
Depuis les années 90, la commune de Taiarapu-Est assure le transport scolaire des enfants de Tautira jusqu'au Fenua 'Aihere, au bout de la Presqu’île de Tahiti. Crédit photo : Anne-Charlotte Lehartel.
Tahiti, le 23 janvier 2025 – La commune de Taiarapu-Est s’accroche à la gestion des navettes scolaires reliant le Fenua 'Aihere à Tautira. Un service qu’elle assure depuis les années 1990 en l’absence d’opérateurs privés. Mais l’ouverture du marché à la concurrence et son attribution récente à une entreprise privée bouleversent cet équilibre historique. Ce jeudi, la commune a contesté cette décision devant le tribunal administratif de Papeete.
Depuis trois décennies, la commune de Taiarapu-Est assure le transport scolaire des enfants de Tautira jusqu'au Fenua 'Aihere, au bout de la Presqu’île de Tahiti. Une mission de service public qu’elle a assumée seule, en l’absence d’opérateurs privés intéressés par ce marché. En 2005, le Pays avait fixé le coût de cette prestation à 49.000 francs par trajet, à raison de deux trajets par jour d’école. Une manne pour cette petite collectivité. Pendant près de 20 ans, la commune a ainsi endossé cette lucrative mission de transporteur maritime. Mais en 2020, le contexte change. L’entrée en vigueur d’un nouveau code des marchés publics locaux pousse le Pays à ouvrir cette activité à la concurrence. La commune remporte alors l’appel d’offres, une nouvelle fois faute de candidats privés. Depuis, cependant, les choses ont évolué. Deux entreprises privées, dont la société Maoni, spécialisée dans le transport maritime scolaire à Teahupo’o, se sont manifestées lors du renouvellement du marché. Et cette fois, c’est la société Maoni qui a été retenue, grâce à une offre tarifaire nettement inférieure aux 49.000 francs le trajet proposés une nouvelle fois par la commune.
Le démarrage du contrat, prévu pour le 13 janvier dernier, coïncidait avec la rentrée scolaire. Sauf que la commune de Taiarapu-Est, décidé à garder la gestion de ces navettes et la manne financière qui en découle, a contesté cette décision devant le tribunal administratif de Papeete, suspendant l’exécution du marché.
Transparence des marchés publics
Ce jeudi, les trois parties prenantes – Maoni, la commune et le Pays – ont défendu leur position devant le juge des référés. La commune, représentée par Me Usang, s’attaque à la clarté du marché public, arguant qu’elle ignorait la possibilité de proposer un tarif inférieur au montant fixé en 2005, soit 49.000 francs. Selon l’avocat, le cahier des charges manquait de précisions : “Il n’est mentionné nulle part que les candidats peuvent faire un rabais ou une réduction. La commune n'a pas perçu la possibilité de proposer un tarif dérogeant à celui fixé par l'arrêté de 2005.”
Un argument qu’a balayé Me Robin Quinquis, l’avocat de Maoni : “Il ne faut pas sortir de Polytechnique pour comprendre que dans un marché public, plus le prix est bas, plus les chances de remporter l’appel d’offres augmentent.” Pour lui, la commune fait preuve de mauvaise foi. “Je doute que la commune n'ait pas compris que le prix était un élément très important dans cet appel d'offres”, expliquera-t-il à Tahiti Infos après l'audience. D’autant qu’elle n’a pas sollicité de précisions auprès du Pays. “Si les candidats ont un doute, ils peuvent interroger l'acheteur [ici le Pays, NDLR], c'est d'ailleurs courant dans les marchés publics que des candidats posent des questions sur certains critères. La commune de Taiarapu-Est ne l'a pas fait”, constate de son côté la représentante du Pays, réfutant ainsi toute “violation du principe de transparence”.
Sécurité et compétence : un point sensible
Au-delà de la question des prix, la commune soulève le problème de la sécurité et de la qualité du service. Une interrogation légitime au vu de l'importance de ces navettes, pour les enfants et adolescents du bout de la Presqu'île. Des jeunes pour qui se rendre à l'école est une aventure du quotidien. “C'est un élément central du débat. On ne peut pas improviser cette activité. La nouvelle entreprise n’a aucune expérience dans le domaine du transport scolaire. Est-ce que cette entreprise a aujourd'hui, les moyens humains et l'expérience pour ce type de transport et en assurer la sécurité ? La commune, elle, l'a toujours assumé”, a plaidé Me Usang en s'interrogeant donc sur la capacité de Maoni à assurer ce service dans des conditions optimales.
Mais là encore, l’argument semble fragile. Maoni, qui gère déjà le transport maritime scolaire du Fenua 'Aihere à Teahupo’o pour un tarif bien inférieur à 49.000 francs, se dit prête à mobiliser deux bateaux et deux capitaines, contre un seul pour la commune. Selon Me Quinquis, ce dispositif garantit une meilleure continuité du service, notamment en cas de panne ou d’imprévu. “On se renseigne avant de dire quelque chose devant le tribunal et on n'essaye pas de sauver un dossier mal embarqué en racontant n'importe quoi”, a tempêté l’avocat du prestataire face aux propos de son confère. Pour appuyer ses propos, l’avocat de Maoni a présenté des photos du quai de Tautira, en ruine, où les enfants attendent les navettes sans abri adéquat pour les temps de pluies. “C’est scandaleux de mon point de vue, c'est un service totalement indigne. À Teahupo’o, tout est aménagé”, a-t-il fustigé.
Une “rente de situation” en jeu ?
Pourquoi, malgré les arguments adverses, la commune persiste-t-elle à vouloir conserver ce marché ? Selon Me Quinquis, la réponse réside dans la “rente de situation” que représente cette activité pour Taiarapu-Est au vu de la coquette somme qu'elle perçoit depuis 20 ans pour la mise en œuvre de ces navettes scolaires. De plus, la commune n’a pas créé d’entité spécifique pour gérer ce service, ce qui signifie que les coûts et les bénéfices sont intégrés à son budget général, sans impôts commerciaux. “Je doute que la commune paye des impôts là-dessus. Là où l'entreprise privée en payerait. Je ne sais pas comment cela est appréhendé par l'administration fiscale”, a lancé l’avocat.
Le tribunal administratif doit rendre sa décision ce vendredi. Soit il valide le marché attribué à Maoni, soit il ordonne son annulation et contraint le Pays a relancer un nouvel appel d’offres. En attendant, et conformément au principe de continuité du service public, c’est bien la commune qui continue à assurer les navettes scolaires. Heureusement, les élèves du Fenua 'Aihere ne subissent pas les conséquences de cette querelle judiciaire.
Depuis trois décennies, la commune de Taiarapu-Est assure le transport scolaire des enfants de Tautira jusqu'au Fenua 'Aihere, au bout de la Presqu’île de Tahiti. Une mission de service public qu’elle a assumée seule, en l’absence d’opérateurs privés intéressés par ce marché. En 2005, le Pays avait fixé le coût de cette prestation à 49.000 francs par trajet, à raison de deux trajets par jour d’école. Une manne pour cette petite collectivité. Pendant près de 20 ans, la commune a ainsi endossé cette lucrative mission de transporteur maritime. Mais en 2020, le contexte change. L’entrée en vigueur d’un nouveau code des marchés publics locaux pousse le Pays à ouvrir cette activité à la concurrence. La commune remporte alors l’appel d’offres, une nouvelle fois faute de candidats privés. Depuis, cependant, les choses ont évolué. Deux entreprises privées, dont la société Maoni, spécialisée dans le transport maritime scolaire à Teahupo’o, se sont manifestées lors du renouvellement du marché. Et cette fois, c’est la société Maoni qui a été retenue, grâce à une offre tarifaire nettement inférieure aux 49.000 francs le trajet proposés une nouvelle fois par la commune.
Le démarrage du contrat, prévu pour le 13 janvier dernier, coïncidait avec la rentrée scolaire. Sauf que la commune de Taiarapu-Est, décidé à garder la gestion de ces navettes et la manne financière qui en découle, a contesté cette décision devant le tribunal administratif de Papeete, suspendant l’exécution du marché.
Transparence des marchés publics
Ce jeudi, les trois parties prenantes – Maoni, la commune et le Pays – ont défendu leur position devant le juge des référés. La commune, représentée par Me Usang, s’attaque à la clarté du marché public, arguant qu’elle ignorait la possibilité de proposer un tarif inférieur au montant fixé en 2005, soit 49.000 francs. Selon l’avocat, le cahier des charges manquait de précisions : “Il n’est mentionné nulle part que les candidats peuvent faire un rabais ou une réduction. La commune n'a pas perçu la possibilité de proposer un tarif dérogeant à celui fixé par l'arrêté de 2005.”
Un argument qu’a balayé Me Robin Quinquis, l’avocat de Maoni : “Il ne faut pas sortir de Polytechnique pour comprendre que dans un marché public, plus le prix est bas, plus les chances de remporter l’appel d’offres augmentent.” Pour lui, la commune fait preuve de mauvaise foi. “Je doute que la commune n'ait pas compris que le prix était un élément très important dans cet appel d'offres”, expliquera-t-il à Tahiti Infos après l'audience. D’autant qu’elle n’a pas sollicité de précisions auprès du Pays. “Si les candidats ont un doute, ils peuvent interroger l'acheteur [ici le Pays, NDLR], c'est d'ailleurs courant dans les marchés publics que des candidats posent des questions sur certains critères. La commune de Taiarapu-Est ne l'a pas fait”, constate de son côté la représentante du Pays, réfutant ainsi toute “violation du principe de transparence”.
Sécurité et compétence : un point sensible
Au-delà de la question des prix, la commune soulève le problème de la sécurité et de la qualité du service. Une interrogation légitime au vu de l'importance de ces navettes, pour les enfants et adolescents du bout de la Presqu'île. Des jeunes pour qui se rendre à l'école est une aventure du quotidien. “C'est un élément central du débat. On ne peut pas improviser cette activité. La nouvelle entreprise n’a aucune expérience dans le domaine du transport scolaire. Est-ce que cette entreprise a aujourd'hui, les moyens humains et l'expérience pour ce type de transport et en assurer la sécurité ? La commune, elle, l'a toujours assumé”, a plaidé Me Usang en s'interrogeant donc sur la capacité de Maoni à assurer ce service dans des conditions optimales.
Mais là encore, l’argument semble fragile. Maoni, qui gère déjà le transport maritime scolaire du Fenua 'Aihere à Teahupo’o pour un tarif bien inférieur à 49.000 francs, se dit prête à mobiliser deux bateaux et deux capitaines, contre un seul pour la commune. Selon Me Quinquis, ce dispositif garantit une meilleure continuité du service, notamment en cas de panne ou d’imprévu. “On se renseigne avant de dire quelque chose devant le tribunal et on n'essaye pas de sauver un dossier mal embarqué en racontant n'importe quoi”, a tempêté l’avocat du prestataire face aux propos de son confère. Pour appuyer ses propos, l’avocat de Maoni a présenté des photos du quai de Tautira, en ruine, où les enfants attendent les navettes sans abri adéquat pour les temps de pluies. “C’est scandaleux de mon point de vue, c'est un service totalement indigne. À Teahupo’o, tout est aménagé”, a-t-il fustigé.
Une “rente de situation” en jeu ?
Pourquoi, malgré les arguments adverses, la commune persiste-t-elle à vouloir conserver ce marché ? Selon Me Quinquis, la réponse réside dans la “rente de situation” que représente cette activité pour Taiarapu-Est au vu de la coquette somme qu'elle perçoit depuis 20 ans pour la mise en œuvre de ces navettes scolaires. De plus, la commune n’a pas créé d’entité spécifique pour gérer ce service, ce qui signifie que les coûts et les bénéfices sont intégrés à son budget général, sans impôts commerciaux. “Je doute que la commune paye des impôts là-dessus. Là où l'entreprise privée en payerait. Je ne sais pas comment cela est appréhendé par l'administration fiscale”, a lancé l’avocat.
Le tribunal administratif doit rendre sa décision ce vendredi. Soit il valide le marché attribué à Maoni, soit il ordonne son annulation et contraint le Pays a relancer un nouvel appel d’offres. En attendant, et conformément au principe de continuité du service public, c’est bien la commune qui continue à assurer les navettes scolaires. Heureusement, les élèves du Fenua 'Aihere ne subissent pas les conséquences de cette querelle judiciaire.