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Greffes d'organes : le Taaone tout à fait autonome


PAPEETE, le 12 novembre 2015 - Le chirurgien Arnaud Méjean, venu former au prélèvement d'organes son confrère Stéphane Leroux du Taaone, a terminé sa mission. L'équipe polynésienne est désormais capable de réaliser des greffes de rein à partir de donneurs vivants ou de donneurs en mort encéphalique sans aide de l'extérieur.

Le chirurgien Stéphane Leroux qui exerce au centre hospitalier du Taaone était déjà capable de réaliser des greffes à partir d'un donneur d'organes en état de mort encéphalique. Il pratique l'opération depuis son internat. Ce qui lui manquait pour rendre son service autonome c'était la pratique de greffe à partir de donneur vivant. C'est cela qu'a permis Arnaud Méjean, chirurgien urologue transplanteur à l’hôpital Georges Pompidou et au centre hospitalier universitaire de Necker à Paris. "En fait, je suis venu faire du compagnonnage", précise-t-il. "Du coaching."

Greffe, prélèvement

Pour comprendre la mission il faut s'entendre sur les termes. La greffe, autrement appelée transplantation, est une opération chirurgicale qui consiste à remplacer un organe malade par un organe sain. En Polynésie, la greffe concerne seulement les reins. L'organe sein peut provenir d'un donneur en état de mort encéphalique (absence totale d'activité cérébrale chez un patient) ou bien d'un donneur vivant qui fait le choix d'offrir l'un de ses organes. "Lorsque l'organe provient d'un patient en état de mort encéphalique, on peut pratiquer une grande incision pour le récupérer", explique Arnaud Méjean. "Lorsqu'il est vivant, nous utilisons la technique dite de cœlioscopie ou laparoscopie. Une technique mini-invasive qui nous permet de récupérer le rein sans avoir à ouvrir le patient." C'est cette technique que Stéphane Leroux a mise en pratique aux côtés d'Arnaud Méjean.

Question d'éthique

La technique du prélèvement est délicate. Certains chirurgiens refusent même de la pratiquer pour des raisons éthiques notamment. "En effet, notre métier de chirurgien c'est d'opérer un patient pour traiter l'un de ses organes malade. Greffer un patient à partir d'un donneur vivant, c'est opérer une personne parfaitement saine, ce qui occasionne un stress chirurgicale non négligeable", précisent les spécialistes. Mais cela permet de sauver plus de vies…

La mission impliquant le chirurgien Arnaud Méjean a commencé en octobre 2013. "Nous visions à l'origine 15 greffes à partir de donneurs vivants et de donneurs en mort encéphalique. La mise en place des deux types de greffes ont été mené de front", rapporte Stéphane Leroux. "Nous en sommes à 37 deux ans plus tard, quasiment jour pour jour", poursuit Arnaud Méjean. Ce qui semble considérable aux yeux de l'équipe. "Car il a fallu tout faire : adapter la loi, former le personnel, sensibiliser le public au don d'organe…Au total, il aura fallu dix ans."

Depuis, Arnaud Méjean est venu en Polynésie cinq fois une semaine pour partager son expérience. Son dernier passage en tant que "coach" s'achève aujourd'hui. Il ne devrait plus être amené à revenir sauf cas particulier. L'équipe du Centre hospitalier du Taaone est prête à fonctionner en autonome. Des dossiers de dons sont en cours. "À partir du moment où l'on décide de donner l'un de ses organes, lorsque l'on est vivant, il faut compter six mois à un an, le temps d'obtenir les décisions de justice, de passer devant le comité d'éthique, de faire les examens, etc.", indique Carine Domelier, coordinatrice à l'hôpital. Les prochaines greffes à partir de donneur vivant devraient avoir lieu en 2016.

Interview de Carine Domelier, coordinatrice à l'hôpital

Quel est le bénéfice pour les patients et les donneurs d'avoir sur place une équipe formée comme celle du Taaone?

"Avant que l'équipe ne soit opérationnelle, les patients en attente de rein devaient se rendre en France, s'inscrire sur une liste d'attente et patienter en moyenne deux ans. Les couples, donneur/receveur, devaient aux aussi aller en métropole et y rester plusieurs semaines avant de pouvoir rentrer. Tout le monde peut désormais rester en Polynésie, à Tahiti mais aussi dans les îles. Il y a peu nous sommes allés chercher un patient aux Marquises pour réaliser une greffe. Cela réduit aussi le temps d'attente. Je n'ai pas encore de chiffres précis, mais en France pour l'année 2014, si l'on rapporte le nombre de greffes au nombre d'habitants on compte 12 opérations, en Polynésie on est à 20. Tout cela est rendu possible grâce à l'investissement de chacun."

Vous êtes tant que ça dans la chaîne?

"Oui! Le prélèvement et la greffe ne sont pas seulement l'affaire d'un chirurgien. Tout autour de lui il y a toute une équipe, plusieurs services sont impliqués. Je pense au personnel de la réanimation, des urgences, de la radiologie, des laboratoires, des scanners, parfois aussi, lorsqu'il y a un accident de la route, il faut faire intervenir le procureur, les gendarmes. C'est une véritable course contre la montre. Je ne parle pas des cas de greffes à partir de donneur vivant, mais à partir de donneur en mort encéphalique. Il faut compter au minimum 10 à 15 heures à partir du moment où l'on décide que le rein peut être greffé. Ensuite, l'organe peut être conservé au plus 20 heures une fois prélevé. Sans l'investissement et la disponibilité de chacun tout cela serait impossible."

Qu'en est-il du don d'organes sur le territoire, le sujet est-il connu désormais ?

"Les premières greffes ont eu lieu en octobre 2013, nous avons commencé à parler de don d'organes à partir de ce moment-là. Nous avons fait des campagnes de communication qui commencent à porter. Le sujet n'est plus tabou mais il n'est pas encore partagé au sein des familles. Lorsqu'un patient est en état de mort encéphalique, c'est à la famille de décider si oui ou non on peut prélever un organe et c'est vers elle que nous, professionnels nous nous tournons. Lorsque nous abordons la question avec la famille, en général elle n'a pas de réponse car elle n'en n'a pas parlé avec la personne concernée. Dans le doute, elle refuse le don. C'est la seule raison qui la pousse au refus. On entend souvent dire que les religions sont responsables c'est un mythe, les religions sont pour le don d'organes. Il est donc vraiment important d'en parler, que l'on soit d'accord ou non. En aucun cas nous incitons à dire oui au don d'organes, nous incitons à en parler pour éviter l'embarras à l'heure du choix, et parfois un refus."




Crédit AFP
Crédit AFP

Rédigé par Delphine Barrais le Jeudi 12 Novembre 2015 à 14:30 | Lu 2117 fois