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À la découverte de l'huile de coco vierge bio de Niau


PAPEETE, 18 décembre 2017 - Alors que la Polynésie française se cherche de nouveaux modèles de développement durable, une expérience pleine de potentiel est menée à Niau, un atoll méconnu de l'archipel des Tuamotu. Sur l'impulsion et grâce au travail acharné du couple Tiare et Jean-Marius Raapoto, toute l'île a été labellisée en agriculture biologique et une huilerie a été installée pour produire une huile vierge de coco bio de qualité. Les premières bouteilles sont arrivées en rayons après huit ans de préparation…

L'atoll de Niau, située à l'Ouest des Tuamotu entre Rangiroa et Fakarava, semble être un morceau du paradis tombé au milieu de l'océan Pacifique. Avec 246 habitants au dernier recensement pour 33 km² de surface, Niau profite de la douce vie îlienne où la foule est un concept inconnu. Toute l'économie de l'île repose sur la culture du coco et la vente du coprah subventionné… Et pourtant l'île produit la seule huile de coco bio de tout le fenua, obtenue par centrifugation dans une usine ultra-moderne au lieu de la décantation habituelle. Un processus inédit dans nos île et rare dans le monde, pour une qualité exceptionnelle reconnue (et labellisée) à l'international. Le pari est osé, mais s'il réussit, c'est toute l'économie des Tuamotu qui sera changée à jamais.

Pour comprendre l'étendue du pari tenté à Niau, il faut savoir que l'île est particulièrement isolée. Un vol d'Air Tahiti et un bateau de ravitaillement passent chaque semaine. Aucun touriste ne visite les lieux. Pas de pension de famille. L'île fait partie de la commune de Fakarava mais est absente de la plupart des panneaux présentant la commune à l'aéroport du grand atoll touristique… Pourtant sa population est accueillante et généreuse, et l'île recèle de nombreuses surprises pour ses visiteurs occasionnels. Niau est l'un des rares atolls surélevés de Polynésie, à l'instar de Makatea, mais il a conservé son lagon. Ce dernier est entièrement fermé et son eau est moins salée qu'un lagon habituel. Cette particularité lui offre un écosystème unique qui en fait un site de choix de la réserve de biosphère de Fakarava.

Mais le petit atoll va plus loin que toute autre île du Pacifique dans la protection de son environnement unique. Niau est entièrement labellisée bio. Le moindre coco, légume du fa'aapu ou litre de miel produit sur l'île est garanti sans engrais artificiel ou pesticide… (voir l'interview de Tiare Raapoto).

Une huile haut de gamme

En s'appuyant sur une technologie avancée, développée par l'industrie médicale pour extraire le plasma du sang (la centrifugation), Niau est désormais en capacité de produire une huile bio d'une qualité irréprochable. Les premières bouteilles de cette "Huile de coco extra vierge bio NIAU" sont déjà commercialisées en Polynésie, avec comme espoir de rapidement attaquer le marché international.

Ce produit unique est fabriqué à raison d'une dizaine de litres d'élixir par jour… Pour le présenter au monde, un voyage de presse a été organisé fin novembre 2017. Nous avons pu visiter l'huilerie, ses cocoteraies, mais surtout rencontrer les habitants de Niau et découvrir les merveilles de leur atoll.

Nous y avons appris que cette "huile de coco extra vierge bio" est officiellement produite par l'association "Ia hotu e ia heeuri to u fenua o Niau" (Que mon île, Niau, soit verdoyante et fertile) qui la vend sous la marque NIAU. Mais le projet est avant tout le fruit du travail de Jean-Marius Raapoto et de sa femme Ahutiare (appelez-là Tiare).

En chiffres, l'huilerie de Niau comprend pour l'instant 39 hectares de cocoteraie en exploitation, emploie six salariés en Contrat d'accès à l'emploi (CAE) et produit pour le moment 250 à 300 litres d'huile par mois. Il faut 13 cocos cueillis le jour même pour produire un litre d'huile vierge le lendemain après deux passages dans la centrifugeuse. Tiare Raapoto nous explique que l'arrivée prochaine d'une écrémeuse et l'implication des exploitants de cocoteraies de l'île pour l'approvisionnement en noix de coco permettra de rapidement doubler la production, si la demande est au rendez-vous.

Un investissement de 150 millions Fcfp

Tiare nous raconte (voir interview) comment ce projet totalement inédit dans nos îles a nécessité huit ans de travail pour convaincre tout le monde, sa difficulté à financer et superviser la construction d'une usine flambant neuve aux standards internationaux au milieu des Tuamotu… Et comment l'huilerie a fini par nécessiter un investissement de 150 millions de francs.

Le pari sera-t-il payant ? Nous en sommes au moment de vérité. Les premières bouteilles ont commencé à être vendues dans les commerces polynésiens, en particulier une grande chaine de pharmacies, des commerces partenaires et la grande distribution. Les prix publics conseillés commencent à 3650 Fcfp pour la bouteille de 250 ml, elle vise donc le marché haut de gamme.

À ceux qui assurent que c'est trop cher, on répond que "tous ceux qui ont acheté cette huile nous ont dit qu'elle le valait." Et la tendance internationale donnerait raison à ce choix de la qualité à tout prix. L'huile de coco est particulièrement à la mode, grâce à ses propriétés nutritionnelles et cosmétiques. Ce produit si commun dans nos îles atteint des prix très élevés dans les échoppes chiques partout autour de la planète. Malheureusement, l'huile subventionnée du fenua, produite localement en milliers de tonnes, est loin d'entrer dans les standards alimentaires demandés par les consommateurs américains, allemands ou japonais. Elle est principalement vendue à l'industrie, sans aucune valeur ajoutée.

Heureusement, des initiatives se développent à travers la Polynésie pour monter en gamme et profiter de cette vague de l'huile de coco vierge. Citons la récente ouverture d'une huilerie à Tikehau, qui propose une huile vierge obtenue par pression à froid. Une labellisation bio serait également à l'étude…

Si ces différentes expériences réussissent, on se prend à imaginer la transformation des îles Tuamotu en des paradis du coco bio, où chaque île produira son huile vierge unique, comme autant de terroirs reconnus à l'international. Et si les cocos sont obtenues en agriculture biologique, autant que toute l'île devienne bio et bannisse engrais chimiques et pesticides. Voilà une carte de visite incroyable pour développer toute une agriculture biologique, un miel bio, le tourisme éco-durable et tout un secteur économique à forte valeur ajoutée… Et surtout, respectueuse du paradis dans lequel nous vivons.

"On s'est dit 'il faut persévérer, c'est la plus belle huile du monde !"

Ahutiare Sanford Raapoto, cofondatrice avec Jean-Marius Raapoto de l'huilerie bio de Niau

Pourquoi lancer un tel projet à Niau ?
Nous sommes venus à Niau en 2008 avec Jean-Marius, car nous avions une terre ici et nous ne connaissions pas cette île. L'ancien maire de Niau nous a alors offert un tour de l'île, qui a scellé notre destin à tous les deux. Une telle beauté… (Tiare est prise par l'émotion)… C'est tellement beau… Alors nous nous sommes agenouillés devant tant de beauté !

Nous avions le bonheur d'avoir une famille toujours vivante à Niau, les trois sœurs Clark, qui ont bien daigné nous vendre leur terre. Et c'est comme ça que grâce à elles, et grâce à papi Fare'ea, nous avons acquis près de 40 hectares à Niau, la terre Tahua Veria. Et je ne le savais pas quand nous avons acheté, mais la terre de mon grand-père maternel, George Snow, était située juste en face. 116 hectares de terres méconnues par mes proches… Même ma mère n'était jamais venue à Niau… Et c'est comme ça que tout est venu. En fait Niau nous a embrassés, enlacés. Donc Jean-Marius et moi avons décidé de faire un projet noble, à la hauteur de ce pays auquel nous croyons tous les deux très fortement.

Comment est-il passé du rêve à la réalité ?
Eh bien il a fallu faire de gros emprunts, et quand nous les avons obtenus, tout s'est mis en place. Nous avions neuf ans de moins quand nous avons commencé ce projet d'huile de coco vierge, et nous avons travaillé dur pour le réaliser. Il était quand même en avance sur son temps à l'époque. Personne n'y croyait, à l'huile de coco vierge. Et Jean-Marius a été de ceux qui m'ont convaincue que dans cette terre céleste, il y a le coco, le coprah, à portée de main, et qu'on pouvait en faire une huile céleste.

Vous savez, on a eu des rencontres vraiment merveilleuses. Il y a des gens qui sont venus vers nous et qui nous ont beaucoup aidés. Je tiens à remercier le président Fritch et sa ministre Tea Frogier, car en venant inaugurer notre huile de coco vierge, ils se sont dit "mais le Pays doit vous aider !" et ils nous ont aidés jusqu'à aujourd'hui, grâce à des CAE et grâce à une aide du Pays. Mais à une époque nous n'avions plus un franc, c'était en 2014, et je remercie mes frères et sœurs de m'avoir aidée (sanglots)… Je m'excuse, je suis tellement émue… Voilà, mon mari n'est pas là, il vient sortir de l'hôpital, je pense très fort à lui. Je pense aussi très fort à mes parents, Francis Sanford et ma mère Laisa, ils étaient très fiers de moi… Maman m'a laissé sa terre de Niau, et je l'en remercie.


Nous avons apporté 1200 plantes à Niau par fret Air Tahiti. Des arbres fruitiers, des plantes endémiques, tout ça n'a pas été de tout repos. Et la moindre visse, le moindre clou, le moindre morceau de bois que vous voyez ici, j'étais sur le quai de Fare Ute pour les expédier, avec Papi Elias de la famille Salem, qui m'a beaucoup, beaucoup aidée aussi. Et je tiens à remercier la famille Amaru, Théodore et son fils Tearii, qui depuis cinq ans nous épaulent et font en sorte que nous menions ce projet jusqu'à son terme. Je remercie aussi Francis Vognin, responsable du SDR à Papara, qui est venu à deux reprises jusqu'à Niau, missionné par le Pays, pour former mes CAE et mon chef de production Tearii à l'huile de coco vierge. Je remercie également Pierre Atai du SDR Papara.

Quel a été ton sentiment quand tu as vu ton huile pour la première fois ?
C'est une huile qui nous a ensorcelés. Il a d'abord fallu cueillir les cocos, les débourrer, les casser, les râper, les presser puis les passer deux fois à la centrifugeuse... Donc voir au final cette huile tellement vertueuse, classée à Pessac dans la région bordelaise avec une qualité Triple A… Je peux dire que cette huile est vraiment exceptionnelle. Elle nous a confortés après ces huit ans de tourments, de labeur et de ténacité.

Pourquoi avoir fait labelliser les cocoteraies en bio ?

Alors là, c'est le parcours du combattant pour avoir ce certificat bio… D'abord il fallait rencontrer la personne qui avait foi en notre projet, qui a été monsieur Gilles Parzy. Grâce à lui, nous avons obtenu le label au bout de 18 mois d'attente, d'efforts. Cette reconnaissance fait de nous la meilleure huile de Polynésie. Ce certificat, Jean-Marius a eu l'idée merveilleuse de faire en sorte que tout l'atoll de Niau en bénéficie. Les coprahculteurs, les apiculteurs, les agriculteurs… Que tous les citoyens de Niau puissent bénéficier de ce label.

En fait ce sont trois labels, le label européen, américain et régional (NDLR : le label Bio Pasifika). Donc nous avons collaboré à faire de Niau un exemple pour le monde entier, et je suis certaine que cette huile de coco vierge va bientôt exploser. Donc je suis doublement récompensée, avec cette pensée que cette huile va faire connaitre la Polynésie au monde entier. Il y a des férus d'huile de coco vierge partout dans le monde. Les Allemands nous contactent régulièrement, et il y a même eu des demandes de Chine, donc pourquoi pas ?


Jean-Marius Raapoto est connu pour ses combats politiques et son autorité culturelle et religieuse… Pourquoi se lancer un projet industriel ?
Jean-Marius est un homme de la terre avant d'avoir été un politicien. Donc pour lui c'est une façon de réaliser ses idéaux, montrer que ces chemins alternatifs dont il parlait sont possibles. Nous avons commencé ce projet en 2008, et aujourd'hui nous avons neuf ans de plus… On a commencé sans business plan, on était novices, on a foncé dans le bleu. Sauf qu'il y a neuf ans, Jean-Marius croyait déjà en cette huile. Je trouvais que c'était de la folie… Mais non, c'était lui qui avait raison ! On l'a faite analyser il y a un an et demi à Pessac, près de Bordeaux. Quand les résultats sont arrivés, il était écrit que l'huile vierge de Niau était "unique et irréprochable". À partir de là, on s'est dit "il faut persévérer, c'est la plus belle huile du monde" !

"Pour ne pas gâcher l'huile il faut faire très attention à l'hygiène… Il faut être maniaque et précis !"

Tearii Amaru, chargé de production de l'huilerie de Niau

Quand as-tu commencé à travailler à l'huilerie ?
Je travaille ici depuis trois ans maintenant, et ça fait deux ans qu'on a commencé la production. J'ai mes parents, ma femme et mes enfants ici. Donc ce travail m'a permis de rester sur mon île. Je trouve que c'est un excellent projet pour Niau, pour développer l'huile de coco.

Raconte-nous comment se fabrique l'huile vierge de coco de Niau.

Ça se fait en plusieurs étapes. Il faut d'abord ramasser les cocos et bien les sélectionner. Après on les débourre, puis on les amène à l'huilerie pour la pesée. Ensuite on les casse dans l'évier, et on rejette encore les cocos qui ne sont pas beaux ou qui ont germé. Ensuite on passe à la râpe et au pressoir avec les machines pour extraire le lait de coco. Une fois que tout est terminé, on les amène dans la salle de la centrifugeuse. Là, ça se passe en deux temps : après la première centrifugation on laisse l'huile au réfrigérateur pour la nuit. Le lendemain on les récupère, on les fait fondre et on les repasse à la centrifugeuse. Là, on filtre l'huile dans le coton pour retirer les dernières impuretés, ce sont ces pichets. Il en sort de l'huile vierge pure, que l'on stocke dans des jerricans pour les expédier vers Tahiti.

Tous les jours on garde aussi un échantillon de la production, pour la traçabilité. S'il y a un problème à Papeete on pourra montrer que l'huile était parfaite au départ de Niau.

Quelle est la différence entre cette huile et celle que tu fabriquais traditionnellement dans les séchoirs à coprah ?
Cette huile est bien meilleure ! Je suis très fier de la fabriquer. Et avec les machines, ça va plus vite, avec une meilleure qualité.

Quelle est l'erreur à ne pas commettre ; celle qui peut ruiner une production ?
L'hygiène clairement. Pour ne pas gâcher l'huile, il faut faire très attention à l'hygiène, c'est pour ça qu'on s'habille comme ça avec les charlottes pour les cheveux, le tablier, les surchaussures… Et on lave tout, les mains, les pichets, les machines, le sol… On les lave soigneusement à l'eau chaude et au savon, puis on essuie tout pour qu'il n'y ait pas de gouttes d'eau dans l'huile. Il faut être maniaque et précis !


Rédigé par Jacques Franc de Ferrière le Lundi 18 Décembre 2017 à 19:30 | Lu 9808 fois