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​John Mairai s'en est allé


​John Mairai s'en est allé
Tahiti, le 22 décembre 2023 – L'homme de culture et grand défenseur de la langue tahitienne, John Mairai, est décédé vendredi matin. Le président du Pays, Moetai Brotherson a déploré sur les réseaux sociaux une perte qui laisse un “vide immense”.
 
Homme de théâtre, acteur, metteur en scène, orateur, auteur enseignant et grand érudit, John Mairai est décédé vendredi matin des suites d'une longue maladie, a annoncé sa fille. Décoré de la médaille de chevalier dans l'Ordre des arts et des lettres en juin 2021, l'homme de culture était membre de l'académie tahitienne depuis deux ans. Dans un post diffusé sur les réseaux sociaux, le président du Pays, Moetai Brotherson a déploré le “vide immense” causé par la disparition d'un homme qui lui “faisait l'amitié de longues discussions sur l'histoire et les légendes” pour ses travaux d'écriture.

“John s’en est allé vers les Cieux divins, aux origines du monde mā'ohi”, déplore vendredi matin la vice-présidente, ministre de la Culture, Éliane Tevahitua, dans un message de condoléances adressé “à tous ses proches, à vous, ses disciples, ses élèves, à tous les amoureux de notre Culture” . “Son art, son éloquence et sa poésie imprègnent à jamais notre âme mā'ohi. Puissions-nous perpétuer ce talent, cette beauté dans la mémoire de nos filles et de nos fils.”

Pour les funérailles de John Mairai, une veillée est organisée samedi 23 décembre à 18h30 au Fare purera'a de la Communauté du Christ, situé près du rond-point de la Base marine à Fare Ute, Papeete. Une messe sera dite à 9 heures, dimanche dans les mêmes locaux avant la levée du corps puis l'enterrement au cimetière de l'Uranie à 10 heures.

​“John Mairai a été un balancier pour la pirogue Tahiti”, estime Bruno Saura

L'universitaire Bruno Saura a tenu à rendre hommage à son ami John Mairai dans ce texte inspiré de quelques pages (p. 95-97) de son livre “Des Tahitiens, des Français. Essai sur l'assimilation culturelle en situation coloniale consentie” (Au Vent des îles, 2021).
 
Personnalité reconnue,  académicien,  John Mairai fut d'abord, en son temps, un jeune homme bien turbulent – on va dire, débordant d’énergie physique, intellectuelle, artistique . Il a dominé le paysage culturel, langagier et médiatique tahitien de la fin du XXe siècle ainsi que du premier quart du XXIe siècle. Ce fut à l’égal et aux côtés de Henri Hiro, s’agissant des spectacles en reo tahiti : théâtre, danse, chant, œuvres composites de la meilleure tenue. Ce fut aussi aux côtés, mais avec infiniment plus de distance – car celui-là était un grand solitaire – de Duro Raapoto, pour ce qui relève de la création poétique, de l’écriture réflexive, de la traduction. Simple titulaire du Brevet d’études, et ne prétendant pas faire partie des élites, John Mairai s’est évertué à communiquer au moyen des médias, pour toucher son peuple, à commencer par les classes très populaires. Il le fit à l’intérieur de la presse écrite en langue tahitienne – ou des pages en tahitien furent publiées, à l’occasion, par certains journaux locaux en français – ; aussi, et surtout, à la télévision, communiquant toujours de façon claire et agréable, en tahitien comme en français. Ce grand orateur n’a jamais été doctrinaire : on l’a vu, en politique, côtoyer et soutenir, avec toujours beaucoup de retenue, les uns et les autres. Un homme aussi très engagé dans les activités culturelles de l’Église sanito qui le vit grandir – son père adoptif, Denis Pioi, en était un haut dignitaire dans les années 1950, 1960. Branche historique du mormonisme, cette Église mal connue, la Communauté du Christ, autrefois nommée Église réorganisée de Jésus-Christ des Saints des derniers jours, est dite localement Église sanito – adaptation polynésienne du mot “Saints”.
 
Partout, John Mairai a rempli un rôle qui était loin de se réduire à celui de simple animateur ou d’homme de médias ; il avait parfois du mal à se mettre vraiment au service de ses invités, préférant discuter avec eux, d’égal à égal. Ses interventions sur tant de sujets historiques (les premiers contacts entre Polynésiens et Occidentaux, la dynastie des Pomare, l’évangélisation, la colonisation, etc.) ou anthropologiques (l’intergenre, les chants polyphoniques tārava, la danse traditionnelle) méritent qu’hommage lui soit rendu, que soient reconnues sa force intellectuelle, sa rigueur, son érudition. Il lisait beaucoup ; on ne devient pas cultivé sans lire, sans lire beaucoup. Dans cette Polynésie française du dernier quart du XXe siècle et des premières décennies du XXIe, John Mairai a été un balancier pour la pirogue Tahiti, l’empêchant, à sa manière, de dériver, contribuant à ce qu’elle tienne le cap des routes ancestrales qui viennent de Hawaiki, et pour ce qui est de l’âme des défunts, s’en retournent à Hawaiki. Nul doute qu’il y repose donc en paix, dialoguant savoureusement avec ses ancêtres, contribuant là aussi, au pays des morts, à ce que continue à vivre une belle langue tahitienne, hélas aujourd’hui, moribonde pour bien des vivants.

Rédigé par Garance Colbert le Vendredi 22 Décembre 2023 à 09:57 | Lu 4750 fois