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Loi Morin : malgré les rejets des demandes d'indemnisation, le combat continue pour Moruroa e tatou


L'association présente un article paru dans le Canard Enchaîné du mercredi 24 août 2011
L'association présente un article paru dans le Canard Enchaîné du mercredi 24 août 2011
En cette journée internationale contre les essais nucléaires, l’association Moruroa e tatou avait un triste bilan à dresser. Celui des résultats du comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires. Sur les 129 dossiers déposés, 127 ont été rejetés. Seuls deux vétérans de métropole ont été à ce jour indemnisés. Ils ont reçu 20 000 euros en moyenne. Deux « chanceux », dont le ministre a « rogné » les indemnisations « en fonction d’une évaluation du préjudice à hauteur de 2% » s’indigne Moruroa e tatou.

Quant aux 5 dossiers déposés par des Polynésiens, ils ont été rejetés ou remis à plus tard. « Tout le monde espérait une indemnisation juste, et ce n’est pas le cas » regrette Roland Oldham, qui ne se faisait pourtant guère d’espoir. Etape après étape, tout le processus d’indemnisation est en effet contrôlé par le ministère de la défense. Et les zones géographiques reconnues par la loi Morin sont toujours source de polémique. « Dans certains endroits, comme l’île de Moorea, il n’existait pas d’appareil de détection de la radioactivité, donc l'Etat considère qu'il n'y a pas eu de retombées » rappelle R. Oldham. « Dans d’autres, comme Hao, l’aéroport et le laboratoire du CEA sont pris en compte, mais pas le village ». Dans la loi, ces zones sont exclues d’office, et leurs habitants ne pourront prétendre à une indemnisation. La révision de ces zones géographiques est resté au stade de promesse présidentielle.

Et pour ceux qui correspondent aux critères de la loi Morin, les chances d’être indemnisé sont aujourd’hui minces, voire nulles, compte tenu de la sévérité avec laquelle les critères sont additionnés. A ceux qui ont bien l’une des 18 maladies radio-induites reconnues par la Loi Morin, on a ainsi répondu dans 98% des cas que « le risque d’avoir contracté la maladie à cause des essais est négligeable ». C’est la réponse qu’a reçue l’un des vétérans venu témoigner lundi matin à la demande de l’association. Cet ancien technicien civil, arrivé en 1966 en Polynésie, et qui totalise six ans de présence près de Moruroa, travaillait à bord d’un hydravion chargé de faire des relevés après les tirs aériens. Il se bat aujourd’hui contre 4 cancers ( sang, peau, prostate et testicules). Avec pudeur, il explique qu’il a beaucoup de mal à croire que le lien avec les essais aériens soit réellement « négligeable ».

Il y a aussi le cas d’Agnès. Atteinte d’un cancer de la thyroïde, elle souffre bien de l’une des maladies reconnues par la loi Morin. Au moment des tirs aériens, cette femme de 53 ans était une petite fille. Son cancer s’est déclaré quand elle avait 18 ans. C’est la première civile résidente à Tahiti à faire une demande d’indemnisation. Elle a déposé un dossier « pour rétablir la vérité », au nom de tous ceux qui ont bu « le lait de Taravao », et qui ont souffert directement des retombées des essais. Pas de chance pour elle, Agnès a résidé en Polynésie française de 1963 à 1972 : elle n’était donc pas là en 1974 au moment de l’essai Centaure, le seul qui ait officiellement eu des retombées à Tahiti. Pourtant, « des livres du CEA répertorient une quinzaine de retombées supplémentaires sur l’île » explique-t-elle. Voici son témoignage :


temoignage_d__ages_klouman_1.mp3 Témoignage d'Agès KLOUMAN.mp3  (4.64 Mo)


Agnès Klouman
Agnès Klouman
Bruno Barrillot résume le sentiment collectif après ces refus : « C’est du mépris de la part d’un Etat qui ne veut pas reconnaître ses responsabilités. » En Polynésie, Moruroa e tatou va faire appel du rejet des dossiers polynésiens devant le tribunal administratif de Papeete. Prêts à continuer le combat « pendant des mois, des années s’il le faut », les malades en attente d’indemnisation et les membres de MET n’en sont pas moins profondément affectés. «Jusqu’où l’Etat ira-t-il pour nous ridiculiser ? Et jusqu’à quand notre patience tiendra-t-elle ? » s’interroge Roland Oldham, qui s’étonne du silence de la classe politique.

L’association rappelle qu’elle se bat pour l’ensemble de la population. Car les cas de cancers et de leucémie radio-induits pourraient bien se multiplier dans les années à venir. Aux Iles Marshall, où les essais nucléaires américains ont pris fin en 1958, une étude de l’Institut national du cancer américain estime que les radiations liées aux essais nucléaires sont et seront responsables de plus de 500 cancers, et qu’une bonne partie d’entre eux ne sont pas encore déclarés. En Polynésie française, le dernier essai a eu lieu le 27 janvier 1996 à Fangataufa. «Qu’est-ce qui nous attend dans 20 ans ? » s’alarme Moruroa e tatou.


L'association Moruroa e tatou est signataire aux côtés de l'AVEN d'un appel au secrétaire général des Nations Unies pour l'organisation d'une conférence internationale pour la prise en charge des sites d'essais nucléaires dans le monde.

le Lundi 29 Août 2011 à 11:11 | Lu 1417 fois