Tahiti Infos

​Les dernières zones d'ombre de l'affaire JPK


Tahiti, le 4 octobre 2020 – Une semaine après la confirmation par la chambre de l'instruction des mises en examen de Miri Tatarata et Francis Stein dans l'affaire JPK, Tahiti Infos s'est procuré la décision qui dévoile les détails des nouvelles investigations dans ce retentissant dossier.
 
Mardi dernier, la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Papeete a rendu un arrêt confirmant les mises en examen de Miri Tatarata et Francis Stein dans l'affaire de la disparition de l'ex-journaliste Jean-Pascal Couraud, alias JPK, en décembre 1997. Tahiti Infos s'est procuré la décision de justice, longue de 35 pages, qui dévoile pour la première fois la teneur exacte des toutes dernières investigations de cette longue et minutieuse enquête…
 
Pour fixer le contexte de ces derniers rebondissements de l'affaire JPK, il faut se souvenir qu'une première information judiciaire avait d'abord été ouverte en 1998, pour se refermer en 2004 par le seul procès et la relaxe de l'ex-compagne du disparu, Miri Tatarata, pour destruction de preuve. Ce n'est ensuite qu'en 2005 qu'une information judiciaire a été rouverte à la suite de dénonciations d'un ancien membre du GIP. S'en est suivi un long volet "politique" du dossier, portant sur des soupçons d'enlèvement de JPK par deux agents du service du Pays, conclu en 2013 par les mises en examen des deux ex-GIP, Tino Mara et Tutu Manatea, et de leur responsable, Rere Puputauki.
 
Les nouvelles investigations qui ont conduit aux mises en examen de l'ex-compagne de JPK, Miri Tatarata, et de son amant de l'époque, Francis Stein, sont la conséquence d'un plus récent passage au peigne fin "d'informations contenues dans l'enquête initiale" par les enquêteurs de la section de recherches de la gendarmerie. Et au terme de nouvelles commissions rogatoires menées après exploitation de ces éléments : "il apparaît que certains points importants n'ont pas été vérifiés", indique la synthèse faite en 2019 par les gendarmes.
 
Une alarme, un téléphone, une voiture
 
Si les enquêteurs mentionnent de nombreuses pistes n'ayant rien donné, comme des recherches de traces de sang au Blue Star notamment, ils s'attardent sur une série d'éléments "inexpliqués" durant la journée et la soirée de la disparition de JPK, le 15 décembre 1997.
 
Parmi ces éléments, le nouveau témoignage de l'ex-femme de Francis Stein qui déclare aujourd'hui que, dans son souvenir, son mari n'était pas au domicile le soir de la disparition. "Il lui semble qu'il était sorti pour une réunion politique et que l'appel passé par Miri était en relation avec cette réunion. Il était déjà habillé lorsqu'il est venu lui annoncer qu'il devait repartir", relatent les gendarmes. Une version contestée par l'intéressé, qui assure avoir passé la soirée à son domicile jusqu'à l'appel de Miri Tatarata vers 1h20 du matin, lui annonçant la disparition de JPK.
 
Toujours au domicile de Francis Stein le soir de la disparition, les enquêteurs se sont intéressés au fonctionnement d'une alarme que ce dernier avait toujours affirmé avoir déclenché en se levant pour répondre au téléphone à Miri Tatarata. "Or cela est impossible", affirment les gendarmes, "car l'appel de Miri a été passé à 1h22 et l'alarme a déclenché à 1h32 soit plus de 10 minutes après l'appel". Les enquêteurs disent alors "s'interroger sur le délai constaté entre l'appel au secours de Miri et le départ de son amant, ce dernier mettant 10 minutes pour quitter la maison".
 
Un autre élément nouveau a focalisé l'attention des enquêteurs. A l'époque de sa disparition, JPK disposait d'un téléphone portable qui lui avait été mis à disposition par la mairie de Arue six mois plus tôt. Or si plusieurs collègues et proches de JPK confirment l'avoir vu utiliser son portable, Miri Tatarata n'explique pas pourquoi elle n'a jamais pensé à l'appeler sur ce numéro l'après-midi et le soir de sa disparition.
 
Incohérences
 
Outre une question prioritaire de constitutionnalité balayée par la chambre de l'instruction car déjà traitée par la Cour de cassation, Francis Stein a principalement défendu dans son recours devant la chambre "l'absence d'éléments nouveaux" justifiant sa mise en examen.
 
Pourtant, la chambre liste en réponse une série d'éléments donnés par le juge d'instruction pour justifier cette décision. Tout d'abord, le fait que JPK avait demandé à Francis Stein de s'éloigner de Miri Tatarata après les avoir surpris au Musée de Tahiti et des îles, mais que le jour de la disparition celle-ci avait appelé son amant dans l'après-midi pour qu'il vienne la chercher au travail et l'emmène récupérer sa voiture au garage. Le fait également que les deux amants avaient caché pendant près de dix ans cette relation extra-conjugale, qui s'est pourtant même poursuivie après la disparition de JPK. Le fait encore que ni Francis Stein, ni Miri Tatarata n'avait tenté de joindre JPK sur son téléphone portable à l'époque de sa disparition.
 
Outre l'existence du mot détruit, qui aurait été laissé par JPK le soir de sa disparition qui a déjà fait beaucoup parler de lui au cours de la procédure, le juge d'instruction relève également que Miri Tatarata a évolué dans ses déclarations quant à l'ordre des appels passés dans la nuit de la disparition. A Francis Stein, il reproche également ses incohérences face à plusieurs témoignages évoquant la portière tordue de sa voiture le soir de la disparition… Enfin, le juge relève également à plusieurs reprises le fait que JPK avait appelé un ami à 18 heures le soir de sa disparition pour fixer avec lui un rendez-vous le lendemain midi. "De sorte qu'il avait soit anticipé sa disparition et n'en avait rien dit, soit prévu une rencontre qu'il n'a pu honorer à cause d'un événement inattendu".
 
Un pourvoi et…
 
Pour la chambre, tous ces éléments tendent à justifier les deux dernières mises en examen de cette longue enquête. Des décisions qui signifient, rappelons-le, qu'il n'existe rien d'autre jusqu'ici que "des indices graves ou concordants" impliquant la participation ou la complicité de Miri Tatarata et Francis Stein dans cette disparition. Et selon nos informations, cette appréciation du juge d'instruction et de la chambre va bientôt se retrouver confrontée aux juges de la Cour de cassation, puisqu'un pourvoi est encore prévu par les avocats de la défense.
 

Rédigé par Garance Colbert et Antoine Samoyeau le Lundi 5 Octobre 2020 à 10:16 | Lu 8570 fois