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Evasan à Ua Pou : une astreinte de tous les instants


UA POU, le 10 mars 2017 - Aux Marquises, à Ua Pou, les evasans sont assurées par deux bateaux de pêcheurs conventionnés. Ces derniers assurent les liaisons maritimes vers Nuku Hiva dont la baie de Taihoae s’ouvre sur l’île cathédrale. Le quotidien des pêcheurs est une astreinte sans fin. Rencontre avec la famille Gueranger à l‘œuvre depuis plus de quinze ans.

"Le dispensaire nous appelle quand ils ont besoin, nous on part aussitôt. C’est pour ça qu’on doit rester tout le temps disponibles", explique la famille Gueranger alors qu’elle rince son embarcation. Elle sort de l’eau et stationne sur une remorque, dégoulinante. "On sait jamais quand ça peut arriver. Ça peut sonner le jour comme la nuit. On part ensuite en fonction de la mer." Une mer qui a très rarement le dessus sur les pêcheurs.

Les membres de la famille assurent les evasans avec leur bateau de pêche depuis plus de quinze ans. "Quand on part, on emmène un infirmier quand c’est nécessaire. En plus on doit avoir à bord un pilote et deux matelots. C’est pour ça que finalement on ne fait plus rien, on ne répond plus aux invitations de baptême ou mariage dans les autres vallées."

Sur l’île il y a deux bateaux de pêche conventionnés qui sont appelés1, en théorie, tour à tour. Ils appartiennent à des pêcheurs. La famille Gueranger vient d’acheter une nouvelle embarcation "un Bertram baptisé Hivatete, équipé d’AIS. C’est un système d’identification automatique. Avec ça, on connait la position 24 heures sur 24". Avant l’AIS, les membres de la famille restés à terre appelaient régulièrement les membres de la famille en mer. Maintenant, ils suivent la trajectoire sur un écran d’ordinateur, rassurés.

"On met à peu près une heure et demi pour aller à Nuku Hiva à partir de Ua Pou avec le nouveau bateau. C’est pas mal. Et puis pour nous c’est un gagne pain, même si on est payé en retard, on est toujours payé mais ce n’est pas assez. Pour les gamins par exemple, ce n’est pas confortable, il faudrait un hélicoptère." Le Twinn otter est exceptionnel réquisitionné pour les evasans.

"La Polynésie vie une crise en matière sanitaire"

Joseph Kaiha, le maire, aimerait pouvoir lui aussi disposer d’un hélicoptère. "Nous héritons aujourd’hui d’une politique menée au début des années 2000 et qui a consisté à concentrer les structures, les moyens humains, matériels et techniques à Tahiti, au Taaone. Le centre hospitalier territorial est le seul à pouvoir donner et sauver des vies. Cela a coûté cher, très cher, les moyens pour nos îles n’ont pas suivis. La Polynésie vie une crise en matière sanitaire."

À Ua Pou il y a un seul médecin, "ce qui est déjà bien" soulignent de nombreux habitants mais quand il prend des congés il n’est pas toujours remplacé comme en septembre 2016 où l’île a vécu sans médecin pendant deux semaines. "On a du mal à faire venir des professionnels, ils ne veulent pas venir, on est loin, on n’a pas de moyens. Comment voulez-vous qu’un médecin habitué à la télémédecine pratique ici ?" interroge Joseph Kaiha.

Une épée de Damoclès au-dessus de la tête

Si la famille Gueranger n’a jamais perdu de patient sur son bateau, elle est tout de même passée à côté du drame à deux reprises. "Les deux personnes sont décédées plus tard, une fois le transport effectué." Ils continuent, mais œuvrent avec une épée de Damoclès au-dessus de leur tête.

Le 5 juillet 2016, sur l’île de Ua Huka, une femme de 29 ans est décédée en cours d’evasan. Atteinte de leptospirose, elle a été prise en charge à 20h30, est arrivée à l’hôpital de Taiohae à Nuku Hiva vers 23 heures avant d’être envoyée au Taaone, à Tahiti où elle est arrivée le lendemain vers 5h35 après 15 heures de transport.

À Ua Pou la famille Gueranger répond toujours présent, mais jusqu’à quand ? "Si on veut arrêter ?", demande-t-elle ? "Non ! Il n’y a personne d’autre pour assurer les transferts régulièrement. Cela nous demande d’être toujours opérationnels, c’est vrai, mais les habitants sont reconnaissants."

1 La Direction de la santé n’a pas donné son accord pour une interview du médecin et des infirmiers du dispensaire.


Rédigé par Delphine Barrais le Samedi 11 Mars 2017 à 19:48 | Lu 7520 fois