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Interrogée par le gouvernement, l'APC se prononce contre la levée du secret douanier


Tahiti, le 11septembre 2024 - Le Pays a demandé l’avis de l’Autorité de la concurrence sur la possibilité d’abroger l’article concernant le secret douanier du code des douanes. L’avis de l’Autorité est sans appel : ce serait une mauvaise idée qui à terme pourrait être contre-productive et faciliter les ententes entre importateurs et commerçants.

 
L’autorité de la concurrence a été saisie pour avis par le gouvernement pour étudier l’effet de l’application de l’article 41 bis du code des douanes au regard de la concurrence économique. L’idée du gouvernement serait l’abrogation de cet article qui dispose que “[s]ont tenus au secret professionnel, dans les conditions et sous les peines prévues à l’article 226-13 du code pénal, les agents de douanes ainsi que toutes personnes appelées à l’occasion de leurs fonctions ou de leurs attributions à intervenir dans l’application de la législation des douanes”. Une façon peut-être pour le gouvernement de Moetai Brotherson de chercher un levier pour faire baisser le coût de la vie.
 
Cet article, rappelle l’APC, est hérité du code métropolitain sur le secret professionnel des douaniers dans l’Hexagone. Ce secret professionnel auquel sont soumis les agents des douanes leur interdit de divulguer les informations confidentielles dont ils pourraient avoir connaissance dans le cadre de leurs fonctions, telles que les données individuelles d’entreprise portant sur un flux de commerce extérieur.
 
Aujourd’hui, en Polynésie française, ce secret professionnel ne connait pour seule dérogation que la divulgation de données aux organismes statistiques ou aux “administrations ou services de l’État ou du territoire ou à l’Institut d'émission d'outre-mer qui, par leur activité, participent aux missions de service public d’ordre budgétaire, économique ou fiscal auxquelles concourt la direction régionale des douanes”. Une dérogation que l’Autorité estime “lacunaire” et qu’elle recommande de renforcer “afin qu’elle repose sur des éléments plus transparents et objectifs, prenant notamment en compte la réglementation en matière de droit de la concurrence”.
 
Dans cette optique, l’APC préconise donc de créer, par exemple, “un comité du secret statistique et douanier” chargé de manière dérogatoire de diffuser des éléments douaniers “lorsqu’un intérêt statistique le justifierait”.

Mesure inenvisageable

Avant même de rentrer dans les effets potentiels de l’abrogation de l’article sur le secret des douaniers, l’Autorité de la concurrence met d’emblée en garde le Pays sur la manœuvre envisagée : “Le secret professionnel, auquel sont astreints les agents des douanes, constitue la traduction concrète de l’exigence de l’administration d’assurer la protection de la vie privée ou la protection des secrets d’affaires des entreprises, principes à valeur constitutionnelle, lors de collectes de données confidentielles. En conséquence, une abrogation de l’article 41 bis du code des douanes, prévoyant l’obligation de secret professionnel des agents des douanes, serait un motif très probable de censure par le juge administratif ou constitutionnel. Du fait de la valeur constitutionnelle de la protection du secret des affaires, et plus largement du droit à la vie privée, une suppression pure et simple du secret professionnel des agents douaniers prévu par l’article 41 bis du code des douanes apparaît inenvisageable.”
 
Voilà le Pays prévenu. Lever le secret des agents, s’est aussi s’exposer à la divulgation à tout va du secret des affaires, ce que les tribunaux ne manqueront pas de sanctionner immédiatement.
 
De plus, note l’Autorité, si le principe est levé, les agents restent malgré tout en devoir, dans leurs fonctions, de respecter le secret. À procéder ainsi, c’est donc un coup d’épée dans l’eau que s’apprête à donner le gouvernement de Moetai Brotherson.
 
Enfin, dernière strate du millefeuille protégeant le secret du commerce, l’Institut de la statistique, est lui-même tenu au secret dans la collecte de ses données.

Effet contre-productif

Dans son analyse, l’autorité de la concurrence rappelle l’effet inverse que le Pays risque de provoquer en cherchant à lever le voile sur le secret des affaires. Plus que de jeter en pâture les pratiques des commerçants au grand public, le Pays pourrait au contraire provoquer la mise en place de mesures d’ententes entre les enseignes. “En droit de la concurrence, l’objectif du secret des affaires est notamment d’éviter de créer une transparence du marché qui faciliterait l’adaptation des comportements des concurrents”, rappelle l’APC. En effet, “la transparence peut être un obstacle à la concurrence, une certaine dose d’incertitude étant requise pour un jeu normal de l’économie de marché, chaque entreprise doit déterminer de manière autonome la stratégie qu’elle entend suivre […]. C’est ce qui explique l’interdiction de certaines pratiques ‘concertées’ […] et des échanges d’informations qui, en accroissant la transparence du marché, annihilent cette incertitude”, analyse l’Autorité de la concurrence en France.
 
“La concurrence suppose en effet que chaque entreprise sur le marché détermine son comportement de manière autonome, sans connaître avec certitude le comportement de ses concurrents”, résume l’APC sur le sujet. “Cette transparence peut favoriser la mise en place d’un équilibre collusif, équilibre collusif d’autant plus probable que le marché est constitué d’un faible nombre d’acteurs.”

Rédigé par Bertrand PREVOST le Mardi 10 Septembre 2024 à 15:16 | Lu 2191 fois