Tahiti Infos

“Travailler sur la réduction de la congestion des routes”


Crédit photo : BP
Crédit photo : BP
Tahiti, le 2 septembre 2023 - Le ministre des Grands Travaux, de l'Équipement, en charge des Transports aériens, terrestres et maritimes, Jordy Chan, a reçu Tahiti Infos pour évoquer les grands chantiers qu'il souhaite lancer dans les années à venir.

Vous êtes le ministre qui est en entré en action dès le lendemain de sa nomination avec les inondations à Teahupo'o. C'est comment d'être le mardi au port autonome, nommé officiellement le mercredi le plus jeune ministre du gouvernement et sur le terrain le jeudi ?
“Ça a été un changement de vie. C'est un poste qui est passionnant. Il y a énormément de challenges. Il y a beaucoup de besoins pressants auxquels il faut répondre de la manière la plus adaptée possible. Le président nous a fixé l’objectif de mettre en œuvre des actions concrètes, rapidement et qui permettent de changer la vie des gens. C'est sur quoi nous nous sommes concentrés.”

L'éboulement côte est est arrivé très vite aussi.
“Il a fallu agir très rapidement parce que c'était très impactant avec la circulation coupée pendant plusieurs jours. Il a fallu trouver une solution rapide mais qui est encore provisoire puisqu'on va mettre en œuvre des travaux pour modifier le virage de manière permanente. Ça nous a demandé d'être réactifs. Ça a demandé aux services du Pays de travailler rapidement.”

C'est là qu'on se rend compte que ministre, ce n'est pas facile ? Dès le lendemain de l'éboulement, la population s'impatientait, les réseaux sociaux s'enflammaient...
“C'est là qu'on comprend que ministre, c'est un job où on n'a pas beaucoup de week-ends ; mais j'ai accepté le poste en connaissance de cause.”

Peu de temps après votre nomination, il y a eu cette modification du règlement intérieur du Port autonome qui semble être taillée sur mesure afin de vous assurer un retour dans cette administration après votre mandat. Vous avez été très critiqué pour cela.
“Ce que le Port a fait, c'est de mettre à jour son statut du personnel qui date des années ‘80 pour le rendre conforme à la loi. La loi statutaire de 2004 stipule qu'un président ou un ministre peut demander la suspension de son contrat de travail. Beaucoup d'établissements publics, mais aussi privés, se sont mis en accord avec cette loi, et ce n'était pas le cas pour le Port autonome. Tout ce qu'a fait le conseil d'administration, c'est de passer une délibération pour se mettre en conformité.”

Le fait que cela soit concomitant avec votre nomination est malgré tout un très heureux hasard...
“Mon cas de figure a certainement mis le doigt sur cette question et impulsé la nécessité pour le Port de se mettre en conformité. Mais, je le dis, ce n'est pas une décision qui a été prise pour moi. C'est la situation contraire qui aurait pu poser problème : si moi, en tant que citoyen, je me voyais empêché de faire valoir mes droits.”
On va lancer, dans les mois qui viennent, un appel à projets pour le développement du covoiturage

Vous êtes intervenu sur le rond-point du Méridien juste avant la rentrée. Quels enseignements avez-vous tiré des modifications mises en place ?
“Au cours des 100 jours, nous avons mis en place deux mesures spécifiques pour désengorger la circulation avec des mesures simples. Nous sommes intervenus sur le giratoire du Méridien au PK 15 avec la mise en place d'un ‘shunt’ et du sens interdit pour ceux qui ne sont pas riverains de la pointe des pêcheurs pour éviter les mouvements parasites. Nous sommes intervenus pour modifier légèrement la circulation au centre-ville au croisement de la rue Pouvana'a. Cela a permis de fluidifier la circulation. Le gros problème sur la côte ouest reste les servitudes le long de la route. Les voitures qui y entrent et sortent causent ces phénomènes d'accordéon qui congestionne la route. La mise en place du ‘shunt’ permanent au rond-point du PK 15 réduit ce phénomène, mais cela reste une mesure rapide, qui nécessite d'autres solutions pour régler ce problème. On est en train de les étudier. À court terme, on va mettre en place des petits aménagements qui permettraient d'éviter les mouvements qui parasitent la circulation. Je pense par exemple aux bus qui s'arrêtent en plein milieu de la voie et causent des ralentissements. On est en train de voir pour créer des encoches de stationnement pour les bus sur le domaine public routier existant.”

À plus long terme, c'est la relance de la Route du Sud, un vieux serpent de mer.
“Oui, le président l'a annoncé. On réfléchit à des solutions potentielles plus structurantes. Les dernières vraies études à ce sujet datent de 2010. Il faut en relancer pour voir si on n'a pas mis de côté certaines solutions et si on peut limiter l'impact foncier. Aujourd'hui, il est un peu tôt pour se prononcer.”

Vous avez peur d'une nouvelle levée de bouclier des élus, des propriétaires terriens ? Tony Géros s'est prononcé contre cette route.
“Non, pas vraiment. Nous travaillerons avec la population et les tāvana. Il y aura des démarches consultatives et nous cherchons à travers ces études le moyen de limiter au maximum l'impact sur le foncier. C'est un axe sur lequel on aurait pu se pencher davantage par le passé. […] Nous souhaitons vraiment travailler sur la réduction de la congestion des routes. Nous souhaitons à la fois intervenir sur les infrastructures routières, mais on veut aussi réduire le nombre de voitures sur les routes.”

Comment comptez-vous y parvenir ?
“Par plusieurs moyens. La décentralisation déjà. Mais il y a aussi le covoiturage. Nous avons une route principale qui est un véritable couloir de voitures. Et dans ces voitures, beaucoup de personnes seules. Pourquoi ne pas optimiser cette utilisation des véhicules à travers le covoiturage ? On va lancer dans les mois qui viennent un appel à projets pour le développement du covoiturage. Ce sera un projet lancé en phase pilote pour voir ce que cela donne. C'est un projet de société qui mérite d'être testé. Le deuxième axe, c'est le développement du transport en commun et des modes alternatifs à la voiture comme le vélo. On a pour projet de développer une piste cyclable qui relierait la fin de Faa'a, de Carrefour Auae, jusque Motu Uta. Le projet devrait démarrer l'année prochaine. Enfin, il y a une troisième piste que nous étudions, en partenariat avec le ministère de l'Éducation, qui consisterait à mieux adapter les horaires d'école au trafic des heures de pointe. Cela pourrait permettre de lisser la circulation. Évidemment, l'avis des parents d'élèves et celui des établissements scolaires seront pris en compte.”

Sur le réseau en lui-même, comptez-vous aussi faire des modifications ?
“C'est plus rapide à faire que les projets structurants. On réfléchit à la reconfiguration des feux, celle des carrefours, les sens de circulation, notamment dans la zone urbaine de Papeete. Il y a aussi la création de barreaux de circulation pour éviter l'engorgement de certains carrefours. Sur Mahina, il y a le projet de rajouter une voie à la descente du Tahara'a. Le tout est à réaliser en limitant au maximum l'impact foncier. Il y a aussi le vieux projet qui est la voie de contournement de Papeete. Une voie avait été étudiée dans la montagne, une autre à travers le récif. Mais selon les dernières études, le coût est bien trop élevé. Nous sommes à plus de 100 milliards de francs, sans compter l'impact foncier. Dans l'immédiat, ce n'est pas possible.”

Vous parliez des bus. Une réforme est-elle aussi à l’étude sur le sujet ?
“Tout à fait, une réforme tarifaire qui consiste à simplifier la gamme de prix existante. Il y a plus d'une soixantaine de tarifs différents. On aimerait aussi rendre les prix moins chers pour une certaine catégorie de la population. Enfin, nous voulons mettre en place des voies réservées pour le transport en commun. C'est un projet qui demandera du temps.”

Au niveau des grands projets déjà lancés, il semble que le gouvernement veuille se donner le temps. Fare Hinoi, le Village tahitien, le lycée de Moorea, et d'autres… Cela inquiète les professionnels du secteur qui expliquent que trois mois de retard, de révision du projet, de discussions, c'est trois ans de perdus dans la relance du projet. Y a-t-il vraiment besoin de revoir ces projets ?
“Dans le secteur du BTP, il y a une activité qui est très soutenue. En début d'année, les chantiers avaient même du mal à trouver des entrepreneurs pour lancer les travaux. On avait des appels d'offres qui restaient infructueux parce que les tarifs proposés étaient beaucoup plus élevés que les prix pratiqués sur les précédents chantiers. Il y a des projets sur lesquels le gouvernement veut prendre son temps pour, soit les remodeler, soit prendre sa décision. Le projet du Village tahitien occasionnerait une dépense publique de 40 milliards de francs. Avant de lancer un tel projet, c'est important de savoir ce que l'on veut faire. Idem pour le projet du lycée de Opunohu. Il y a 6 milliards de francs en jeu, si ce n'est 9. C'est beaucoup pour 300 nouvelles places. Il faut bien réfléchir. Si on finance ces projets, on se prive de financement pour d'autres.”

Redimensionner les projets, c'est souvent faire tout repartir à 0. Il faut refaire la procédure, refaire les appels d'offres, etc.
“Ça dépend des projets. Certains sont encore en phase d'étude donc cela a beaucoup moins d'impact. Mais j'estime que si le projet n'est pas déjà en construction, cela vaut le coup de revoir comment le projet répond aux besoins et si on peut économiser plusieurs milliards derrière.”

La saison chaude pourrait être très pluvieuse cette année. Votre ministère en a-t-il pris la mesure du côté du curage des rivières pour éviter ou limiter les inondations ?
“Le phénomène El niño revient régulièrement. On en a conscience. On a attiré l'attention de la Direction de l'équipement dessus. Nous devons mettre en place une stratégie d'intervention qui a pour vocation de limiter au maximum l'effet d'un cyclone ou de grosses pluies. On va bientôt finaliser les travaux de bétonnage de la Nahoata qui doivent faciliter l'écoulement de l'eau. À défaut d'augmenter le gabarit hydraulique de la rivière, on va augmenter son débit. On travaille sur le sujet. Cela étant, il faut savoir qu'il y a des limites à l'impact que l'on peut avoir sur les rivières. On ne peut pas non plus creuser des lits entiers, mais on fait le maximum pour limiter l'impact des événements climatiques.”

Le projet d'aéroport aux Marquises refait encore surface. Une telle décision implique d'énormes travaux annexes, la mise en place d'une caserne de pompiers, les hébergements... 
“L'avantage de l'aéroport des Marquises, c'est qu'il serait situé hors d'eau. Celui de Nuku Hiva est situé à plusieurs dizaines de mètres d'altitude. À long terme, du point du vue changement climatique, c'est avantageux. Mais surtout, l'aéroport des Marquises est un projet structurant. Une étude conjointe État/Pays sera menée pour déterminer les contours exacts de cet aéroport. Tout l'écosystème est à étudier derrière. Les zones d'hébergements, les zones d'activités, les infrastructures connexes comme les routes. Celle qui traverse Terre déserte est une ancienne piste cavalière qui a été bétonnée et qui est parfois à une voie. Il va falloir étudier pour, soit la rectifier, soit trouver un autre tracé. Les Marquises ont un fort potentiel touristique. C'est magnifique en termes de paysages, de patrimoine, de culture. Il y a aussi le potentiel agricole et la pêche que l'on doit étudier.”

Vous avez lancé une grande campagne de sortie des épaves de bateaux. Elle va se poursuivre ?
“Le but est de nettoyer nos lagons et mieux organiser leur utilisation. Il faut refaire la législation en vigueur à ce sujet pour retirer les épaves, les déchoir de leur propriété et les démanteler. Le Port autonome a déjà identifié un terrain où seront stockées les épaves en attendant de pouvoir les démanteler. On demande aussi aux plaisanciers de mieux se signaler dans les lagons.”

Il va falloir aussi développer les marinas et les corps-morts pour que le calme revienne dans les lagons entre riverains et plaisanciers.
“Il nous faut continuer à identifier des zones de mouillage et y installer des corps-morts pour obliger les plaisanciers à y stationner, même provisoirement. Les marinas sont susceptibles d’être des structures qui peuvent être développées en partenariat public/privé.”

Vous laisseriez la concession maritime pour qu’un privé puisse y monter sa marina ?
“Par exemple, c'est quelque chose à étudier que l'on peut lancer à travers un appel à projets.”

Le terminal de croisière est en cours de finalisation, mais la passerelle évoquée n'a pas été faite. Avez-vous une solution pour que les touristes de ces navires de croisière ne coupent pas la circulation quand ils vont et viennent ?
“Nous sommes en train de l'étudier effectivement. Le problème avec la passerelle du projet initial, c'est qu'elle coûtait 1,2 milliard de francs. J'ai demandé à mes services de réfléchir à des solutions moins coûteuses. Si nous arrivons à un budget raisonnable, il sera poursuivi.”

Rédigé par Bertrand PREVOST le Lundi 4 Septembre 2023 à 03:17 | Lu 4905 fois