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​“Il faut qu'on ait un pool d'itinérants”


Tahiti, le 11 août 2022 - Les Marquises souffrent d'un “turn-over" du personnel soignant. Dernièrement, c'est un infirmier de Fatu Hiva qui vient de déposer sa démission, alors que le second infirmier est en arrêt maladie pour plusieurs mois. Les habitants de l'île sont inquiets. Tahiti infos a interrogé le ministre de la Santé concernant la situation médicale en Terre des Hommes, et plus globalement dans les archipels.
 
Un infirmier a démissionné à Fatu Hiva, quelle en est la raison ?

“A Fatu Hiva, il y a deux vallées avec une population d'environ 630-650 habitants. La vallée principale est Omoa où se situe l'infirmerie et où sont les deux infirmiers dont un a démissionné pour des raisons qui le concerne. Dans l'autre vallée, à Hanavave, il y a un poste de santé avec une auxiliaire de soin”.

On nous dit que cette démission est due à une surcharge de travail ?

“Non, il a l'espoir de repartir, voilà. Les raisons sont d'ordres personnelles. Ce qui peut être argué du fait des difficultés qu'il y a localement, c'est que pendant une période relativement longue, et notamment au moment de la crise Covid, il a été en exercice isolé, c'est-à-dire qu'il a été seul pendant trois mois environ. Et il ne souhaite pas continuer”.

Cela veut dire qu'il n'avait pas de repos ?

“Il y est depuis six mois, et on est de permanence permanente. Il a eu des difficultés à supporter toute cette pression qui peut s'exercer et qu'on comprend. Mais il n'est pas fonctionnaire du Pays et il n'y a pas moyen de le remplacer (...) Par ailleurs, l'infirmière fonctionnaire du Pays, nouvellement nommée, qui est avec lui, a déposé un arrêt de travail pour maladie d'une durée assez longue (...).  Elle sera remplacée par un des infirmiers de Hiva Oa qui est à la recherche d'un logement car le logement de fonction est occupé par l'infirmière en arrêt maladie. Ce n'est pas si simple que cela d'envoyer des infirmiers dans les îles. Maintenant on va faire une demande de création de poste à Omoa Fatu Hiva, et cela ne se fait pas en 5 minutes (...). On est dans un cadre administratif, on n'est pas une entreprise privée ou ce serait plus facile (...). La fonction publique a un cadre assez rigide. Et ce n'est pas facile de casser ce cadre et c'est ce sur quoi nous travaillons. Petit à petit, nous arriverons à avoir une meilleure gestion”.
 
Dans un courrier, taote Foysset écrit qu'il a saisi plusieurs fois la Direction de la santé, pour des problématiques et tout cela est restée lettre morte. Pourquoi ?

“Il y a à Atuona un centre administratif qui gère les Marquises Sud dont Fatu Hiva. Le Dr Thibault Espaze gère de façon tout à fait correcte ce centre depuis longtemps. On a des médecins qui demandent à aller à tel ou tel endroit, on est d'accord, puisqu'on apporte un mieux-être et une meilleure sécurité à la population et c'est ce que nous recherchons (...). A 90% des cas nous sommes satisfaits et il y a des médecins qui restent. Mais on a aussi qui viennent parce que les Marquises ont une espèce d'aura, c'est le rêve. Finalement quand ils arrivent, la réalité ne correspond pas au rêve (...). Je pense que pour ce médecin, qui ne m'a jamais saisi, ni le ministère, ça a été probablement un peu ça, cette espèce de déception. Ce n'est pas facile de vivre dans les îles surtout pour des popa'ā, qui ne connaissent pas et ne sont pas forcément assez adaptables pour se mêler au fonctionnement local (...). Et ce médecin a écrit au moment de son départ, il aurait pu, à mon sens, pendant qu'il était sur place, nous faire part de ses difficultés. C'est un peu facile de dire que je m'en vais et je vide mon sac”.
 
Est-il vrai qu'ils ne sont pas indemnisés à leur juste valeur ?

“Ils sont indemnisés, après à leur juste valeur, ça c'est autre chose. Chacun apprécie la valeur de son indemnité. Et normalement dans la fonction publique territoriale il y a des moyens d'indemniser correctement, et c'est ce qu'on appelle les gardes donc le week-end et astreintes pour la nuit, et il est évident qu'ils sont de garde et d'astreinte en permanence”.
 
Des préconisations ont été émises par la mission d'information mise en place en 2021 comme la lutte contre le manque récurrent de personnels soignants dans les îles éloignées, l'amélioration de leurs conditions de recrutement et d'exercice. Qu'en-est-il ?

“Nous avons un directeur à l'hôpital de Nuku Hiva qui était infirmier au CHPF. Il va insuffler au sein des Marquises un nouveau souffle, on a taote Thibault Espaze à Hiva Oa et qui gère la partie Sud des Marquises. Avec ces personnes forces de propositions, nous pouvons réformer progressivement. Nous allons augmenter le nombre de personnes itinérantes. Normalement dans un service, il doit y avoir à peu près 10% de l'ensemble du personnel. On devrait avoir au minimum 120 itinérants à la Direction de la santé. Cela va permettre, à ceux qui sont sur place, un temps assez long, pour décompresser, et se ressourcer puis revenir avec plus de punch (...). Il faut à tout prix que nous réformions notre gestion du personnel de façon à avoir plus de souplesse pour éviter de laisser penser aux gens qu'on les a abandonnés sur place. Et je les comprends car quand vous n'avez pas de nouvelles depuis des mois, vous vous dites pourquoi je suis tout seul. Les choses ne peuvent aller que mieux, mais faut-il de temps en temps des événements comme ça pour nous rappeler que l'exercice est difficile et qu'il faut qu'on fasse attention en permanence, à bien faire les choses et surtout garder le contact, mais malheureusement même ça ce n'est pas toujours facile. On le fait pour les Tuamotu car taote Laudon a cet état d'esprit de contact et part souvent dans les îles. Pareil aux Australes, un peu plus difficile à Rapa, car très isolée de la Polynésie mais cela fonctionne bien. Mais il y a quelques points qui restent difficiles et il faut qu'on ait un pool d'itinérants susceptibles de remplacer au pied-levé un tel ou un tel, et qui soit suffisant pour pouvoir le faire dans chacune des îles. C'est ce qu'on appelle la gestion des personnels et c'est ce que je vais essayer de faire dans les mois qui viennent. En plus cela va créer une émulation, et puis cela va rassurer les soignants quant aux postes qu'ils sont susceptibles d'occuper dans une île qui est un peu éloignée”.

 

Rédigé par Vaite Urarii Pambrun le Jeudi 11 Août 2022 à 13:30 | Lu 3861 fois