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"Le changement, c’est nous qui l’avons initié", défend Edouard Fritch


Le président sortant Edouard Fritch conduit la liste Tapura Huiraatira au scrutin du 22 avril pour le renouvellement des représentants de l’assemblée.
Le président sortant Edouard Fritch conduit la liste Tapura Huiraatira au scrutin du 22 avril pour le renouvellement des représentants de l’assemblée.
PAPEETE, 18 avril 2018 - Tahiti Infos a ouvert une tribune, dans chacune de ses éditions depuis le 12 avril, afin de permettre aux leaders des six listes qui se présentent aux élections territoriales de décliner leurs ambitions pour le Pays, l'esprit de leur programme politique, l'attitude qu'ils envisagent en cas de second tour, et d'autres considérations en lien avec les scrutins du 22 avril et du 6 mai pour le renouvellement des représentants de l'assemblée. Nous avons choisi d'observer l'ordre de présentation défini par l'Etat, lors du tirage au sort du 28 mars dernier. Entretien avec le président Edouard Fritch, pour achever cette série de publications.

Vous souhaitez une forte mobilisation pour offrir à votre liste une majorité dès le 1er tour, ce dimanche. Y croyez-vous sincèrement ?
Je pense que nous réunissons les conditions favorables. Le Tapura Huiraatira rassemble aujourd’hui près de 48 000 adhérents. (…) C’est un chiffre important au regard de ce qu’il peut se passer à ce scrutin. Avec autant d’adhérents, de sympathisants, et au regard du taux de participation attendu – 60 à 65 % au premier tour –, nous pouvons sérieusement viser une majorité absolue. C’est une hypothèse plausible. Mais c’est naturellement le 22 au soir que nous serons fixés.

Redoutez-vous la date du 6 mai ?
Ce qui est certain, c’est que nos adversaires ont déjà pris contact pour s’entendre sur une coalition au second tour. Je sais que si ces conditions étaient réunies, le Tapura serait en difficulté. Je ne pense pas que nous perdrions. Mais l’objectif est d’avoir une majorité forte, si l’on veut parier sur la stabilité pour les cinq prochaines années. On ne peut jamais prévoir : les hommes sont ce qu’ils sont ; il nous faut une majorité forte.

Votre slogan de campagne est "Continuons ensemble". Que dites-vous aux Polynésiens qui aspirent au changement ?
J’ai envie de leur dire que le changement c’est nous qui l’avons initié. Il ne faut pas perdre de vue que la Polynésie a vécu une traversée du désert compliquée, difficile. Nous étions au bord de la cessation de paiement en 2012. Il a fallu que l’Etat intervienne. Par le biais de M. Oscar Temaru, nous avons obtenu près de 6 milliards de subvention, pour boucler nos fins de mois. En 2013, avec l’arrivée du Tahoera’a : rebelote, avec une avance de 5 milliards que nous avons remboursée depuis. Ceci donne une image de ce que pouvait être le budget de ce Pays et surtout, la justification du mot d’ordre du Tahoera’a Huiraatira à l’époque – de notre mot d’ordre d’alors : que la première mission de la mandature soit de travailler au rétablissement de la situation financière du Pays. Nous avons réussi. (…) Nous n’avons peut-être pas répondu aux attentes de certains. Ce sont ceux-là qui, aujourd’hui, aspirent au changement. Parce que naturellement, nos adversaires politiques n’arrêtent pas de noircir ce tableau. Lorsque l’on n’arrête pas de dire que 55 % de la population polynésienne est en-dessous du seuil de pauvreté… En face, nous avons tout de même mis en œuvre de grosses opérations de rétablissement du socle familial en livrant, l’année dernière, 400 fare OPH, 1 000 aides à l’habitat. Et le plan de 1 000 logements par an, et 3 000 sur trois ans, sera pratiquement atteint pour 2018 dès le mois de mai, avec le lancement des chantiers des OLS privés (Opérateurs de logement social, ndlr). L’objectif que se donne aujourd’hui nos adversaires du Tahoera’a Huiraatira, nous l’avons déjà atteint. Effectivement, il y a certaines mesures qui, pour moi, sont d’ordre démagogique – je viens de là-bas ; je sais comment ça fonctionne – : cette prime de 50 000 francs pour toutes les femmes au foyer avec 10 000 francs par enfant… C’est quand même entre 10 et 15 milliards, cette affaire. Qui va payer ? On ne le dit pas clairement. Nous n’avons pas les moyens de faire droit à de tels engagements vis-à-vis de cette population. Le Tapura Huiraatira développe un programme qui reste raisonnable.
A ces électeurs, nous leur disons : continuons ensemble sur la voie que nous avons commencée ensemble, avec un gouvernement qui ne jette pas l’argent par les fenêtres, qui applique des mesures strictes d’économies au niveau de l’administration du Pays et qui tente de redistribuer d’une façon équitable l’argent que nous tirons de l’amélioration financière de notre économie.


Dans l’immédiat, quel mécanisme de redistribution de la richesse le Tapura Huiraatira envisage-t-il pour faire face à la grande précarité économique de nombreux Polynésiens ?
Tout le monde est d’accord sur le fait que, pour faire face à la grande précarité des Polynésiens, il faut leur donner un travail. C’est la base de la dignité. Le lieu où réside la famille aussi. Il est important que nos familles vivent dans des conditions dignes. Aujourd’hui on doit faire face à un énorme retard en matière d’habitat social. Pendant pratiquement 10 ans, on n’a rien fait. Il y a un retard sérieux à rattraper pour que cette cellule familiale vive dans des conditions normales. On y fait face. Parallèlement, il nous a fallu créer des dispositifs incitatifs pour favoriser l’emploi. C’est la raison pour laquelle j’ai complété les mesures du C.A.E (Contrat d’aide à l’emploi, ndlr), par les aides au contrat de travail ACT-Pro et ACT-Prim, afin de donner un emploi rémunérateur à ceux qui n’en ont pas ; la possibilité d’être en situation d’employabilité, pour ceux qui veulent travailler. Il y a donc eu un gros effort en faveur de la formation et surtout sur les incitations en faveur des entreprises pour qu’elles embauchent, prennent des stagiaires avec un statut réglé une fois pour toutes. Avec la bonne volonté des uns et des autres, et du Polynésien en premier lieu – je suis convaincu qu’il veut se battre –, on créera les conditions d’une amélioration.
Il y a aussi une condition importante à cela : que cette redistribution se fasse d’une façon strictement apolitique. J’ai montré l’exemple avec la Délégation au développement des communes (DDC, ndlr). J’aide toutes les communes de Polynésie française. Je ne veux plus tenir compte des étiquettes politiques des uns et des autres. Car derrière les maires, ce sont les populations que nous atteignons. Je ne cesse de me battre aujourd’hui pour que la redistribution, que ce soit en matière de logement ou d’aide à l’emploi, soit organisée avec la même discipline, tant au niveau du gouvernement, que de l’assemblée ou des communes.


Quelles actions clés mettrez-vous en œuvre dès 2018, en faveur de la solidarité et de la famille ?
Il est important que les conditions de vie des familles soient meilleures. (…) Il faut créer des mesures d’accompagnement des parents, aider les structures associatives dans les communes, les associations religieuses, à accompagner les parents et à leur réapprendre leur rôle de parent. Il faut poursuivre les efforts que nous avons entrepris pour l’école de la deuxième chance, combattre le décrochage scolaire, permettre aux enfants de réintégrer des cursus de formation ; combattre l’oisiveté des jeunes, créer des plateaux sportifs, etc. Et puis parallèlement mettre en place des mesures répressives, contre la consommation d’alcool dans les espaces publics. On va y travailler avec les maires. C’est dans notre programme… Un couvre-feu aussi pour évider que des mineurs traînent sur la voie publique après 22 heures. Nous ne pouvons plus tolérer un certain nombre de dérives, au niveau de la famille. Il y a 130 mesures, prévues par le Plan familles et adoptées par l’assemblée. Nous en avons mis en chantier 30 %. Nous avons cinq ans pour mettre en place tout le reste. C’est peu de temps.

Le Pays enregistre 10,8 milliards de recettes fiscales supplémentaires en 2017, dont 40 % liées aux prélèvements indirects. Envisagez-vous une baisse des taux de TVA ?
Nous n’avons pas réfléchi à cette question, parce que nos obligations sont énormes derrières. Nous avons besoin de beaucoup d’argent. Pendant des années, le Pays n’a pas fait face à ses obligations pour la PSG (système de Protection sociale généralisée, ndlr) et la caisse de retraites. Nous avons aujourd’hui, je crois, 15 à 16 milliards de dettes pures liées à la non-responsabilité du Pays. Des mesures ont été mises en place sans que les moyens nécessaires soient prévus en face. Cette PSG doit être réformée en urgence, et ce, dès le début de la prochaine mandature. Nous y consacrerons l’argent qu’il faudra. Les recettes fiscales supplémentaires obtenues en 2017 contribueront à cela.

Accusé par le Tahoera’a de n’avoir "rien foutu" pour réformer la PSG, que répondez-vous ?
Celui qui dit ça ne sait pas ce qu’il dit. L’affaire a capoté parce que le Tahoera’a Huiraatira est monté au créneau en tirant sur les ficelles, la marionnette étant leur candidat n°2 sur la première section : Angélo Frébault. Le politique a fait capoter cette affaire. C’est facile de dire que l’on n’a rien fait ; que « parce que Frébault est chez moi », je ne changerai pas l’âge de départ à la retraite, 60 ans, ni la durée de cotisation. Or, ce sont ces deux facteurs qui font que depuis neuf ans nous n’arrivons plus à équilibrer notre système de retraites. Oui, les emplois sont en cause. Mais c’est surtout le manque de cotisations dans un premier temps. J’ai demandé à ce que les Polynésiens travaillent un petit peu plus et cotisent un peu plus.

Le projet de loi a été retiré. La caisse des retraites est annoncée en cessation de paiement dès 2020. C’est quoi votre plan maintenant ?
Le plan, c’est que l’on reprenne les discussions dès la constitution de la nouvelle assemblée. On invitera les acteurs sociaux. Il faut trouver une solution. On ne peut pas continuer à laisser faire. Je l’ai dit aux syndicalistes : nous sommes sous la menace d’une crise sans précédent, si nous laissons arriver le jour où nous serons dans l’incapacité de payer nos retraites.

L’entrée en application de cette réforme est toujours prévue pour 2019 ?
On verra. Ça dépendra des discussions. Mais effectivement, en 2020 les fonds seront épuisés. On ne peut pas continuer ainsi. Cette réforme est une obligation ; c’est un devoir de la future majorité.

Vous avez des actions phares à annoncer en matière économique et pour l’emploi ?
Les grands chantiers vont débuter. Le Village tahitien est en très bonne voie. Les investisseurs attendent le résultat des prochaines élections. Nous recevons à la fin du mois les investisseurs du programme de Hao. Le chantier a commencé avec les terrassements. La construction des structures est à venir. C’est là que ça va monter en puissance. Voilà deux actions phares. Mais ce n’est pas suffisant.

Combien d’emplois sont en jeu ?
De 500 à 5 000, si je me fie aux chiffres. Mais je reste prudent. J’attends que le planning des travaux soit mis en place. Je l’ai dit aux investisseurs : je ne veux pas que tout se fasse en même temps. (…) Le chantier du Village tahitien représente 7 ans de travaux.

Le "défi de l’emploi" que vous déclariez prioritaire en 2016, estimez-vous l’avoir relevé ?
2016, c’est 1 200 nouveaux emplois créés ; 2017, c’est 1 600 nouveaux ; 2018, ce sera au moins autant. C’est bien. Là aussi on revient de loin. Mais les emplois durables, nous les aurons en aidant nos jeunes diplômés polynésiens à créer leur entreprise. L’administration ne recrute plus ; dans les communes, c’est pareil. Il n’y a que le secteur privé qui puisse créer de l’emploi. Sur les 18 derniers mois, nous avons aidé 750 entreprises (…). On peut estimer qu’il y a là au moins 2 000 emplois créés ou en cours. Ce n’est pas négligeable.
Et puis, si l’on croit que le tourisme sera notre première activité, il faut continuer à soutenir le secteur de la pêche et de l’agriculture. Pour la pêche, on défiscalise les thoniers jusqu’à hauteur de 70 % afin d’inciter les Polynésiens à acquérir leur outil de travail, développer la pêche, alimenter nos hôtels et le marché local ; on continue à aider la petite pêche côtière et même la pêche lagonaire. On priorise les aides dans l’agriculture pour ceux qui font du bio. Là aussi, il est important de prendre en compte ce qui est bon pour la santé.


Votre programme qualifie de "réaliste" l’objectif des 350 000 touristes en Polynésie.
Oui, c’est plus réaliste que 500 000.

Vous pensez que c’est réalisable ?
Oui, je pense. Aujourd’hui, nous sommes globalement à 250 000 visiteurs, activité de croisière incluse. Avec l’arrivée des compagnies French Bee et United Airlines, le doublement de la fréquence de Hawaiian Airlines et l’arrivée prochaine de Quantas qui envisage de faire un direct sur Sydney, sans intégrer les intentions des compagnies chinoises qui visent toujours le marché Amérique du Sud, je pense que ça reste réaliste. Je me donne le temps de la prochaine mandature pour y arriver.

On aura bientôt des vols Tahiti-San Francisco au même prix qu’un Tahiti-Rangiroa. Vous trouvez ça normal ?
Non, je suis comme vous à comparer les prix. (…) Mais quand on considère l’effort que produit Air Tahiti pour faire 40 vols quotidiens sur nos archipels, pour les désenclaver, j’estime que ce coût est justifié. (…) C’est surtout un problème de continuité territoriale. Et c’est bien à ce niveau-là que nous espérons que l’Etat, demain, commence à nous aider pour cette continuité territoriale intérieure. (…) Entre la cherté et le manque de desserte, je me battrai toujours pour maintenir cette desserte, quitte à payer un peu plus cher.

L'arrivée d'Islands Airline aurait pu favoriser une baisse des prix. Vous ne lui avez pas donné de licence d’exploitation. Pourquoi ?
Bien sûr que la multiplication des opérateurs sur la desserte des îles Sous-le-vent est propice à une baisse. Mais n’oubliez pas qu’Air Tahiti s’appuie sur cette activité pour maintenir son équilibre financier. Bora Bora paye quasiment tous les déficits occasionnés par la desserte aérienne des Tuamotu de l’Est. Le jour où vous cassez cet équilibre, il faut avoir mis en place des contreparties si tout le monde ne travaille pas sur le même terrain, avec les mêmes moyens. La concurrence ne peut pas être déloyale.

Cette question, vous engagez-vous à la régler dès cette année ?
Un projet est à l’étude au ministère des transports. C’est dans les tuyaux. (…) Il faut que l’on définisse mieux le champ de concurrence que l'on veut dans ce pays et, surtout, demander aux opérateurs de jouer sur le même terrain. Sinon, il y aura de la casse. Il ne faut pas oublier que l’on parle de service public.

La liste Tapura Huiraatira conduite par Edouard Fritch



Rédigé par Propos recueillis par Jean-Pierre Viatge le Mercredi 18 Avril 2018 à 15:57 | Lu 3484 fois