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Les tribulations des Tiki de Raivavae


Moana dans le jardin du musée Gauguin, à Papeari en 1985.
Moana dans le jardin du musée Gauguin, à Papeari en 1985.
TAHITI, le 15 avril 2016. Au même titre que la "malédiction des pharaons" qui a frappé les archéologues après la découverte du tombeau de Toutankhamon en 1922, plusieurs histoires mystérieuses accompagnent l'histoire des tiki polynésiens. Tahiti Heritage a choisit de vous raconter les tribulations des tiki de Raivavae qui seraient responsables de plus d'une demi-douzaine de morts selon la croyance populaire.

Le ti’i ou tiki est une représentation de forme humaine sculptée dans de la pierre ou du bois dans lesquelles était supposé entrer un esprit que les humains désiraient invoquer. Ces statues qui étaient implantées sur des lieux sacrés étaient souvent chargées de mana (pouvoir).

A l’entrée d’une grotte à Raivavae

Les deux grands tiki Moana et Heiata qui sont actuellement dans les vestiges du musée Gauguin de Papeari proviennent de Raivavae, aux îles Australes. Ces tiki qui s'appelaient auparavant, Tii One et Tii Papa, se trouvaient à l'entrée d'une grotte, dans un endroit sacré, un lieu de prières, où seul le tahua (prêtre) pouvait pénétrer, disait le R.P. Hervé Audran en 1917.

L’une des deux statues représentait une très grosse femme, avec un énorme ventre (3 m de tour) sur lequel sont posés des mains à six doigts, d’après Emile Vedel en 1933. Elle mesurait un peu plus de 2 m de hauteur, non compris un socle de 0,70 m, et son poids dépassait les deux tonnes. A peu près aussi grande et beaucoup plus mince, l’autre figurait probablement un homme, mais qui semblait avoir été émasculé depuis pas mal d’années. Les deux statues étaient taillées dans un seul bloc de tuffeau basaltique de couleur rouge foncé. Elles étaient plantées dans la brousse, faces au nord à quelques 600 mètres de la mer.

De Raivavae à Papeete

Tout commença un beau jour d'août 1933, lorsque Stevens Higgins et son capitaine, Tetua Mervin, ancrèrent le navire "La Denise" dans le lagon de Raivavae pour renflouer un autre bâtiment. Steven Higgins avait décidé d'acquérir trois tiki de Raivavae afin de les exposer au musée Océanien de Papeete. Il s'agissait d'un couple, Moana et Heiata, et de leur enfant. Un certain Terii Tane, négocia la vente des statues à Higgins. Après avoir consenti à leur enlèvement moyennant une indemnité dérisoire, la propriétaire du terrain, une cheffesse nommée Tanitoa vahine, a vu en songe sept de ses ancêtres revenus de l’autre monde pour lui reprocher son abandon et n’a pu que très difficilement s’en séparer.

Avec des moyens de fortune, car aucun naturel de l’île n’a voulu prêter la main à l’opération, le capitaine Higgins et l’équipage parvinrent à hisser les deux grandes statues à bord du navire « La Denise » sans les briser. Mais lors de son chargement, le petit tiki chavira et fini sa course au fond des eaux. Il y a quelques années, une équipe d’archéologue a voulu le récupérer mais les habitants de Raivavae ont fortement manifester pour que ce vestige historique reste sur place. "Quand on possède un objet de valeur comme celui-là, on souhaite le garder", disaient-ils avant d'ajouter "On voudrait également récupérer les deux autres tiki qui sont au musée de Papeari à Tahiti”

L’arrivée à Papeete

Emile Vedel raconte que le soir de l’arrivée du navire “La Denise” à Papeete, de petites flammes malodorantes se sont allumées sur la mer, semblables à des feux follets courant tout le long du rivage. Phénomène que les Tahitiens n’ont pas manqué d’interpréter comme un signe de la colère des tiki arrachés de chez eux. Plus tard, on a su qu’il s’agissait une simple boîte de phosphure de calcium accrochée à une bouée de sauvetage, qui sert de signal lumineux la nuit en venant au contact de l’eau, avait été brisée et que son contenu s’est répandu dans la rade, où ses miettes se sont enflammées, comme il convenait. Mais sait-on jusqu’où peut aller la malice d’un tiki transplanté malgré lui ?

Deux mois plus tard, Stevens Higgins tombe malade, probablement d'une grave affection hépatique. La rumeur publique, immédiatement, attribua la maladie aux deux tiki. Derrière la pierre muette, le mana est encore puissant. Effrayé, Higgins jure de ramener les deux statues sur leur lieu d'origine. L'a t’il juré et n'a t’il pas tenu parole, ne l'a t’il jamais juré comme l'assure sa famille ? En 1936 il meurt, et la rumeur fait sienne la malédiction des tiki.

Quand la sœur d'Higgins meurt deux mois plus tard, et que Terii Tane et sa compagne également, cela suffit pour fortifier la conviction que les deux tiki possèdent un pouvoir maléfique.

De l’avenue Bruat à Mamao

Un peu plus tard, les tiki sont déplacés de l'avenue Bruat au musée de Mamao alors que tout le monde assure qu'il ne faut les toucher à aucun prix. Huit ans plus tard, lorsque le conservateur Édouard Ahnne meurt, on attribue encore cette mort à Moana et à Heiata, malgré le temps séparant leur déplacement de ce dernier décès.

Un tiki farceur au Musée de Mamao

Nos deux tiki avaient l’air de se plaire dans ce nouveau jardin du musée de Tahiti qui se trouvait à Mamao, à l’emplacement de l’ancien hôpital, puisqu’ils s’amusaient à faire des farces aux visiteurs.

A cette époque, le peintre René Grandidier qui habitait à coté avait décidé de venir faire un tableau du grand tiki de Raivavae qui se trouvait dans le jardin du musée. Il teste plusieurs emplacements, de face, de profil, change en fonction du soleil mais il n’arrive pas à terminer son dessin. Découragé, il abandonne et décide de revenir le lendemain.

Le lendemain matin comme prévu, il réinstalle son chevalet exactement à la même place pour bien voir la sculpture sous le même angle et continuer son œuvre. Mais, il s’aperçoit que les traits du visage qu’il avait dessiné la veille et ceux du tiki en pierre qui avait en face de lui, n’étaient plus identiques. Le visage était plus rude, et ses yeux et les sourcils montraient un signe de désapprobation.

De Mamao à Papeari

En juin 1965, pour la construction de l'hôpital dans le quartier de Mamao à Papeete, il faut à nouveau les déplacer... car les malades répugneraient à se faire soigner à proximité des deux anciennes idoles. Aucun transporteur privé n'accepte ce travail et les Travaux Publics ne trouvent aucun ouvrier disponible évidemment. Un tahua est consulté, mais il demande la somme énorme (à l'époque) de 500 000 CFP. La rumeur enfle dans la ville. Le gouverneur Sicurani en a plein le dos. C'est un fonceur, il veut son hôpital et si les journalistes du Journal de Tahiti ne cessent pas de se faire l'écho des superstitions il va les faire expulser leur annonce-t’il, selon la loi de 1932 encore en vigueur.

Finalement une équipe de dix Marquisiens, commandés par Louis Teikitetini, accepte d'effectuer le transport jusqu'au musée de Papeari parce que traditionnellement, sculpteurs et catholiques, ils ne craignent pas les dieux de pierre des anciens plus communs dans leur archipel. L'opération, dirigée par Albert Toto Maoni, débute le 5 juin 1965, devant un public nombreux et curieux. Dans les manoeuvres, le tiki Moana a les deux pieds brisés. Le 6 juin, les deux statues sont conduites par la route à Papeari. Mais en moins de 15 jours, on déplore deux décès subits, deux hommes ayant joué un rôle dans ce nouveau déménagement. L’un deux, David Tonaitahuata un jeune marquisien, est victime d'un accident de la circulation. Il s'était montré, selon des témoins, très irrespectueux envers eux les tiki, en marchant sur le flanc de Heiata alors qu’elle était couchée, en riant et lançant à la cantonade : “ Chez nous ils sont si nombreux qu'on n'y fait même pas attention. Les marquisiens n'ont pas peur des tiki. Est-ce que les gens meurent pour des cailloux ? ”. Une semaine après, c’est le chef des travaux, Toto Maoni qui est emporté par une maladie imprévisible.

Plus tard, bien plus tard, le gouverneur lui-même, Jean Sicurani, responsable du dernier voyage de Moana et de Heiata, trouvera la mort en juillet 1977 à l'âge de 62 ans, victime d'une leucémie foudroyante. Toujours les tiki, diront les observateurs.

Plus récemment, dans les années 2000, un des descendants de l'acheteur des deux tiki qui circulait avec une voiture à toit ouvrant sur la cote Est de Tahiti est tué par une grosse pierre tombée de la montagne. Cette pierre ressemblait étrangement, disent des témoins, à la tête du tiki Moana.

Un retour bien compromis

Actuellement, un groupe d'habitants de Raivavae, demande le rapatriement de ces tiki dans leur île natale. Mais deux obstacles freinent ce départ, la pierre des tiki est très friable et risque de se casser lors du transport et des fidèles de l'Eglise évangélique de Raivavae ont dit qu'ils couperaient la tête de ces tiki s'ils remettaient les pieds sur leur île.
En attendant, pour qu’ils résistent mieux aux aléas climatiques, on leur a construit un toit.

Sources :
Emile Vedel, les statues mégalithiques de Raivavae. L’illustration, Journal universel, du 13 janvier 1934
Philippe Mazellier, Tahiti, de l'atome à l'autonomie 1979


Retrouvez d’autres histoires extraordinaires sur le site Tahiti Heritage http://www.tahitiheritage.pf
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Le gros tiki dans la brousse de Raivavae dans les années 1930. Photo Pierre Verger
Le gros tiki dans la brousse de Raivavae dans les années 1930. Photo Pierre Verger

Le transport sur le navire La Denise. Photos L’illustration.
Le transport sur le navire La Denise. Photos L’illustration.

Le débarquement des tiki à Papeete en 1934. Photos L’illustration.
Le débarquement des tiki à Papeete en 1934. Photos L’illustration.

Les deux Tiki à Tahiti au musée Océanien de Papeete en 1934. Photo L’illustration.
Les deux Tiki à Tahiti au musée Océanien de Papeete en 1934. Photo L’illustration.

Le tiki Moana dans le jardin du musée à Mamao (Papeete)
Le tiki Moana dans le jardin du musée à Mamao (Papeete)

Rédigé par TAHITI HERITAGE le Vendredi 15 Avril 2016 à 10:47 | Lu 4742 fois