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​Heretu Tetahiotupa : “Il y a un aspect légendaire qui se dégage de ce genre d’événements”


Heretu Tetahiotupa, le président du Comothe, s’apprête à céder le flambeau pour l’organisation de la prochaine édition du Matavaa qui se tiendra dans 2 ans à Ua Huka.
Heretu Tetahiotupa, le président du Comothe, s’apprête à céder le flambeau pour l’organisation de la prochaine édition du Matavaa qui se tiendra dans 2 ans à Ua Huka.
Nuku Hiva, le 21 décembre 2023 - Alors que l'édition 2023 du Matavaa o te Henua enana s'est clôturée ce mercredi, Tahiti Infos s'est entretenu avec le président du comité organisateur, Heretu Tetahiotupa. L'occasion de faire le point avec lui sur l'organisation du festival et sur la complexité logistique d’un tel événement.
 
Quel bilan pouvez-vous tirer à chaud de ce Matavaa o te Henua enana ?
“Je me sens vraiment heureux d'avoir participé à ce moment magique. C'était dur à organiser, mais ça en valait la peine. C'est tellement puissant lorsque tous les Marquisiens des six îles et la diaspora se réunissent. Dans la vision marquisienne ancienne, nous vivons dans les légendes, qui ne sont pas terminées, et nous vivons dedans. Lorsque le peuple se réunit, c'est la case marquisienne qui se dresse. Il y a un aspect légendaire qui se dégage de ce genre d'événement, lorsque nous nous réunissons pour faire vivre notre culture. C'était puissant et émotionnel. Après, c'est peut-être un peu tôt pour dresser un bilan complet de ce Matavaa. Je ne sais pas trop où nous en sommes. Pour moi, le festival n'est pas encore tout à fait terminé, car il reste du démontage à faire. Mais je suis très content d'avoir vécu cela, en tant qu'organisateur et en tant que personne.”
 
Le thème de ce festival était “Le savoir-faire ancestral”. Pensez-vous qu’il a bien été respecté ?
“On donne un thème, mais c'est vraiment à la liberté de chacun. Nous offrons la plateforme d'expression en donnant une direction, mais chaque délégation a vraiment joué avec la thématique. J'ai vu beaucoup de groupes de danses avec des costumes dans le style des anciens, c'est-à-dire en favorisant les cheveux, les plumes, le tapa. C'est fantastique de voir un tel engouement, car cela ne fait que nous rendre plus forts.”
 
L'organisation d'un tel festival est titanesque. Surtout lorsqu’il se tient dans différentes vallées. C'était un défi que vous vous étiez lancé. Diriez-vous qu'il est réussi ?
“Oui, cela demande beaucoup d'organisation. Cela a commencé il y a presque deux ans, en février 2022. Pour ce qui est de se déplacer dans plusieurs vallées, à Taipivai et Hatiheu, sur les paepae des anciens, cela avait déjà été fait en 1999 et 2000. À l'époque, j'avais sept ans, et cela restera une référence dans ma vie en termes de ressenti. C'est pour cela que j'ai voulu que nous retournions dans ces lieux anciens où dansaient nos ancêtres. D'ailleurs, quand j'en ai discuté avec les délégations après les représentations de cette semaine, elles étaient unanimes, toutes ont ressenti quelque chose de puissant dans ces lieux magiques.
Après, c'est sûr que c'était un vrai défi, car cela représentait une difficulté logistique. Il a fallu envoyer les délégations sur place, le matériel… Nous avons dû faire des envois de personnes par la mer aussi… Et nous avons dû gérer les ressources, la nourriture. Mais je suis content que nous l'ayons fait. J'ai un grand respect et beaucoup d'amour pour mon équipe avec laquelle on a réussi à surmonter ce défi. Ils ont vraiment tout donné.”
 
L'un des événements marquants de ce Matavaa a été l'organisation de cet incroyable banquet, gratuit pour tous, dimanche, dans la vallée de Taipivai. C'est une tradition de mettre en place ce genre de moments ?
“Oui, c'est une tradition. Ça se fait à tous les Matavaa. En fait, il faut savoir que le climat tropical sec rendait la vie des Marquises très difficile. Et lors des périodes de festivités, les banquets jouaient un rôle très important. Dès qu'il y a une fête, la fin d'un rituel de tatouages, il y a un banquet. C'est un marqueur dans l'espace et le temps marquisien. C'est lui qui va générer une émotion forte. Dimanche, c'est ce qu'il s'est passé. C'était fort. Un grand moment de partage ; un grand moment. C'est ce qu'on a cherché à créer. On est très heureux que ça ait plu.”
 
Pour la première fois dans l'histoire du Matavaa, vous aviez fait appel à une équipe audiovisuelle pour enregistrer la manifestation. Peut-on s'attendre à voir ces images dans un futur documentaire ?
“Plusieurs images prises lors du festival ont déjà été distribuées à la télévision locale. On va aussi exploiter ces images pour en faire un spectacle vivant, à travers un documentaire, pour le mois de février. On pourrait alors le démarcher pendant le prochain Fifo. On a souhaité filmer avec des caméras de qualité suffisante pour être diffusé au niveau national et international, sur des chaînes de télé ou sur des plateformes de streaming. Et surtout, il y aura un besoin clair d'images de la culture marquisienne en juin-juillet 2024 où il y aura l'inscription des Marquises à l’Unesco.”
 
C'était un souhait de devenir le producteur des images du festival ?
“Oui, pour moi, l'objectif c'était que le festival devienne le producteur des images du festival. Elles ont de la valeur, autant en rayonnement qu'en argent. Il faut savoir que l'organisation du Matavaa est très fragile aujourd'hui, à chaque fois ce sont des organisations qui se montent et se dissolvent autour de l'événement. On dépend de beaucoup de choses, des financements publics… C'était donc important qu'on mette en place des bases solides pour les prochaines éditions. Je veux que cela soit plus simple pour les prochains organisateurs. Car les gens ne se rendent pas compte des complications par lesquelles j'ai dû passer. Il faut une énergie colossale, j'ai tout donné, je n'ai aucune rentrée d'argent, ça fait plusieurs mois que j'ai arrêté de travailler… Je fais tout bénévolement. C’était chaud au niveau du financement, surtout en pleine période électorale, les accords que j'avais passés il y a un an et demi ont dû être renégociés… C'est un challenge colossal. Je suis d'ailleurs agréablement surpris que se soit aussi bien passé.”
 
En parlant de financement public, quel est le budget pour organiser un tel événement, et à combien s'élève la participation du Pays ?
“Un événement comme le Matavaa coûte 160 millions de francs. L'apport du Pays s'élève, lui, à 38 millions. Habituellement c'était 12 lors des derniers festivals. L'État, lui, en donne cinq. Mais ce qui est le plus touchant, c'est la participation des communes, qui se saignent véritablement par rapport au budget global qu'elles possèdent. Elles nous donnent 24 millions. On a aussi des sponsors.
Après, on essaie d'équilibrer avec la vente de nos images et de nos tee-shirts ou goodies. J'espère par ailleurs que nos comptes vont terminer dans le positif, car si on finit en négatif, c'est moi personnellement qui devrai combler le trou. En tant que président, si on tombe en faillite, je suis le responsable. Après, je savais dans quoi je m'embarquais, car je connais plusieurs organisateurs d'anciennes éditions, et ils y ont tous laissé des plumes. Les gens ne se rendent pas compte de ça non plus, mais c’est un sacrifice.”
 
Le prochain Matavaa va se dérouler à Ua Huka, allez-vous passer le flambeau à un autre président ?
“Oui oui. Nous souhaitons que l'association, le Comothe, que nous avons créée reste et que seul le bureau change. On va faire en sorte que la passation se fasse au mieux avec Ua Huka.”

Rédigé par Propos recueillis par Thibault Segalard le Jeudi 21 Décembre 2023 à 16:41 | Lu 8856 fois