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Londres va envoyer des demandeurs d'asile au Rwanda pour décourager les clandestins


Dan Kitwood / POOL / AFP
Dan Kitwood / POOL / AFP
Londres, Royaume-Uni | AFP | jeudi 14/04/2022 - Le Royaume-Uni a annoncé jeudi un projet controversé d'envoyer au Rwanda des demandeurs d'asile arrivés illégalement et confié la surveillance de la Manche à la Royal Navy, espérant dissuader les traversées clandestines de la Manche en pleine augmentation.

Alors que le Premier ministre Boris Johnson avait promis de contrôler l'immigration, un des sujets clés dans la campagne du Brexit, le nombre de traversées illégales de la Manche a triplé en 2021, année marquée par la mort de 27 migrants dans un naufrage fin novembre. Londres reproche régulièrement à Paris de ne pas en faire assez pour les empêcher.

"A partir d'aujourd'hui (...) toute personne entrant illégalement au Royaume-Uni ainsi que ceux qui sont arrivés illégalement depuis le 1er janvier pourront désormais être relocalisés au Rwanda", a annoncé le dirigeant conservateur dans un discours dans le Kent (sud-est de l'Angleterre).

Le Rwanda pourra accueillir "des dizaines de milliers de personnes dans les années à venir", a-t-il ajouté, décrivant ce pays d'Afrique de l'Est comme l'un des "plus sûrs au monde, mondialement reconnu pour son bilan d'accueil et d'intégration des migrants."

Ce projet, susceptible de s'appliquer à tous les étrangers entrés illégalement, d'où qu'ils viennent (Iran, Syrie, Erythrée..), a suscité des réactions scandalisées, des organisations de défense des droits de l'homme dénonçant son "inhumanité". L'opposition a jugé que le Premier ministre tentait de détourner l'attention après avoir reçu une amende pour une fête d'anniversaire en plein confinement.

A Douvres, les avis sont partagés : "Ils doivent être renvoyés parce que ce n'est pas notre responsabilité. Notre responsabilité c'est de s'occuper de notre propre population, ce que l'on ne fait pas", a déclaré à l'AFP Andy, 68 ans, un vétéran de l'armée britannique.

Mike Allan, retraité de 73 ans, jugeait lui l'idée "absolument ridicule" et "beaucoup plus coûteuse sur le long terme".

Désireux de regagner en popularité avant des élections locales le mois prochain, Boris Johnson et son gouvernement cherchent depuis des mois à conclure des accords avec des pays tiers où envoyer les migrants en attendant de traiter leur dossier.

Une telle mesure est déjà appliquée par l'Australie avec des îles éloignées du Pacifique, une politique très critiquée.

En vertu de l'accord annoncé jeudi, Londres financera dans un premier temps le dispositif à hauteur de 120 millions de livres (144 millions d'euros). Le gouvernement rwandais a précisé qu'il proposerait la possibilité "de s'installer de manière permanente au Rwanda s'ils le souhaitent".

"Abuser du système" 

"Notre compassion est peut-être infinie mais notre capacité à aider des gens ne l'est pas", a déclaré Boris Johnson, qui anticipe des recours en justice contre le dispositif.

Il a ajouté que "ceux qui essayent de couper la file d'attente ou abuser de notre système n'auront pas de voie automatique pour s'installer dans notre pays mais seront renvoyés de manière rapide et humaine dans un pays tiers sûr ou leur pays d'origine".

Les migrants arrivant au Royaume-Uni ne seront plus hébergés dans des hôtels mais dans des centres d'accueil à l'image de ceux existant en Grèce, avec un premier centre "ouvrant bientôt", a annoncé Boris Johnson.

Dans le cadre de ce plan qui vient compléter une vaste loi sur l'immigration actuellement au Parlement et déjà critiqué par l'ONU, le gouvernement confie dès jeudi le contrôle des traversées illégales de la Manche à la Marine, équipée de matériel supplémentaire. Il a renoncé en revanche à son projet de repousser les embarcations entrant dans les eaux britanniques, mesure décriée côté français.

En envoyant des demandeurs d'asile à plus de 6.000 kilomètres du Royaume-Uni, le gouvernement veut décourager les candidats au départ vers le Royaume-Uni, toujours plus nombreux: 28.500 personnes ont effectué ces périlleuses traversées en 2021, contre 8.466 en 2020 et 299 en 2018, selon des chiffres du ministère de l'Intérieur.

Amnesty International a critiqué "une idée scandaleusement mal conçue" qui "fera souffrir tout en gaspillant d'énormes sommes d'argent public", soulignant aussi le "bilan lamentable en matière de droits humains" du Rwanda.

Daniel Sohege, directeur de l'organisation de défense des droits humains Stand For All, a déclaré à l'AFP que l'initiative du gouvernement était "inhumaine, irréalisable et très coûteuse", recommandant plutôt d'ouvrir des voies d'entrée au Royaume-Uni "plus sûres" car celles existant sont "très limitées".

le Jeudi 14 Avril 2022 à 06:49 | Lu 382 fois