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Les autonomistes en reconquête


Tahiti, le 7 juillet 2024 - Vote sanction contre le Tavini et reconquête des autonomistes quand ils savent s’entendre sont les deux leçons à tirer de ces législatives anticipées, pour ne pas dire précipitées. Moerani Frébault va découvrir le Palais Bourbon alors que Nicole Sanquer, deux ans après sa défaite de 2022, et Mereana Reid Arbelot, y retournent.
 
 
Le “hat trick” n’est pas passé loin samedi pour la plateforme Amui Tatou qui avait déjà envoyé la semaine dernière Moerani Frébault au Palais Bourbon.
 
Avec l’élection de Nicole Sanquer, la plateforme autonomiste a montré sa solidité, du moins, pour cette fois. L’élue A here ia Porinetia à l’assemblée de la Polynésie française a pu retrouver des scores qu’elle n’avait pas connu en 2022 et remporter la seconde manche face à Steve Chailloux, perdant fair-play aux mots d’encouragements pour la nouvelle députée.
 
Nicole Sanquer l’emporte largement à Mahina (64,50%), une ville qu’elle affectionne – mais qui lui échappe souvent –, dans les deux communes de la presqu’île, mais surtout à Paea (52,06%), à la surprise générale, où elle devance Steve Chailloux de 200 voix (2 486 contre 2 289). À l’échelle de la deuxième circonscription, la plateforme autonomiste se permet d’augmenter son score de 2022 de 4 000 voix, là où Steve Chailloux en perd de son côté plus de 6 000.
 
Dans la circonscription 3, Mereana Reid Arbelot, quant à elle, conserve son poste, mais au prix d’une lutte intense et d’un long suspens en fin de soirée alors qu’étaient dépouillés les derniers bureaux à Faa’a et Punaauia. La députée sortante, si elle s’impose aisément dans le fief indépendantiste de Faa’a (63,15%), perd de nombreuses voix à Punaauia (39,82%). Pascale Haiti Flosse ne rate l’élection que de 600 voix, la faute à des Raromatai qui ont sanctionné de leur côté le choix de la candidate Amuitahira plutôt que la fille de Lana Tetuanui.
 
La victoire de Mereana Reid Arbelot est ponctuée par une perte de près de 800 voix à Faa’a, quand les autonomistes doublent les leurs, et par une perte de 1 000 voix à Punaauia par rapport à 2022.

Un vote sanction

L’échec du vote de la loi fiscale, les pérégrinations à bas coût des élus en Azerbaïdjan, la commission de la décolonisation dont on ne sait ce qu’il s’y passe et ce qu’elle finance, les cavaliers législatifs hasardeux à l’Assemblée nationale pour obtenir une modification du statut sans une once de dialogue préalable, les propos incendiaires et racistes de certains élus et ministres, d’autres propos négationnistes concernant l’efficacité de la médecine, puis le coup de grâce cette semaine avec les déclarations sur le live de Tahiti Infos de la représentante Hinamoeura Cross et le “Leucemique gate”.
 
C’est peu dire que le bilan du Tavini aux manettes du Pays depuis un an a créé une frustration dans l’électorat polynésien qui a enregistré comme seul acte fort depuis un an, l’abandon de la TVA sociale. Samedi soir, benoîtement, Tony Géros, président de l’assemblée de la Polynésie française et maire de Paea, puis Steve Chailloux, député sorti, expliquaient que ce vote était un vote sanction envers la gouvernance Brotherson. Dans le même temps, le président du Pays se félicitait de la note délivrée par Standards&Poors le jour-même (voir par ailleurs) et réfutait ce vote sanction.
 
Au Tavini désormais de faire le tri dans les responsabilités entre l’exécutif (le gouvernement de Moetai Brotherson) et le législatif (l’assemblée et les trois députés). Le mouvement indépendantiste, qui se promettait dimanche une belle séance d’explications (voir par ailleurs), devra tirer les conclusions de sa défaite ou des mauvais scores dans des communes clefs comme Paea, Mahina, Punaauia et même Teva i uta, qui avait un temps tourné le dos à son maire, Tearii Alpha.
 
Le Tavini pourra malgré tout se réjouir des très bons résultats effectués aux Raromatai et sans lesquelles Mereana Reid Arbelot n’aurait pas pu conserver son siège. Un coup de pouce qui provient sans doute des électeurs du premier tour qui avaient porté leurs voix sur Naomi Mihuraa. Une consigne de Lana Tetuanui, revancharde contre le Tapura ?

Autonomie/indépendance, le duel suranné ?

Le Tapura en 2022 (législatives) puis 2023 (territoriales) a été battu par le Covid, sa gestion économique contestée du pays en interne pendant les années de la pandémie, ainsi que par la lassitude du pouvoir. Samedi, le vote de contestation à l’égard du Tavini est une autre traduction de la lassitude de la population. Celle d’un débat autonomie/indépendance qui monopolise les priorités politiques… là où ne situent pas celles de la population.
 
Là où la population parle pouvoir d’achat, augmentation des prix, emploi, le gouvernement et l’assemblée de la Polynésie française ont répondu indépendance, Google, tergiversations fiscales, et réappropriation culturelle.
 
Éloignés des préoccupations de l’Hexagone, les Polynésiens ne se sont pas déplacés en masse pour ces élections. Si la lutte contre l’extrême droite avait été si importante ici, les voix des indécis se seraient portées sur les indépendantistes, seuls candidats clairs dans leur positionnement à Paris.
 
Mais les Polynésiens souffrent et n’attendent pas une stagnation des prix après la flambée, mais une baisse, ou une augmentation du pouvoir d’achat par des revalorisations salariales globales qui ne laisseraient pas les classes moyennes sur le bord de la route.
 
La forte abstention de ce second tour (52,3%) et l’éparpillement des votes ces deux dernières années en témoignent.
 
Dernier symbole – et non des moindres –, cette photo prises à 23 heures samedi soir du haut-commissaire Éric Spitz, avec les trois députés élus. Comme un message envoyé aux électeurs pour dire que l’État sera là, peu importe les bords politiques des uns et des autres.

Rédigé par Bertrand PREVOST le Dimanche 7 Juillet 2024 à 15:37 | Lu 3543 fois