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​Enquête préliminaire sur le projet de Hao


Tahiti, le 18 mai 2020 - L’homme d’affaires chinois Wang Cheng, ainsi que Coco Taputuarai et plusieurs autres acteurs impliqués dans le projet de construction de la ferme aquacole de Hao dans les Tuamotu, ont été entendus en décembre dernier par les enquêteurs de la Section de recherches de Papeete. Ces auditions ont été réalisées dans le cadre d’une enquête préliminaire menée en toute discrétion depuis 2016 et portant depuis janvier 2019 sur des soupçons « d’abus de biens sociaux ».
 
L’information n’avait pas été révélée jusque là, mais cela fait plus de quatre ans déjà que la justice s’intéresse au projet de la ferme aquacole de Hao porté par la société Tahiti Nui Ocean Foods (TNOF) et son directeur, l’homme d’affaires chinois Wang Cheng. Le 19 décembre 2019, ce dernier ainsi que plusieurs autres protagonistes du dossier, dont l’entrepreneur local Coco Taputuarai, ont en effet été entendus par les enquêteurs de la section de recherches (SR) de la gendarmerie de Papeete sous le régime de l’audition libre dans le cadre d’une enquête préliminaire portant depuis janvier 2019 sur des soupçons « d’abus de biens sociaux ». Selon les informations recueillies et recoupées par Tahiti Infos, dans cette affaire à tiroirs, la justice s’intéresse notamment à de conséquents retraits d’espèces des comptes de TNOF.
 
Pour comprendre l’origine de cette enquête, encore faut-il remonter à la genèse du projet de la ferme aquacole de Hao. En novembre 2012, sous la présidence d’Oscar Temaru, le groupe chinois Jingmin Investments, propriété du richissime homme d’affaires chinois Wang Cheng, annonce son intention de construire une ferme aquacole à Hao dans l’archipel des Tuamotu afin d’y développer un élevage massif de poissons. L’atoll de 65 km2, autrefois utilisé dans le cadre du Centre d’expérimentation du Pacifique (CEP), a notamment l’avantage de posséder un aérodrome.
 
Première enquête préliminaire en 2016
 
Gaston Flosse succède à Oscar Temaru à la présidence de la Polynésie française le 17 mai 2013. Un an plus tard, la société Tahiti Nui Ocean Foods (TNOF), filiale du groupe Jingmin Investments, bénéficie d’un arrêté du Pays qui met à sa disposition des parcelles domaniales de l’atoll tant convoité. Wang Cheng ouvre un compte à la Banque de Polynésie au nom de sa société et effectue un premier dépôt de 500 millions de Fcfp. En janvier 2015, la société Coco Group Engineering (CGE), qui appartient à Coco Taputuarai, entrepreneur réputé proche de Gaston Flosse, est chargée par TNOF de travailler sur l’étude de faisabilité et le dépôt des permis de construire de la ferme aquacole de Hao. Ce marché, conclu pour 100 millions de Fcfp, constituera plus tard à lui seul l’un des volets de cette l’enquête menée par la justice. Lorsqu’il est signé, la Coco Group Engineering n’est pas encore immatriculée.
 
Soupçons de corruption et projet retardé
 
Début 2016, l’enquête s’oriente sur des retraits d’espèces effectués par le directeur général de TNOF et évolue vers la qualification de « corruption active et passive ». Entre 2014 et 2016, le directeur a en effet retiré plus de 30 millions de Fcfp en cash sur le compte ouvert au nom de la société. Les premières investigations bancaires établissent parallèlement que TNOF a bien rémunéré, par deux virements bancaires, la CGE à hauteur du contrat qui avait été établi en janvier 2015.
 
Pendant ce temps-là, le projet de ferme aquacole peine à voir le jour et rencontre des difficultés internes. Fin 2016, l’architecte employé par CGE porte en effet plainte pour dénoncer la falsification de 16 plans opérée par Coco Taputuarai à l’aide d’un faux tampon. Informé de cette situation, Wang Cheng écrit au maire de Hao pour justifier du retard pris par le projet de ferme aquacole au regard du litige qui l’oppose désormais à la société de Coco Taputuarai. Ce dernier ayant été écarté du projet, le chantier est confié à Marama Development & Management (MDM). Coco Taputuarai a d’ailleurs été condamné le 25 février dernier pour « faux » à trois de sursis et 50 millions de Fcfp de dommages et intérêts à verser à TNOF dans ce volet du dossier…
 
Soupçons d’abus de biens sociaux
 
Le 30 mai 2018, une cérémonie a lieu en grande pompe à Hao en présence de Wang Cheng pour fêter les travaux de terrassement qui avaient débuté deux mois auparavant sur une dizaine d’hectares de l’atoll. Au cours de son séjour, l’homme d’affaires reçoit la distinction de Commandeur dans l’ordre de Tahiti Nui… Quelques mois plus tard, l’enquête préliminaire a été relancée par le parquet de Papeete qui a saisi de nouveau la section de recherches de la gendarmerie cette fois-ci pour des faits qualifiés « d’abus de bien sociaux ». C’est dans le cadre de ces investigations que, le 19 décembre dernier, Wang Cheng a été entendu sous le régime de l’audition libre par la section de recherche à Papeete, à l’occasion d’une visite en Polynésie. Coco Taputuarai ainsi que le directeur general de TNOF et trois experts-comptables de la société ont également convoqués et questionnés par les enquêteurs le même jour, toujours en audition libre.
 
La justice cherche notamment à déterminer la destination exacte des fonds qui ont été retirés en espèces des comptes de TNOF. Elle essaie également de savoir pour quelles raisons TNOF a signé un contrat avec la société CGE, alors que cette dernière n’était pas encore immatriculée.
 
Nouveau coup au projet
 
Déjà régulièrement sous le feu des critiques pour son impact environnemental, le projet aquacole de Hao qui peine à voir le jour depuis maintenant près de huit ans n’avait pas besoin de ce nouveau caillou dans la chaussure. Contacté jeudi dernier, Wang Cheng n’avait toujours pas souhaité répondre à nos questions dimanche. Mais l’homme d’affaires chinois a jusqu’ici toujours apporté une confiance sans faille à la réalisation du projet. En novembre dernier, alors que plusieurs médias du fenua étaient invités par le consul de Chine à Tahiti à visiter Pékin et Shanghai, Tahiti Infos avait pu rencontrer et interroger Wang Cheng. Il avait tenu à l’époque à rassurer sur la « conformité » écologique de son projet aux règles environnementales locales et internationales, et ambitionnait à l’époque de réaliser le « plus grand projet aquacole du monde » à Hao.

Le cas Coco Taputuarai

L’ancien maître d’ouvrage délégué du projet aquacole de Hao, Coco Taputuarai, est également l’un des acteurs centraux de cette enquête préliminaire. En janvier 2015, sa société, Coco Group Engineering (CGE), avait signé un contrat de 100 millions de Fcfp avec TNOF. Sa société n’étant pas encore immatriculée, l’argent viré par TNOF avait été transféré sur le compte d’une autre société qui n’était pourtant pas impliquée dans le projet de ferme aquacole. Une fois la CGE immatriculée avec un compte ouvert à son nom, des virements avaient cette fois-ci étaient émis vers deux autres sociétés dont on soupçonne Coco Taputuarai d’avoir été le gérant de fait. Des retraits en espèces effectués sur ces différents comptes constituent également l’un des questionnements de ce dossier.

En février dernier, l’ancien maître d’ouvrage délégué du projet avait été condamné par le tribunal correctionnel à trois ans de prison avec sursis et 50 millions de Fcfp de dommages et intérêts à verser à TNOF. Il avait été reconnu coupable de « faux » et « usage de faux » pour avoir falsifié 16 plans en apposant lui-même le cachet de l’architecte habilité à valider la conformité de ces plans.

Rédigé par Garance Colbert le Lundi 18 Mai 2020 à 11:39 | Lu 16859 fois