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​Le musée fantôme de Rurutu


Rurutu, le 19 novembre 2020 – Inauguré en 2018, le musée de Rurutu n'a toujours pas ouvert ses portes au public. Pour le moment seule une copie du ti’i A’a y est entreposée mais reste inaccessible au public. La visite l'année dernière d'une représentante du British Museum laisse entrevoir un retour de l'original pour 2021. Les amateurs d'art devront encore patienter.
 

Le projet d’un musée à Rurutu existe depuis bien longtemps, une association ayant même été créée dans les années 80 dans ce but. C’était un travail de longue haleine, car le bâtiment du musée Iareta Moeau implanté à Unaa, sur le site de l’aéroport de l’île, n’a été inauguré qu’en juillet 2018, par le président du pays, Edouard Fritch. Mais depuis les portes restent obstinément fermées au public.
 
Plus triste encore, enfermée à l’intérieur, une copie moulée du ti’i A’a de Rurutu, un objet de grande valeur. Il reste confiné au cœur du musée, inaccessible à tous sauf aux quelques membres du comité culturel de la commune qui détiennent les clés. On peut à peine distinguer sa silhouette à travers les fenêtres du petit bâtiment. Auparavant elle était installée dans une armoire à trophées à la mairie, un peu moins glamour que sa nouvelle vitrine, mais au minimum elle était accessible.
 
Cette copie en plâtre de Paris était un cadeau au maire et à la population de l’île, offert par Hermione Waterfield, une grande fan de l’art océanien, qui a visité l’île et qui était attristée que la population n’ait pas accès à une copie de ce chef d’œuvre, qu’elle affectionne tellement. A’a est une vedette des expositions d’art Océanien aux quatre coins du monde, il est célébré à l’étranger par de la poésie, des écrits savants et des documentaires, une muse pour des artistes contemporains comme Henry Moore et Pablo Picasso, mais pour les îliens de Rurutu il reste un sujet très sensible.

​Une demande officielle pour l'accueil de A'a


 Il y a un an, la curatrice des objets océaniens du British Museum, Julie Adams, avait visité Rurutu, dans le but de créer des liens amicaux avec la communauté, et dans un effort plus large de rendre les objets, qui se trouvent dans les collections à Londres, plus accessibles aux populations d’origine.  Pendant le séjour, il y a eu lieu une réunion publique pour partager des images d’objets provenant des Australes et gardés dans des musées britanniques, et pour discuter de la possibilité de faire revenir le ti’i original à Tahiti, voire à Rurutu.
 
Cet événement avait attiré des foules et soulevé des passions. En effet, le ti’i original en bois, donné en offrande à la London Missionary Society en 1821, au moment de l’arrivée de l’évangile à Rurutu, représente pour certains un symbole honteux d’un passé païen. Certains imaginent même que la copie porte malheur, y compris le maire, qui a très clairement exprimé son opposition au retour de l’original du ti’i à Rurutu par peur des conséquences.
 
Pourtant, pour la Polynésie, l’objet a aujourd’hui une valeur culturelle inestimable, en tant que témoin de la capacité artistique étonnante d’une civilisation privée d'outils métalliques. L’objet est étudié comme une pièce de repère par les élèves du Centre des métiers d’art à Tahiti, précisément à cause de la complexité et de la beauté de sa forme ; le corps du ti’i est sculpté dans un morceau de tronc d’arbre, embelli par de petites figurines en relief, évidé à l’intérieur, avec un couvercle dans le dos ; un récipient remarquable d’antan, destiné à contenir les objets les plus sacrés.
   
Le Musée de Tahiti et des Iles, soutenu par le ministre de la culture est prêt à accueillir l’objet, une demande officielle a d'ailleurs été transmise au British Museum en 2019. Il faudra toutefois attendre que les travaux de rénovation du musée soient terminés et que la situation sanitaire globale s’améliore. La demande actuelle, portant sur une arrivée début 2022, semble improbable, d'autant que le musée à Londres est encore fermé au public depuis le deuxième confinement appliqué en Angleterre. Le comité chargé d’examiner et d’accorder des demandes de prêts ne s'est pas réuni et ne le fera pas avant 2021. L’original du ti’i, qui réside dans les réserves du musée, est donc enfermé lui aussi, et devra attendre patiemment avant de pouvoir retourner en Polynésie après deux siècles !

​Encore un peu de patience pour le musée de Rurutu


Un manque de consensus concernant l’information à présenter et un besoin de faire des recherches plus poussées pour documenter les objets, sont les raisons données pour le retard prolongé de l’ouverture du musée de Rurutu. Depuis trois mois, Rosa Versiglioni Poetai, la présidente du comité culturel de la commune, est bien déterminée à faire avancer le projet. Elle regrette que le musée reste fermé et espère vivement voir l’ouverture de la salle courant 2021. Elle attend surtout le recueil d’informations sur les objets qui seront exposés, et veut que les panneaux interprétatifs soient de qualité.
 
Actuellement le musée dépend du budget communal, le maire soutient le projet et a donné son feu vert en ce qui concerne les dépenses nécessaires pour aménager le lieu et créer les supports interprétatifs, mais Rosa espère aussi pouvoir bénéficier de subventions plus tard. Il faut donc que la copie de A’a patiente un peu plus longtemps derrière les vitres, avant que la population de Rurutu et les visiteurs puissent l'admirer de près à nouveau.

Rédigé par Elin Claridge le Jeudi 19 Novembre 2020 à 07:42 | Lu 1428 fois