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Sexe, drogue et mūto’i : un procès “patchwork”


Cette affaire où se mêlent sexe, drogue et un policier municipal a été ouverte grâce à l’inquiétude d'une sœur, décidée à briser le silence pour sauver sa frangine d'une relation nocive. Crédit photo : Thibault Segalard.
Cette affaire où se mêlent sexe, drogue et un policier municipal a été ouverte grâce à l’inquiétude d'une sœur, décidée à briser le silence pour sauver sa frangine d'une relation nocive. Crédit photo : Thibault Segalard.
Tahiti, le 9 septembre 2024 – D'un plan à trois à une condamnation pour trafic de paka, il n'y a qu'un pas. Ce lundi, le tribunal correctionnel de Papeete s'est penché sur un dossier complexe où se mêlent drogue, proxénétisme et violences.
 
D'un plan à trois à la condamnation d'un mūto’i pour trafic de paka, il n'y a qu'une sextape. Ce lundi, le tribunal correctionnel de Papeete s'est plongé dans un dossier singulier, où drogue, proxénétisme et violences se mêlent dans une toile complexe. Une affaire révélée grâce à l’inquiétude d'une sœur, décidée à briser le silence pour sauver sa frangine d'une relation nocive.
 
Madame D. est la première à comparaître. À la barre, cette jeune femme affronte seule le tribunal, sans avocat pour la défendre. Vêtue sobrement avec un pantalon noir et une chemise blanche, les cheveux attachés, elle parle d'une voix ferme et fluide, même si ses yeux trahissent la souffrance des dernières années. Accusée d’usage de stupéfiants, principalement d’ice, elle est aussi au cœur de l’affaire en tant que victime. Depuis 2016, elle partage la vie de Monsieur K., son compagnon avec qui elle consomme de la drogue. Leur relation a entraîné une chute vertigineuse. Madame D. a perdu son emploi d'hôtesse de l'air, incapable de se présenter à son travail sous l’emprise des substances. “J’ai perdu mon travail à cause de ma consommation excessive. Je ne pouvais pas me montrer dans cet état”, avoue-t-elle devant le tribunal.
 
Son état de dépendance affective, décrit dans une expertise psychologique, révèle une femme affaiblie, en pleine autodestruction. Mais c’est la famille de Madame D., et particulièrement sa sœur, qui a tiré la sonnette d’alarme en alertant les autorités. La voyant régulièrement marquée par des coups, tuméfiée et avec des brûlures de cigarettes sur le corps, la famille soupçonnait une situation bien plus grave. Le point de rupture a été atteint lorsque Monsieur K. a envoyé une photo de Madame D. à sa mère, la montrant en pleine relation sexuelle avec deux hommes. Persuadée que sa sœur se prostituait pour obtenir de la drogue, la sœur de Madame D. a immédiatement prévenu la gendarmerie.
 
Des “plans sexe” contre de l'ice
 
L'enquête a confirmé ses craintes. Interrogée par les forces de l’ordre, Madame D. a révélé qu'elle se rendait à des rendez-vous avec des hommes pour obtenir de la drogue, souvent accompagnée de son compagnon pour ne pas avoir peur. “Vous disiez que vous donniez rendez-vous en ville, près des lieux de nuit, à des hommes pour avoir de l'ice”, a rappelé la présidente du tribunal.
 
Cependant, à la barre, Madame D. a cherché à minimiser la situation, modifiant sa version des faits. Elle a tenté de disculper Monsieur K., présentant les violences qu'elle avait subies comme des “accidents” sous l’effet de l’alcool et de la drogue. Sur les accusations de proxénétisme, elle admet avoir eu une relation avec un soi-disant “baron de la drogue”, qui lui fournissait de l’ice à un prix réduit en échange de faveurs sexuelles. “Il n’a jamais été question de la faire travailler”, affirme d'ailleurs son compagnon.
 
Elle avouera tout de même opérer des “plans sexe” pendant lesquels elle, son compagnon et des inconnus se droguaient. Ces soirées d'orgies, de “chemsex”, étaient souvent filmées. Lors des perquisitions, les enquêteurs vont découvrir ces vidéos explicites. Sur l’une d’elles, ils y identifient rapidement un homme, faisant partie de l'équipe des policiers municipaux à Papara, consommant de la drogue lors d’un acte sexuel avec le couple.
 
Un mūto’i de Papara impliqué dans un trafic de drogue
 
La découverte du rôle du mūto’i a ajouté une dimension inattendue à l’affaire. Cet homme, policier municipal à Papara depuis une dizaine d'années, est accusé de consommer de la drogue avec le couple. Lors de l’enquête, les forces de l'ordre ont également remonté la piste d’une cabane isolée, située sur les hauteurs de Pirae et appartenant au policier. En perquisitionnant les lieux, ils y ont découvert 223 pieds de cannabis soigneusement cultivés et ainsi que le troisième homme déféré dans cette affaire.
 
Ce troisième homme, un quadragénaire, a reconnu entretenir cette plantation depuis plusieurs mois sous la direction du policier, qui le logeait dans cette même cabane. Ce dernier a tenté de se défendre en affirmant qu’il ne s’était plus rendu à la cabane depuis des mois. Pourtant, les deux hommes échangeaient entre 40 et 50 appels par mois, ce qui a éveillé les soupçons. La cabane était équipée de panneaux solaires et de lampes UV, créant des conditions parfaites pour la culture de cannabis. Sans la découverte de ces vidéos compromettantes, cette exploitation illicite aurait pu rester cachée encore longtemps.
 
Un dossier “patchwork”
 
Lors de son réquisitoire, le procureur de la République a qualifié cette affaire de “patchwork”, soulignant le rôle crucial de la famille de Madame D. “C’est grâce à l’intervention de sa sœur que Madame D. a pu être sauvée de cette descente aux enfers. Il est rare que la famille pousse les portes de la gendarmerie, et cela mérite d’être salué.”
 
Malgré les tentatives de Madame D. pour dédouaner son compagnon, le procureur a insisté sur le fait que Monsieur K. avait “largement profité des passes” effectuées par Madame D. pour obtenir de la drogue. “Il a agi en tyran domestique”, a-t-il déclaré, ajoutant que la jeune femme restait une victime dans cette histoire. En conséquence, Madame D. a été condamnée, pour usage de stupéfiants, à trois mois de prison avec sursis et à une obligation de soins addictologiques et psychologiques. Monsieur K., pour sa part, a écopé de 15 mois de prison, dont six mois avec sursis probatoire renforcé.
 
Quant au policier municipal, le procureur a été intraitable. “Les gendarmes de Papara ont dû être effarés de tomber sur lui, un policier avec lequel ils opèrent depuis longtemps (...) il est l'instigateur d'un trafic alors qu'il est un agent de la loi, il fait partie de la chaîne pénale (...) il a bafoué la confiance que les citoyens mettent dans les forces de l'ordre.” Le tribunal l'a condamné à 12 mois de prison, dont six avec sursis, 300 000 francs d’amende et une interdiction d’exercer dans la fonction publique pendant trois ans. Le troisième homme, reconnu comme le gestionnaire de la plantation de cannabis, a été condamné à 12 mois de prison avec sursis.
 

Rédigé par Thibault Segalard le Lundi 9 Septembre 2024 à 21:10 | Lu 4427 fois