré cet échec dans le Grand Nord, Belcher, « l’homme qui servit Hong Kong sur un plateau à la Grande-Bretagne », fut nommé amiral en 1872. Il décéda le 18 mars 1877, à l’âge de 78 ans, à Londres, où il avait choisi de se retirer du service actif.

Mariage et MST…

Il n’y avait pas qu’en mer que Belcher était peu aimé, puisque son mariage en Angleterre ne dura pas : par deux fois, notre délicat personnage eut le mauvais goût de ramener et de transmettre à son épouse des maladies vénériennes qu’il avait lui-même attrapées lors de ses escales dans des ports auprès de filles faciles. Le 11 septembre 1830, il avait convolé en justes noces avec la charmante mais naïve Diana Jolliffe, belle-fille du capitaine Peter Heywood, figure de la royale. Belcher était alors capitaine de la HMS Aetna. Au retour d’une longue mission, en août 1831, Belcher vécut avec son épouse à Portmouth pendant quelques mois avant de repartir en décembre pour l’Afrique, un voyage de deux ans. 
Diana avait eu le temps de comprendre qu’elle avait choisi un époux peu recommandable et elle le fit informer avant même son retour en 1833 qu’elle n’entendait plus vivre avec lui, dénonçant les MST dont elle souffrait à cause de lui. 
Le capitaine à la réputation ternie n’apprécia pas l’étalage, sur la place publique, de ses peu glorieux états de service et décida alors de tout tenter pour entraver le bon déroulement de son divorce, ce qu’il parvint à faire en multipliant les procédure judiciaires. Malgré cela, sa femme finit par obtenir gain de cause, mais, curieusement, elle conserva son nom, Diana Belcher.

Diana Belcher, narratrice de la HMS Bounty

La bay of Bounty à Pitcairn, où ancra Belcher en 1825, escale qui permit à son ex-femme, lady Diana Belcher, de publier un récit détaillé de la mutinerie de la HMS Bounty en 1789.
La bay of Bounty à Pitcairn, où ancra Belcher en 1825, escale qui permit à son ex-femme, lady Diana Belcher, de publier un récit détaillé de la mutinerie de la HMS Bounty en 1789.
Si Belcher n’est plus très connu en Polynésie, son ex-épouse mérite, en revanche, toute notre sympathie car elle est à l’origine d’une œuvre majeure, le récit de la mutinerie de la HMS Bounty, qui s’acheva à Pitcairn.
L’histoire a retenu que James Norman Hall et Charles Nordhoff, deux écrivains américains ayant séjourné à Tahiti, sont les auteurs d’une très célèbre trilogie tournant autour de cette affaire : la mutinerie elle-même, le voyage de Bligh pour sauver sa peau (et celle de ses fidèles) et enfin la conclusion plutôt tragique de l’aventure des mutins à Pitcairn. Ces trois ouvrages furent publiés en 1936 par la maison Little, Brown et Cie, l’édition originale comptant 903 pages.
Mais ce que l’on sait moins, c’est que nos deux auteurs n’ont finalement eu qu’à romancer une histoire qui avait déjà été écrite longtemps avant eux et qu’ils ont très largement utilisée pour leurs récits : il s’agissait du livre Mutineers of the Bounty and their Descendants in Pitcairn and Norfolk Islands, publié en 1870. Lady Diana ne peut être créditée seule de la narration détaillée de la mutinerie, puisqu’elle appuya son ouvrage sur le témoignage de John Adams recueilli par Edward Belcher lors de son passage à Pitcairn en 1825 et surtout sur l’ouvrage de référence de Sir John Barow, publié dès 1831 sous le titre complet de « The Eventful History of the Mutiny and Piratical Seizure of H.M.S. Bounty : Its Cause and Consequences ».
Diana Belcher avait consacré la seconde partie de son livre, grâce au témoignage d’Adams (alias Alexander Smith), à raconter la fin tragique des mutins à Pitcairn, assassinés, et comment lui-même, dernier survivant, s‘était tourné vers la religion pour diriger la petite colonie de femmes et de jeunes enfants qui fut découverte en 1808 par le baleinier américain Topaz

Darwin, dès 1842

Alors que Belcher croyait que les atolls n’avaient pas de fondations solides, l’intuition géniale de Darwin lui permit de comprendre qu’il s’agissait en fait d’anciens volcans ayant disparu et dont ne subsistait que la couronne récifale.
Alors que Belcher croyait que les atolls n’avaient pas de fondations solides, l’intuition géniale de Darwin lui permit de comprendre qu’il s’agissait en fait d’anciens volcans ayant disparu et dont ne subsistait que la couronne récifale.
Si Belcher, en 1840, fit chou blanc à Hao, abîmant son matériel de forage et concluant -un peu vite- que le sous-sol des atolls n’était fait que de sable et de débris coralliens, Charles Darwin, en 1842, expliqua leur formation, en révélant que sous une plus ou moins grande épaisseur de corail et de sable, on retrouvait le basalte qui avait donné naissance à une île ; celle-ci, peu à peu, avait disparu. Quand on sait que Moruroa est vieille de dix millions d’années environ et que le basalte se trouve en moyenne à - 400m (avec des « pics » à - 180m), on imagine bien que l’atoll de Hao, plus à l’ouest, est encore plus vieux (certains avancent plus de quarante millions d’années) et que son socle basaltique se trouve à plusieurs centaines de mètres de profondeur. 
Belcher, avec son petit trou d’une quinzaine de mètres était très loin de toucher le fond et de percer le secret des atolls…

Belcher et les deux passes de Clipperton

1840 : Belcher fait un trou pour rien à Hao
Le capitaine Edward Belcher a dressé le 8 mai 1839, pendant son périple, la première carte du petit atoll de Clipperton, au large du Mexique, devenu possession française en 1858. Ce serait une simple anecdote s’il n’y avait fait figurer deux passes, l’une au nord-est, l’autre au sud-est. Leur existence reste une énigme, car Belcher, du haut de la vigie de son navire le Sulphur, est le seul marin à avoir jamais mentionné ces deux ouvertures dans la barrière de corail ceignant l’îlot.
Commentaires de Belcher sur cet atoll : « Très dangereux lagon, dénué d’arbres avec un haut rocher que l’on peut confondre avec une voile (…)  L’anneau comprend deux ouvertures faisant communiquer le lagon avec la mer. L’une est située sur la côte nord-est et l’autre au sud-ouest près du rocher (…) ».
Depuis, les deux passes ont disparu ; en 1944, les Américains qui s’étaient installés sur l’île (sans autorisation de la France) pour y construire une base militaire, percèrent une large passe, mais, forcés de rendre Clipperton à la France en 1945, ils partirent non sans avoir comblé cette ouverture dans le récif !

Rédigé par Daniel Pardon le Lundi 25 Novembre 2019 à 09:15 | Lu 1502 fois