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​Ua Pou, terre divisée


À Ua Pou, où 95% des terres sont privées, l'indivision est un frein au développement économique.
À Ua Pou, où 95% des terres sont privées, l'indivision est un frein au développement économique.
Ua Pou, le 29 juin 2021 – Les terres en indivision sont un casse-tête administratif pour les héritiers et un frein au développement économique de Ua Pou. La Direction des affaires foncières (DAF) s’est rendue sur l’île ce week-end afin d’informer la population à propos de l’aide individuelle à la sortie d’indivision immobilière. L’occasion pour les habitants d’entamer les démarches pour sortir d’une situation foncière stérile.

Le partage des terres entre héritiers est parfois bien difficile. Et si l’indivision pose des problèmes sur l’ensemble de l’archipel, c’est encore plus vrai à Ua Pou où 95% des terres appartiennent à des propriétaires privés. Une situation stérile qui ralentit le développement de l’économie locale et dans laquelle de nombreuses familles s'enlisent.
Étant donné qu'il n’y a ni huissier ni notaire à Ua Pou, pas simple de mener les procédures à leur terme. Si les gendarmes sont habilités à effectuer certains actes notariés, ils se défont progressivement de ces tâches.

Une aide du Pays pour sortir d’indivision

À Ua Pou, à cause de l'indivision, la construction de la moindre parcelle de route est un casse-tête administratif, idem lorsqu’il s’agit de faire passer des canalisations sur des terres privées. Le Pays souhaite faire évoluer cette situation retrouvée sur tout le territoire. C’est pourquoi l'aide individuelle à la sortie de l’indivision (AISI) a été créée. Car “avoir des terres” ce n’est pas toujours “avoir de l’argent”. Si les freins tels que la lourdeur des démarches, la mésentente familiale ou encore l'éloignement… sont nombreux, le premier est d'ordre financier. C’est pourquoi cette aide peut être une vraie solution. Plafonnée à 5 millions de Fcfp, elle prend en charge : les frais de notaires, le paiement du géomètre (agréé par la DAF), les frais d’expertise judiciaire, les frais de transcription de jugement et le paiement des droits d’enregistrement à valoir sur les jugements.
Elle vise à favoriser les partages à l’amiable et n’est donc pas accordée en cas de conflit non résolu entre les indivis. Elle doit être demandée à la DAF avant de lancer toute procédure car elle fait intervenir ses propres géomètres. À noter qu'une demande d’AISI à laquelle on renonce en cours de route se verra à jamais l’aide refusée. Il est donc nécessaire que tous les indivis soient d’accord avant de se lancer, ils doivent signer un document nommé l'accord des parties.

Les Marquises en retard sur le partage des terres

Depuis la création de cette aide, le nombre de partages à l’amiable en Polynésie française n’a cessé d’augmenter jusqu’à dépasser, l’année dernière, le nombre de partages judiciaires devant le tribunal. Une victoire pour la DAF mais aussi pour les Polynésiens qui privilégient désormais l’entente à la discorde. Malgré cette victoire, seulement 29 terres ont pu être partagées sur l’ensemble des Marquises grâce à l'aide, très peu en comparaison des autres archipels.
“Dans les îles isolées, les papiers sont difficiles à obtenir, notamment sur une île comme Ua Pou où les papiers nécessaires au démarrage des procédures doivent être obtenus à Nuku Hiva avant de repartir dans l’autre sens. Il y a aussi le fait que les gens ici ne sont pas correctement informés. Ils ne savent pas forcément, par exemple, qu’un terrain se divise par sa valeur et non par sa taille. Cela peut créer des désaccords le moment venu”, commente Raissa Bruneau, habitante de Ua Pou.
Aux Marquises, un autre élément pose des problèmes lors des partages : la dimension des terres, souvent colossale, pouvant s'étaler sur plusieurs vallées. Un défi de taille donc, à l’échelle de l’archipel. Certains habitants, comme Jérôme Simoneau, patron de la pension Pukuee a un avis plus mitigé sur la question, il considère que l'indivision a au moins l'avantage de préserver l'authenticité de l'île et d'éviter de vendre sur un coup de tête. 
La DAF, qui n’est visiblement pas de cet avis, s’est rendue sur l’île ce week-end afin de répondre aux questions de la population, de présenter l’AISI et de commencer certaines démarches avec les habitants. L’occasion pour certains de pouvoir s’adresser directement à quelqu’un, un détail qui a son importance sur une île où une grande partie des résidents n’a pas toujours accès à internet ou même au téléphone. Les Marquises, qui peinent encore à sortir de l’indivision, rattraperont peut-être bientôt leur retard, pour le meilleur ou pour le pire. 

La DAF a tenu une réunion d'information ce week-end à Ua Pou dans le but d'informer la population sur l'indivision et présenter des solutions pour en sortir.
La DAF a tenu une réunion d'information ce week-end à Ua Pou dans le but d'informer la population sur l'indivision et présenter des solutions pour en sortir.

​L'indivision, c'est quoi ?

C’est un terrain appartenant à plusieurs propriétaires, souvent de la même famille, qui en ont hérité à parts égales. Le problème est que le terrain appartient donc à l’ensemble des héritiers et pour le vendre, l’exploiter ou en céder une partie, tous les héritiers doivent être d’accord. Malheureusement, il est courant qu’un seul d’entre eux refuse et dans ce cas aucune procédure ne peut aboutir. Il arrive aussi que dans certains cas, tous les ayants droit ne soient pas présents sur le territoire, ce qui complique la tâche des notaires.
Pour sortir de cette situation, il existe des solutions : le partage à l’amiable devant un notaire ou le partage judiciaire devant un tribunal.
Dans les deux cas de figure, les démarches à effectuer sont coûteuses et chronophages. C’est pourquoi il arrive parfois que la situation stagne sur plusieurs générations. Lorsque les indivis souhaitent partager l’héritage à l’amiable, ils doivent d’abord faire venir un géomètre afin que ce dernier leur propose une division du terrain en plusieurs parcelles de même valeur devant un notaire. Mais attention ! De même valeur ne veut pas forcément dire de même superficie… Selon qu’une parcelle soit plate ou pentue, dans un village ou en montagne, bien exposée ou balayée par les vents, sa valeur peut être très différente. Cet élément n’est, malheureusement, pas toujours compris par tous lors du lancement de la procédure de partage. Et il n’est pas rare que lorsque le géomètre, après étude du terrain, propose aux héritiers une répartition équitable en termes de valeur mais inégale en termes de superficie, la procédure avorte, faute de contenter tout le monde.

Rédigé par Jean Ollivier le Mercredi 30 Juin 2021 à 18:21 | Lu 2955 fois