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Les praticiens hospitaliers grévistes dénoncent une situation absurde


Le docteur Marc Lévy, le président du Syndicat des praticiens hospitaliers de Polynésie française et le docteur Roma Malval, la seule cancérologue de l'hôpital du Taaone.
Le docteur Marc Lévy, le président du Syndicat des praticiens hospitaliers de Polynésie française et le docteur Roma Malval, la seule cancérologue de l'hôpital du Taaone.
PAPEETE, mardi 19 mars 2013. Depuis ce mardi, les praticiens hospitaliers de Polynésie française sont en grève. Le motif de cette grogne : le refus de la prise en compte de la totalité de leur ancienneté dans leur carrière professionnelle lors de la titularisation de ces médecins dans la fonction publique territoriale de Polynésie. Si la grève peut presque passer inaperçue au Centre hospitalier du Taaone en raison de la réquisition des médecins pour assurer le service minimum, elle paralyse néanmoins certaines activités. Ainsi, les blocs opératoires sont en service réduit depuis ce mardi matin et toutes les opérations programmées et non urgentes ont été différées.

La situation dénoncée par ces médecins hospitaliers - ils sont 150 sur les 1700 salariés de la fonction publique hospitalière - est absurde. Elle résulte de l’obsolescence des textes réglementaires sur le statut de la fonction publique hospitalière en Polynésie française dont les textes fondateurs sur la prise en compte de l’ancienneté de la carrière correspondent à ceux qui étaient en vigueur en métropole il y a 25 ans. Des textes sans cesse remis à jour en métropole, mais pas ici. En effet, si une actualisation des textes a effectivement été négociée en Polynésie française, avec trois protocoles d’accord signés en 2009, 2010 et 2011, ils n’ont de fait, jamais appliqués.

Or la titularisation au cours des mois derniers de 35 praticiens hospitaliers jusqu’ici contractuels, a remis de façon évidente le doigt sur un sujet délicat. Ainsi selon les situations particulières de ces médecins hospitaliers, une vingtaine de ces professionnels n’a pas pu bénéficier de la totale prise en compte de leur carrière précédente au moment de devenir titulaire de la fonction publique hospitalière de Polynésie française. Si la perte d’échelon est parfois acceptable, elle devient difficilement admissible pour le cas de la seule cancérologue en exercice à l’hôpital du Taaone qui se voit rétrogradée de 5 échelons, effaçant du même coup 13 ans d’ancienneté professionnelle. Cette cancérologue se retrouve ainsi quasiment au niveau d’une spécialiste débutante alors qu’elle exerce cette profession très spécifique en chimiothérapie depuis une vingtaine d’années au total !

Le syndicat des praticiens hospitaliers de Polynésie française (SPHPF) a alerté dès le début du mois de février les autorités du Pays sur cette question et a repoussé déjà d’une semaine un préavis de grève sur ces revendications-là pour laisser la négociation avancer. Mais en dépit de diverses rencontres avec le ministre de la santé, Charles Tetaria, la situation n’a pas été débloquée. Lundi soir encore (18 mars) une réunion de négociation n’est pas allée à son terme : le ministre de la santé et le directeur du service de la santé ayant quitté la réunion avant que toutes les situations aient pu être exposées, a expliqué à la presse le docteur Marc Lévy, président du SPHPF.

La situation de la prise en compte de l’ancienneté de la carrière des praticiens hospitaliers est toutefois à l’ordre du jour d’une délibération qui sera présentée jeudi, le 21 mars, à l’approbation des élus de l’assemblée de Polynésie française. Mais ce projet de délibération ne prend en compte que l’ancienneté de carrière acquise par les praticiens hospitaliers lors des contrats et stages qu’ils auraient pu effectuer uniquement en Polynésie française. L’ancienneté dans la profession dans les pays membres de l’Union européenne, en Suisse, à Monaco ou Andorre échappe n’est toujours pas prise en compte. Pour Marc Lévy, le président du SPHPF cette décision ferait de la Polynésie française une destination plus du tout attractive pour les praticiens hospitaliers au risque de voir certaines spécialités, déjà fortement déficitaires en métropole, inexistantes sur le territoire.




La seule cancérologue du CHPF n’est plus payée depuis janvier

Roma Malval est précisément oncologue, une spécialité pointue de la médecine qui s’occupe des malades cancéreux. C’est elle qui assure la coordination du traitement des 3500 à 4000 patients qui suivent des séances de chimiothérapie à l’hôpital du Taaone. Arrivée en Polynésie française pour des raisons personnelles, et quittant un CDI à l’hôpital de Monaco pour suivre son époux à Tahiti, elle a été embauchée, comme contractuelle, en octobre 2008 au Centre hospitalier de Polynésie française qui justement avait besoin de sa spécialité : elle est alors rémunérée normalement, son ancienneté dans la carrière professionnelle en métropole et à Monaco est prise en compte normalement comme cela se fait en métropole.

En septembre 2012 un avis de titularisation sur titres est ouvert pour 35 praticiens hospitaliers en Polynésie française visant à régulariser la situation de médecins contractuels pour les intégrer dans la fonction publique territoriale. Elle postule et est acceptée. Ce n’est qu’en janvier dernier qu’elle est informée, par courriel, qu’elle ne sera plus rémunérée de la même façon que lorsqu’elle était contractuelle. Sa titularisation au sein de la fonction publique polynésienne fait que seule son ancienneté en Polynésie est prise en compte. Cela efface immédiatement le bénéfice salarial de près de 13 ans d’ancienneté et d’expérience dans sa profession. Elle perd 5 échelons et se retrouve quasiment au niveau d’un salaire de débutante. Immédiatement elle informe la direction générale des ressources humaines (DGRH : une administration du Pays, hors de l’hôpital) qu’elle ne peut accepter ces conditions. En dépit de demandes de rendez-vous avec la DGRH, elle n’est jamais reçue.

«Quand j’ai signalé que je n’étais pas d’accord avec cette décision unilatérale, il ne s’est rien passé. En revanche, j’ai perçu mon dernier salaire fin janvier, depuis plus rien». Depuis le 1er février, date à laquelle elle aurait dû être titularisée, le docteur Roma Malval travaille effectivement sans filet légal. Elle n’est plus contractuelle, mais pas non plus titulaire de la fonction publique territoriale. Pourtant elle a continué de travailler pour assurer l’accueil des malades cancéreux, sans visiblement que cela ne perturbe les autorités. «Je trouvais choquant de laisser les patients du jour au lendemain. La cancérologie est un travail d’équipe. Moi je suis un maillon de la chaine pour coordonner la prise en charge et faire les traitements médicaux des malades cancéreux». Toutefois étant la seule oncologue de l’hôpital, sans sa présence, la chimiothérapie est à l’arrêt.

Le président du syndicat des praticiens hospitaliers de Polynésie française dénonce cette situation qui contribue à la dégradation de l’offre de santé sur le territoire. L’oncologie est actuellement une spécialité médicale où le recrutement est ardu, même en métropole et alors qu’il faudrait un deuxième spécialiste en Polynésie française, la seule qui est actuellement sur le territoire n’est traitée avec aucun égard «par une administration généraliste qui fait une lecture brutale et froide de textes inadaptés». Marc Lévy regrette encore que les discussions préalables à ce conflit n’ont eu lieu qu’avec le ministre de la santé qui n’a pas la main sur ces textes réglementaires. «Mais jusqu’ici le ministre de la fonction publique (Pierre Frébault NDLR) a refusé de nous rencontrer». Il espère que la grève démarrée ce mardi matin permettra enfin «d’avoir un interlocuteur capable de prendre une décision».

Rédigé par Mireille Loubet le Mardi 19 Mars 2013 à 14:08 | Lu 3960 fois