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​“Dépôts de bilan en masse” à prévoir


Tahiti, le 21 avril 2020 - A l’aube d’une crise économique que beaucoup redoutent, le président du tribunal mixte de commerce (TMC) de Papeete, Christophe Tissot, estime qu’il est “prévisible” que la chute de l’activité relative au confinement se traduise par des“dépôts de bilan en masse”. Selon le magistrat, ce mouvement ne “devrait pas intervenir à Tahiti avant trois mois”.

Comment le tribunal mixte de commerce fonctionne-t-il actuellement ?

“Dans le cadre du plan de continuité de l'activité de la cour d’appel de Papeete, le tribunal mixte de commerce (TMC) assure la continuité du service. Le tribunal reste joignable par téléphone, par courrier et surtout par courriel. Les audiences de procédures collectives sont maintenues pour les urgences (ouverture de redressement judiciaire, prononcé de liquidation judiciaire et homologation de plan). Ainsi, une prochaine audience se tiendra le lundi 27 avril. Les juges commissaires peuvent également être saisis pour toutes requêtes urgentes. Enfin, il est possible tous les jours de saisir le TMC  pour demander l’ouverture d’une conciliation ou pour déclarer sa cessation des paiements. En revanche, le service du registre du commerce et des sociétés est fermé ; il n'est procédé à aucune formalité”.

La situation actuelle se fait-elle déjà ressentir au niveau de l'activité du tribunal ? Le tribunal a-t-il été saisi de requête en redressement judiciaire de la part d'entreprises en difficulté ?

“Il y a un décalage important entre ce que je constate aujourd’hui, aucune déclaration de cessation de paiement liée à la crise sanitaire, et ce qu’on pressent, à savoir que la crise sanitaire va être suivie d’une crise économique particulièrement forte. A-t-on raison d’être pessimiste ? Il suffit d’extrapoler à partir de ce qui se passe dans le monde, en métropole par exemple. On sait aujourd’hui que les mesures de confinement pour lutter contre le coronavirus entraînent une perte d’activité économique d’environ 35% actuellement en France et donc une baisse significative du PIB. Qui peut douter que ces ordres de grandeurs ne sont pas ici transposables ? Qui peut douter que la locomotive économique du territoire, le tourisme, connaît une baisse du chiffre d’affaires record et pour plusieurs mois sans doute ? De même, une étude menée par l’UNEDIC - AGS constate en métropole une proportion inédite d’entreprises à fort effectif salarial dans les procédures collectives ouvertes depuis le début de l’état d’urgence sanitaire. Il est donc prévisible que la chute de l’activité se traduise par les dépôts de bilan en masse, les grandes entreprises entrainant les plus petites. Ce mouvement ne devrait pas intervenir à Tahiti avant trois mois. C’est à ce moment que cesseront les effets des différents moratoires et que les trésoreries d’entreprises dont le chiffre d’affaires reste insuffisant seront épuisées.” 

Les entreprises qui étaient en redressement judiciaire avant le confinement ont-elles des capacités de report du paiement des échéances ?

“La Polynésie française vient d’adopter une loi de Pays qui va permettre aux entreprises qui bénéficient actuellement d’un plan de continuation de reporter les échéances impayées. Si les difficultés se prolongent, il leur sera ensuite possible de demander au tribunal une modification de leur plan. Mais ces dispositifs ne concerneront que les entreprises qui ont su demander leur redressement judiciaire à temps. Je rappelle qu’à trop tarder de déclarer sa cessation des paiements, le chef d’entreprise se met en infraction avec la loi (il faut déclarer sa cessation des paiements dans le délai de 15 jours) et s’interdit toute réelle possibilité de sauver son entreprise, car un redressement ouvert trop tard finit toujours en liquidation judiciaire.”

Pourriez-vous rappeler ce qu'est la procédure de conciliation ? Est-elle la meilleure solution pour les entreprises qui rencontrent des difficultés liées à la crise sanitaire et économique ? 

“Oui, absolument. Une conciliation demandée au moment opportun, c’est 100% de chance de trouver un accord avec ses créanciers. La procédure de conciliation est amiable et confidentielle. Elle offre à l’entreprise un cadre propice pour négocier avec l’ensemble de ses créanciers un accord de règlement des dettes. C’est le conciliateur qui se charge de contacter tous les créanciers et d’élaborer un plan de remboursement. Pendant ce temps, le chef d’entreprise, débarrassé des démarches de relance, commandements de payer, ATD, assignations d’huissier, peut se consacrer à son métier de chef d’entreprise. Une condition cependant : l’entreprise ne doit pas être en cessation de paiement. Qui est concerné ? Les sociétés, commerçants, patentés, mais aussi les sociétés civiles, les associations et les agriculteurs.”

Craignez-vous une explosion des procédures collectives à l’issue du confinement  ?

“Si on examine la tendance à long terme, on constate que le TMC connait une progression continue de son activité due à l'accroissement du nombre de faillites. Ainsi depuis 2015, il y a une augmentation de 55% de procédures nouvelles et sur ces procédures, le taux d'augmentation de liquidations judiciaires explose : + 101 entre 2015 et 2018. Par conséquent, oui, dans un contexte général d'accroissement du nombre de faillites, la crise que nous connaissons laisse craindre une forte augmentation du nombre d'entreprises en difficulté et donc de liquidations judiciaires. La faillite n'est pas neutre. Cet échec personnel a des conséquences pour le tissu économique tout entier, pour les salariés, et plus généralement pour la collectivité. L'an dernier, les liquidations judiciaires ont laissé un passif irrecouvré de près de deux milliards de Fcfp.”

 

Christophe Tissot, président du tribunal mixte de commerce (TMC) de Papeete.
Christophe Tissot, président du tribunal mixte de commerce (TMC) de Papeete.

Rédigé par Garance Colbert le Mardi 21 Avril 2020 à 18:02 | Lu 8661 fois