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​Les travaux "chaotiques" de l'école de Teavaro


Tahiti, le 12 octobre 2020 – Le rapport de la chambre territoriale des comptes sur la gestion de Moorea s'attarde sur l'incroyable feuilleton du chantier de l'école primaire de Teavaro… émaillé d'une dizaine d'années de surcoûts, délais, dysfonctionnements et décisions invraisemblables de la commune.
 
Pas moins de sept pages du dernier rapport de la chambre territoriale des comptes sur la gestion de Moorea-Maiao sont consacrées aux détails d'une opération "emblématique" par ses "retards et surcoûts" : la rénovation et la mise aux normes de l'école primaire de Teavaro et de sa cantine. "Leurs mises en œuvre ont été émaillées de multiples rebondissements et de graves dysfonctionnements, engendrant d'importants retards et un alourdissement substantiel des financements afférents", assène d'emblée la chambre.
 
"Surcoûts"
 
Sur le financement tout d'abord, les travaux ont été décidés à l'origine en 2004 pour un coût total de 333,5 millions de Fcfp. Une première partie de l'opération concernant les études et les travaux de la cantine a été lancée, réalisée et achevée en 2005. Mais c'est pour la deuxième tranche des travaux portant sur la rénovation de l'école primaire que l'opération s'est avérée être un véritable empilement, ubuesque, de dysfonctionnements.
 
À l'origine estimé à 265 millions de Fcfp, le projet a été réévalué en 2007 à 462 millions, puis une nouvelle fois en 2009, puis encore en 2010… Pour qu'enfin un dernier plan de financement soit établi en 2015 pour un montant total de 585 millions de Fcfp. Une fois ce montant définitif validé, financé à 95% par le FIP, un délai maximum de réalisation de deux ans a fixé une date butoir de fin des travaux au 19 avril 2017. Date reportée une première fois au 31 août 2018. Puis une seconde fois au 31 août 2019. Puis une troisième fois au 31 août 2020…
 
"Ferme"…
 
Les travaux de l'école ont été divisés en deux tranches : l'une "ferme" à hauteur des crédits disponibles et l'autre "conditionnelle". La première tranche "ferme" de onze salles de classes et deux blocs sanitaires a démarré en 2010 pour une période de neuf mois. Durée prorogée du double du délai prévu, avec un surcoût de 5,5% sur la facture à l'arrivée. Mais surtout, les travaux n'ont pu être réceptionnés que deux mois après la fin des travaux. D'une part, parce que l'escalier d'évacuation des élèves avait été prévu "à tort" dans la tranche "conditionnelle" et qu'il a fallu "réaliser dans l'urgence un escalier provisoire". Et d'autre part, en raison de "tests complémentaires nécessaires pour mettre le projet en conformité avec les règles des services d'hygiène". La chambre précisant sur ce point que "pour un fonctionnement régulier de l'établissement, les toilettes de l'ancienne école ont été conservées".
 
… et "conditionnelle"
 
Cette mise en bouche étant terminée, c'est encore la tranche conditionnelle qui a cristallisé le plus de "dysfonctionnements". À la date de notification du marché en 2016, le délai de réalisation de neuf mois a d'abord été prolongé "pour raisons techniques et pour tenir compte des intempéries". Un premier report qui n'a "de toute évidence pas été suffisant", souligne la chambre, puisque des retards d'exécution ont été constatés dans le gros œuvre et la charpente, entraînant des pénalités pour l'entreprise titulaire des marchés.
 
Et ce n'est pas fini. "Devant le constat préoccupant du déroulé de l'opération, tant au niveau des retards enregistrés que des malfaçons observées sur les travaux réalisés par cette entreprise, la commune s'est vue contrainte, par trois fois, de prolonger de nouveau les délais", commente le rapport. Des reports qui se sont répercutés sur les autres corps de métier et qui ont occasionné "des retards en chaîne et des surcoûts".
 
"Mansuétude"
 
En juin 2017, la chambre écrit que "les constats de l'étendue des malfaçons ont été portés à la connaissance des membres du conseil municipal". Et malgré des délais supplémentaires, des mises en demeure et la menace d'une résiliation : "l'entrepreneur n'a finalement pas été en mesure de respecter les obligations contractuelles du marché". Résultat, les travaux ont été suspendus et la commune a demandé un référé expertise au tribunal administratif pour un diagnostic des réalisations, des malfaçons et des responsabilités de chacun. Mais même avec cette décision de justice, la chambre explique que "la commune a fait preuve de mansuétude et a décidé de poursuivre les travaux avec l'entreprise initiale". Un protocole d'accord a donc été conclu, dans lequel la commune renonçait aux pénalités de retard et à toutes réclamations "si l'entreprise s'engageait à terminer les travaux dans les délais impartis".
 
"Résiliation"
 
Et aussi surprenant que cela puisse paraître à ce stade de cet invraisemblable feuilleton… l'entreprise n'a évidemment pas le moins du monde respecté les fameux délais impartis. L'expert nommé par le tribunal faisant même état à ce niveau "du non-respect des délais contractuels, d'une complète méconnaissance des règles de l'art, et de manière générale d'un avancement insuffisant de l'entreprise". Résultat, par une délibération d'août 2018, le conseil municipal a résilié les marchés de l'entreprise en question relatifs aux lots gros œuvre, charpente et revêtements sols et murs. Et pour ne rien arranger, cette décision a eu pour effet "compte-tenu du désordre du chantier" d'entraîner le désistement des titulaires des lots plomberie et peintures, puis de celui du lot électricité "qui n'a pas souhaité poursuivre les travaux"
 
"Vigilance"
 
Finalement, la commune a passé de nouveaux appels d'offre et mis enfin en service cette deuxième tranche en février 2020. La chambre note en conclusions que 15 ans après sa conception et 10 ans après son lancement, cette reconstruction de l'école a été réceptionnée pour un coût final de 595 millions de Fcfp, soit "une augmentation de l'opération de l'ordre de plus de 80%"… Conclusion de la juridiction –"pour un bâtiment qui ne présente aucune complexité architecturale ou technique"– la commune est appelée à faire preuve "d'une extrême vigilance" à l'avenir "notamment de choix des entreprises". Un bel euphémisme.
 

Rédigé par Antoine Samoyeau le Mardi 13 Octobre 2020 à 10:03 | Lu 4774 fois