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Affaire Sofipac : "Je ne suis pas un spécialiste de la défisc' " se défend l'ancien patron


William Bernier, ex-patron de la Sofipac et premier des douze prévenus à avoir été appelé à la barre du tribunal.
William Bernier, ex-patron de la Sofipac et premier des douze prévenus à avoir été appelé à la barre du tribunal.
PAPEETE, le 12 octobre 2015 - Le procès en escroqueries visant le patron de l'ancien cabinet de défiscalisation Sofipac (Société financière du Pacifique) William Bernier et onze co-prévenus, essentiellement des apporteurs d'affaire, s'est ouvert comme prévu, ce lundi matin, devant le tribunal correctionnel de Papeete.

Les débats s'étaleront jusqu'à vendredi pour tenter d'y voir plus clair dans ce dossier technique et complexe où la justice a commencé à confronter, dès ce lundi, les textes "indigestes", dixit la présidente du tribunal Denise Lacroix, de la loi Girardin et du code général des impôts avec les infractions reprochées aux prévenus.

Ces derniers sont soupçonnés, chacun à leur niveau, d'avoir mis en place et entretenu pendant plusieurs années une façon très personnelle de gérer les dossiers de défiscalisation instruits par la Sofipac, en prenant de sérieuses libertés avec le cadre légal régissant le dispositif Girardin d'incitation à l'investissement outre-mer.

Entre novembre 2006 et décembre 2009, la Société financière du Pacifique de William Bernier a ainsi procédé au montage administratif et financier de 311 dossiers plus que douteux a estimé l'enquête, certains carrément inexistants, pour une escroquerie pharaonique finalement chiffrée à plus de 3,8 milliards de Fcfp. "32 millions d'euros, le juge a voulu faire la conversion en euros pour que l'on se rende bien compte", précisera d'ailleurs le parquet au détour de l'une de ses interventions pour souligner le caractère hors norme du dossier. Le tribunal qui s'appliquera également à tenter de savoir où est passé tout cet argent.

Le fisc va de surprise en surprise

C'est un cabinet de défiscalisation basé à Toulouse (Haute-Garonne), chargé de trouver les investisseurs métropolitains pour le compte de la Sofipac et choisi par William Bernier, qui a indirectement provoqué la chute de son relais polynésien. Visé par un contrôle des services de Bercy lui faisant craindre des procédures en redressement fiscal à l'encontre de certains de ses clients, le cabinet toulousain est allé demander des comptes à la Sofipac. Laquelle s'est à son tour retrouvée dans le viseur des services du fisc, mais du Pays cette fois. Et les agents ne tarderont pas à découvrir la défiscalisation à la sauce Sofipac.

Dossiers fictifs, fausses factures, perception des commissions, rétention sur un compte bancaire au nom de la société puis distribution hors cadre légal de l'argent destiné aux bénéficiaires des projets défiscalisés, montages illégaux pour l'achat de matériel inéligible au dispositif Girardin, l'administration fiscale ira de surprise en surprise au point d'en alerter la justice.

Premier à passer sur le grill à la barre : William Bernier. Cet ancien banquier, qui a passé comme quelques autres plusieurs mois en détention provisoire dans le cadre de l'instruction de cette affaire, se défend d'avoir sciemment contourné le dispositif. "Je ne suis pas un spécialiste…", souffle-t-il en réponse à la présidente du tribunal, étonnée, qui lui demandait en filigrane s'il n'avait pas profité de l'ignorance des porteurs de projets –des éleveurs, agriculteurs des îles, et autres gérants de pension de famille essentiellement- que ses apporteurs d'affaire lui rabattaient.

"Vous nous dites que vous ne maitrisiez pas vous-même ces textes compliqués, il faut le dire, et que vous les soumettiez pourtant aux candidats à la défiscalisation ?". Le prévenu acquiesce. Son avocat Me Gourdon plaidera d'ailleurs "le manque de professionnalisme", "la négligence", et l'absence d'enrichissement personnel : "Le juge n'a pas trouvé d'argent sur ses comptes, il a une maison en métropole fruit d'une longue vie de travail et c'est tout" affirme l'avocat. "On peut lui reprocher d'avoir laissé s'évaporer des sommes importantes mais ce sont d'autres que lui qui en ont profité".

Les apporteurs d'affaire dans le collimateur

La présidente du tribunal, elle, continue de s'interroger. Relève que William Bernier touchait 3% de commission sur le montant investi dans chaque dossier, "c'est ce qui est prévu", mais parfois sur la base de factures particulières adressées aux bénéficiaires de la défiscalisation, ce qui l'est moins puisque ces 3 % sont légalement déjà intégrés aux loyers reversés par ces mêmes bénéficiaires à la Sofipac.

De la même veine, les apporteurs d'affaire, dont les auditions commenceront demain mardi, se reversaient 7 % de commission sur le montant total des dossiers "clients" qu'ils rabattaient à la Sofipac, mais sans aucun contrôle à en croire l'ancien patron qui devrait leur faire porter une partie du chapeau : "Ils se débrouillaient pour se faire payer directement", explique Bernier qui ne s'étend pas plus sur le sujet quand la présidente trouve étonnant, là encore, que des seconds couteaux se rémunéraient ainsi deux fois plus que lui. Et la question de savoir si le premier ne touchait pas des rétro-commissions des seconds qui se pose.

La nature même des dossiers vendus comme éligibles à la défisc' par la Sofipac à son partenaire métropolitain –quand ils n'étaient pas bidons- a suscité bon nombre d'interrogations hier, tant il est apparu que certains des bénéficiaires n'utilisaient pas les fonds dans du matériel neuf pour lancer ou développer une activité mais se tournaient souvent vers du matériel d'occasion, voir du petit matériel stocké en prévision de l'avenir, pour soutenir une exploitation déjà existante en contradiction totale avec l'esprit de la loi Girardin.

L'enquête qui a permis de révéler, en outre, qu'il arrivait à William Bernier de chiffrer les projets vendus à ses interlocuteurs métropolitains sur la base "d'estimations" et de "simples factures pro-forma" quand la loi impose des factures originales. "On a trouvé ce système car souvent les agriculteurs eux-mêmes ne tenaient pas leurs factures" s'est défendu l'intéressé.

La Sofipac prenaient garde à ne monter que des dossiers de défiscalisation sous la barre des 30 millions de Fcfp, seuil en dessous duquel le ministère des Finances à Paris n'exerce aucun contrôle d'agrément.

Le procès se poursuit mardi avec l'audition attendue de Yolande Wong Lam, 70 ans et principale apporteuse d'affaire impliquée dans les deux tiers des dossiers frauduleux.

Pour son avocat Me Pascal Gourdon, William Bernier n'est pas "le cerveau" de l'affaire. Il a "manqué de professionnalisme" mais les sommes "importantes qui se sont évaporées ont profité à d'autres".
Pour son avocat Me Pascal Gourdon, William Bernier n'est pas "le cerveau" de l'affaire. Il a "manqué de professionnalisme" mais les sommes "importantes qui se sont évaporées ont profité à d'autres".

Rédigé par Raphaël Pierre le Lundi 12 Octobre 2015 à 17:55 | Lu 2631 fois