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On a marché sur le feu !


Les futurs mariés Anne et Mikaël ont marché sur le feu avant leur union, prévue le 11 juillet.
Les futurs mariés Anne et Mikaël ont marché sur le feu avant leur union, prévue le 11 juillet.
PUNAAUIA, le 2 juillet 2015 - Les festivités du Heiva ont été ouvertes, mercredi dernier, par le prêtre Raymond Graffe, avec la traditionnelle marche sur le feu ou "umu ti". L'occasion pour nous de tester cette cérémonie ancestrale, un soir de pleine lune…


"Je déclare ouvert le Heiva i Tahiti 2015 par le feu !", lance le "tahua" (prêtre) Raymond Teriierooiterai Graffe. Une atmosphère mystique règne sur les terres ancestrales du Mahana Park, à Punaauia. La pleine lune éclaire le four traditionnel constitué de pierres de lave et alimenté par du bois de "aito" (arbre de fer) provenant de la vallée de la Papenoo. Des "auti" (plantes sacrées) entourent la scène où sont réunis les spectateurs venus assister à cette cérémonie authentique. Une jeune femme s'avance, les seins nus, et se livre à une danse traditionnelle afin d'invoquer la bénédiction des dieux anciens. Elle est rejointe par d'autres vahine et des tane qui nous offrent des pas de danse envoûtants, nous emportant au gré du son des toere et des percussions.

Bientôt, le prêtre et son fils Teariiotahititepapanuioario'i, à qui il a transmis son savoir et son "mana" (pouvoir), font des incantations et marchent sur les pierres chauffées à blanc, en les balayant avec des feuilles de "auti". Ils s'assurent ainsi de la présence divine avant d'inviter les volontaires à les suivre. Cependant, pour cette épreuve du feu, le "tahua" exige que le protocole soit bien respecté : il est interdit de se retourner ou de revenir en arrière une fois la marche entamée ; il est interdit d'interpeller une autre personne pendant la traversée ; les femmes ayant leurs menstruations ne peuvent pas y participer… Par contre, la cérémonie est recommandée aux personnes enceintes pour protéger leur enfant, ainsi qu'aux mariés afin de leur garantir une union durable.

UN RITUEL PURIFICATEUR

Ce rituel a une portée purificatrice et ne peut en effet s’accomplir qu’en respectant quelques règles importantes données par le maître de cérémonie. Le "umu ti" peut enfin commencer. C'est avec une certaine appréhension - mais aussi beaucoup d'excitation - que nous nous avançons vers les pierres fumantes, dont certaines sont encore léchées par les flammes. Personne à notre connaissance n'a fini aux urgences, alors pourquoi nous ? Nous avons souhaité relever le défi, plus question de reculer. Pieds nus, nous montons sur la première pierre de la dalle de marche, puis la deuxième. Notre cœur bat fort. Une sensation étrange nous envahit. Non, ce n'est pas brûlant. Oui, c'est grisant. Nous l'avons fait, et c'est avec un sentiment de bien-être que nous achevons notre marche sur le feu, sous les applaudissements des moins téméraires.

Soyons honnête, certains marcheurs ont fait de petites chutes, fort heureusement sans gravité, en perdant l'équilibre. Une Japonaise s'est, elle, brûlé légèrement la voûte plantaire. Peut-être n'avait-elle pas suivi le conseil du prêtre de passer plutôt sur les côtés, moins chauds qu'au centre du foyer… Pour clore la cérémonie, le prêtre et ses assistants disposent sur le four des palmes de cocotier enflammées et marchent plusieurs fois dessus. Il est désormais interdit à tout être vivant de passer sur le "umu ti" jusqu'à l'année prochaine. C'est en s'embrassant front contre front et nez contre nez que s'achève ce moment ancestral intense, qui augure d'un Heiva i Tahiti 2015 haut en couleur.



Raymond Graffe : "Je n'ai jamais envoyé quelqu'un à l'hôpital"

Depuis quand existe cette tradition et depuis quand la pratiquez-vous ?
Cette tradition a toujours existé de par nos ancêtres. Pour ma part, je l'exerce depuis le 21 juin 1983 jusqu'à aujourd'hui, donc depuis plus de trente ans, pour mettre véritablement l'authenticité de la culture en place.

Quelle est l'origine de cette cérémonie ?
A l’origine, cette cérémonie se pratiquait au moment des disettes pour cuire les tubercules de "ti" (provenant du "auti", ndlr) afin d’éviter la famine pendant la saison sèche. Après la traversée du feu, on plaçait ces racines à l'intérieur du four et, cinq jours après, on partageait avec la population, en attendant la prochaine récolte. La marche sur le feu se faisait avant la cuisson, pour vérifier la présence des dieux. Si les prêtres ne se brûlaient pas, cela signifiait qu'ils avaient encore le "mana" et que la cuisson des "ti" se ferait avec succès.

A combien de degrés sont chauffées les pierres ?
Nous suivons tout un rituel de préparation en amont de cette cérémonie. Le four est allumé tôt le matin pour que les pierres soient à bonne température le soir. Sur la dalle de marche, nous pouvons estimer la température entre 1 100 °C et 650 °C.

Comment expliquez-vous qu'une femme se soit brûlé le pied ?
Parce que tu ne peux pas tricher. La preuve, cette Japonaise ne s'est pas énormément brûlée, elle a juste le dessous du pied qui a chauffé. Je n'ai jamais envoyé quelqu'un à l'hôpital. Jamais ! C'est la première fois que cela arrive, ce sont des personnes extérieures à notre ethnie, mais il faut quand même les aimer, ils sont venus partager notre culture. C'est pour cela que je suis là aussi, pour apporter toutes les facultés médicinales que possèdent certaines plantes, magiques et féeriques. L'huile de tamanu est la plus efficace en cas de brûlure.




Anne et Mikaël, futurs mariés : "C'est un symbole"

"Nous nous sommes rencontrés en Polynésie, et nous résidons désormais en Métropole. Nous avions déjà assisté à une cérémonie, mais c'est la première fois que nous marchons sur le feu. C'est vrai que c'est impressionnant, c'est prenant et, franchement, c'est à faire. Pour nous, qui aimons la culture polynésienne et ce pays, c'est un symbole, car nous nous marions le 11 juillet prochain."

Rédigé par Dominique Schmitt le Jeudi 2 Juillet 2015 à 17:39 | Lu 1139 fois