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"Il faut océaniser l’histoire et son enseignement"


PAPEETE, le 22 septembre 2016 - Alexandre Juster, ethnolinguiste, titulaire d’un master en langues et cultures océaniennes, vient de signer un ouvrage intitulé L’histoire de la Polynésie en 101 dates. Il raconte Tahiti et ses îles à travers les évènements marquant du territoire. Rencontre.

Alexandre Juster a obtenu en 2007 son master en langues et cultures océaniennes en travaillant sur les sociétés et les langues kanakes et polynésiennes. Après dix années d’échanges, de travail d’enquête il s’est finalement installé à Paris où il a donné des cours de civilisation polynésienne à la Délégation de Polynésie française. Il est l’auteur de L’histoire de la Polynésie en 101 dates qui vient de paraître.

Pourquoi un tel projet?
"Ce sont mes étudiants de la Délégation de la Polynésie à Paris qui m’ont demandé d’écrire ce livre. Ils ne parvenaient pas à trouver un livre qui compile les dates marquantes de l’histoire du fenua. Il y a Internet, bien sûr, mais tout n’est pas forcément exact, ou neutre, sans parti pris. Je voulais écrire quelque chose de simple et qui replace la Polynésie et ses habitants au centre du jeu historique. L’histoire mondiale s’est jouée bien des fois ici : en 1843 et dans les années 1880, Tahiti a été le centre de tensions diplomatiques très fortes entre la France et le Royaume-Uni. De même, la Nouvelle-Zélande aurait bien aimé annexer Rapa, et que dire du bombardement allemand sur Papeete en 1914, de l’accueil de la base militaire américaine à Bora bora en 1942 et de la construction du CEP ?"

Pourquoi avoir retenu précisément 101 dates?
"Il aurait été plus commun de proposer 100 dates, ce qui aurait fait un chiffre rond. En ajoutant une date de plus à ce chiffre rond, je voulais indiquer que l’histoire ne s’arrête pas, qu’elle déborde en permanence du cadre. De plus, dans la numération traditionnelle polynésienne, on employait le terme "tūmā" pour nommer un excédent par rapport à un nombre rond. La cent-unième date est ce "tūmā", car en lisant mon livre, le lecteur voit finalement défiler sous ses yeux bien plus que 101 dates."

Comment les avoir sélectionnées?

"Par souci de rééquilibrage, je tenais absolument à mentionner des dates de l’histoire de tous les archipels. On ne parle pas assez des guerriers d’Anaa, du bagne de Nuku hiva, de la guerre des îles Sous-le-Vent dont les participants ont été exilés en Nouvelle-Calédonie ou aux Marquises. Et on parle encore moins de la tentative d’annexion allemande du royaume de Bora Bora en 1879 ! On trouve encore dans des livres histoires ceci : "à l’origine, ces îles ont été peuplées par des navigateurs polynésiens" puis, immédiatement après : "en 1767 Wallis a découvert Tahiti". Cela est faux, ce n’est pas Wallis qui a découvert Tahiti, mais les premiers navigateurs polynésiens qui ont peuplé cette île. En 1767, ce sont les Polynésiens qui ont découvert Wallis et non l’inverse. Il faut océaniser l’histoire et son enseignement. Enfin, je voulais rééquilibrer dans le temps les événements historiques et combler ce vide qu’il existe entre le premier peuplement et 1767. Je me suis penché pour cela sur la littérature orale et les confidences que Tupaia a faites aux missionnaires."

Quelles sont celles qui vous ont le plus "marqué"?
"L’ouverture de la première session de l’Assemblée des Chefs, en février 1824. À cette occasion, les tāvana décident, après de longues discussions, d’abolir la peine de mort, instituée cinq ans auparavant dans le code de loi rédigé par Pomare II et les missionnaires. C’était la première fois au monde qu’une assemblée législative d’un état indépendant abolissait la peine capitale. Le cyclone du 15 janvier 1903 est également un événement marquant. En frappant les Tuamotu, il tue 519 personnes, soit 10% des habitants de l’archipel."

Sur quoi vous êtes-vous appuyé pour les détailler?
"Outre les travaux des chercheurs comme Bruno Saura, Jean-Marc Regnault ou Pierre-Yves Toullelan, j’ai puisé dans la littérature orale et dans les témoignages des premiers étrangers débarquant d’Europe. Mais ces deux sources ont leurs limites, il faut prendre tout cela avec des pincettes. Pour la littérature orale, il faut distinguer les apports extérieurs et modernes que les informateurs polynésiens ajoutaient aux récits anciens. Quant aux témoignages des premiers européens, il n’y a qu’à voir combien le pasteur William Ellis met l’accent sur les aspects "sauvages" de la société ancienne, comme les sacrifices rituels, les infanticides et les guerres pour comprendre qu’il tient à légitimer son travail d’évangélisation et sa réussite. Habitant dans le sud de la France, j’ai la chance de ne pas être trop loin des archives d’outre-mer d’Aix en Provence. J’y ai consulté les premiers journaux officiels, les traités de protectorat ou d’annexion des différentes îles ainsi que rapports et les fiches de police du commissaire Tabanou, en fonction à Papeete de 1877 à 1904. En 27 ans, cet homme a connu la mort de la reine Pomare, la fin de la monarchie et les premières années de la colonisation."

À qui s'adresse cet ouvrage?
"Aux adultes, aux enfants. À ceux qui veulent connaître l’histoire de la Polynésie française et à ceux qui souhaitent se rafraîchir la mémoire. Les lecteurs trouveront aussi bien des événements sérieux, graves, comme la destruction du marae Taputapuatea par les guerriers de Bora Bora, et des faits plus légers, comme l’arrivée de la télévision ou la construction de l’aérodrome de Raiatea."

Quels sont les thèmes de vos prochains ouvrages?
"Le prochain qui doit sortir avant Noël a pour thème la mythologie polynésienne, de la Nouvelle-Zélande à Hawaii, en passant par la Polynésie française bien sûr ! "

Pratique

L’ouvrage est disponible en format électronique depuis le 23 septembre sur Amazon.
Pour la version papier, prendre contact avec les librairies.


Rédigé par Delphine Barrais le Jeudi 22 Septembre 2016 à 13:44 | Lu 2438 fois