Tahiti Infos

L'économiste Vincent Dropsy plaide pour le passage à l'euro en Polynésie


L'économiste Vincent Dropsy plaide pour le passage à l'euro en Polynésie
Ce jeudi, l'économiste et maître de conférence à l'Université de Polynésie française Vincent Dropsy présentera devant les représentant de la Chambre de Commerce et d'Industrie de Nouméa et de la CCISM de Papeete les avantages et les inconvénients d'un passage à l'euro dans les collectivités françaises du Pacifique, Polynésie et Nouvelle -Calédonie. Fervent partisan du remplacement du Franc Pacifique par la monnaie européenne, Vincent Dropsy a accepté d'expliquer à Tahiti-Infos pourquoi l'euro serait un atout pour nos Pays d'Outre-mer, malgré la crise qui frappe la zone euro.


Vous êtes favorable au passage à l’euro en Polynésie française. Pourquoi ?

Je dirais même que l’unanimité des économistes que je connais se prononcent en faveur du passage à l’euro. Cela ne veut pas dire que l’euro va régler tous les problèmes, loin de là. Mais cela offrira plus de concurrence, en permettant aux consommateurs de comparer les prix sur internet. Cela permettra aussi des échanges plus nombreux, puisqu’il est difficile de se procurer des francs pacifique aux Etats-Unis et même en France. L’euro faciliterait aussi les échanges commerciaux avec l’Europe et le reste du monde. Troisièmement, et c’est à la fois le plus discutable des arguments et le plus solide, il éliminerait toute possibilité de dévaluation du franc pacifique, comme cela a été le cas en Afrique avec le franc CFA en 1994. Il est clair que pour la Polynésie française, la dévaluation ne serait pas une bonne solution. Cela nous ferait gagner de la compétitivité, mais tout ce qu’on importerait serait plus cher. On devrait en outre rembourser une dette en euros avec des francs pacifique dévalués, autant dire que la dévaluation n’est pas une option.


L'économiste Vincent Dropsy plaide pour le passage à l'euro en Polynésie
Pourquoi dans ce cas évoquer cette possibilité ?

Comme le coût de la vie est très élevé – une étude montrait que pour un couple métropolitain venant s’installer en PF, le coût du panier moyen augmente de 51% -, cela a freiné le tourisme. Nos concurrents, Seychelles, Maldives… sont deux à trois fois moins chers. Nous ne sommes pas compétitifs, et c’est la raison pour laquelle le tourisme chute depuis 2000 : le dollar a chuté de 40% entre 2002 et 2007, et nous avons perdu la moitié de nos touristes américains. La question de la dévaluation se pose donc. On peut même dire que c’est une épée de Damoclès qui repose au-dessus de nos têtes. En raison de cette possibilité de dévaluation, prise en compte par les bailleurs de fonds, nous payons donc des taux d’intérêts 1 à 2% plus élevés qu’en métropole. Rien qu’en passant à l’euro, nos taux d’intérêts baisseraient, ce qui pourrait relancer l’investissement. Bien sûr, passer à l’euro ne suffira pas. Il faudra une vraie politique de réformes structurelles.

Mais de toute façon, plus personne ne semble vouloir prêter à la Polynésie, à part l’AFD ?

On espère que le plan de redressement permettra de changer cet état de fait, sinon on continuera à couler. De toute façon, on verra sur le long terme. Le passage à l’euro prendra au moins 3 ans, puisqu’il y a une série d’étapes nombreuses, de la Banque de France à la Commission européenne, ce qui prendra quelques années. Il faudra aussi que la Nouvelle-Calédonie et Wallis et Futuna y soient favorables.

Pensez-vous que les politiques polynésiens souhaitent ce passage à l’euro ? On pourrait en douter, vu les velléités indépendantistes d’Oscar Temaru…

Je ne fais pas de politique. Maintenant, rappelons tout de même que l’assemblée a voté une résolution relative au passage à l’euro en Polynésie française, le 19 janvier 2006, par 36 voix pour, avec le soutien d’Oscar Temaru. Mais si un jour, la Polynésie adoptait l’euro, et qu’il y avait ensuite indépendance, cela changerait tout en effet. La Polynésie devrait soit re-négocier l’adhésion, comme Monaco ou d’autres petites Etats, ou bien changer de monnaie. Un expert de Bruxelles, venu en 2005, avait expliqué qu’en cas d’indépendance, et de passage à une monnaie autonome, il y aurait un problème macro-économique important. La valeur de la monnaie serait dépendante de la demande et de l’offre. C’est-à-dire que si la perception de l’économie polynésienne était mauvaise, la monnaie plongerait, ce qu’on a vu dans de nombreux pays d’Amérique latine dans les années 80. C’est ce qui arriverait à la Grèce si elle sortait de la zone euro.

N’est-ce pas un peu paradoxal de parler de passage à l’euro, alors que la zone euro est plongée dans de graves difficultés ?

Il faut être très précis : certains pays de la zone sont en difficulté, mais l’euro reste à un niveau très élevé. Il est à 1,45$ environ. C’est quand même très étonnant. L’euro est la deuxième monnaie internationale après le dollar, et sera amené à prendre de plus en plus d’importance, malgré cette crise. Il est donc avantageux de faire partie de cette zone.

Le passage à l’euro ne risque-t-il pas d’entraîner une hausse des prix ?

Deux études, une de la Banque de France, et une de la Banque Centrale Européenne, montrent très clairement qu’il y a eu un ressenti d’inflation en Europe en 2002, mais uniquement un ressenti. On a cherché pourquoi, car cette idée pré-conçue est assez étrange. En réalité, c’est vrai sur certains produits de consommation courante, mais au niveau de l’inflation, ça n’a presque pas d’effet. Je voudrais donc détruire ce préjugé, même si certains importateurs risquent de chercher à en profiter. Des précautions devront donc être prises. Il faudra être vigilant pour éviter des dérapages.

le Jeudi 18 Août 2011 à 11:00 | Lu 2111 fois