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​Les tavana brisent leurs chaînes statutaires


Tahiti le 10 décembre 2025. Les débats ont été très animés mercredi soir à l’Assemblée Nationale à l’heure d’aborder la modification de l’article 43.2 du statut d’autonomie de la Polynésie française conférant plus de compétences aux communes. Un texte défendu par les autonomistes et 46 maires sur 48 mais contre lequel l’assemblée de la Polynésie française s’était prononcée. Le texte a finalement été adopté par Paris.

 
Près de deux heures de débats auront été nécessaires mercredi soir à Paris pour faire passer la proposition de modification de la loi organique soutenue par Teva Rohfritsch et Lana Tetuanui au Sénat, et Nicole Sanquer et Moerani Frébault au palais Bourbon, conférant plus de compétences aux communes en Polynésie française (aide sociale, interventions économiques, culture, le patrimoine ou sport).

Deux heures de débats au cours desquels la gauche française, traditionnellement plus proche des discours du Tavini, s’est opposée à ce texte, rejoignant dans l’analyse celle du président du Pays, Moetai Brotherson, et de Mereana Reid-Arbelot, présente dans l’hémicycle pour porter l’opposition au texte.

Rapporté par Nicole Sanquer, soutenu par le gouvernement français, le texte modifiant l’article 43.2 permettant aux communes de pouvoir intervenir dans certains domaines de compétences habituellement dévolus au Pays a été adopté par 76 voix contre 35 après de vifs débats, parfois même hors sujet.

Ainsi, la ministre des Outre-mer, Naima Moutchou a défendu un projet de texte face à une situation où "personne ne peut prétendre que le mécanisme actuel fonctionne, sans doute parce qu’il est trop complexe".

"Aujourd’hui, compte tenu de la rigidité du cadre législatif, les communes exercent déjà de facto des compétences dévolues au Pays comme les festivals culturels, les interventions auprès des familles en difficultés, les aménagements de sentiers de randonnée ou encore les musées", a rappelé la ministre pour appuyer son soutien au projet de loi.

"Ces actions du quotidien sont menées en dehors de tout cadre juridique, or les élus locaux ont besoin de sécurité", a-t-elle poursuivi. "Voter pour cette proposition de loi, ce n’est ni revenir sur l’équilibre institutionnel, ni réduire la capacité du territoire, affaiblir l’exécutif local comme j’ai pu l’entendre."

​Réalité institutionnelle…

Avec l’adoption de ce texte, les communes et intercommunalités pourront exercer tout ou partie d’une compétence après en avoir informé le président de la Polynésie française, le président de l’assemblée de la Polynésie française et le haut-commissaire. Une période de 6 mois avant la mise en œuvre d’exercice de la compétence sera mise en place pour établir les conventions adéquates et prévoir les moyens.

Porteuse du projet de loi, Nicole Sanquer a de son côté insisté sur la correction "d’une réalité institutionnelle" qui "entrave toute initiative locale dans les domaines initialement prévus par le législateur à l’artcile 43.2""Nous devons libérer les communes de ce verrou politique et institutionnel", a-t-elle martelé "contre un système où l’inaction d’une institution (le pays) interdit l’action d’une autre (communes)."

Cette action engagée par les Tavana et portée par les autonomistes à Paris a été contrée par la présentation d’un projet de loi du Pays présenté par Moetai Brotherson, mais, a rappelé Nicole Sanquer "le projet" du président a été "désapprouvé par le Syndicat pour la promotion des communes et va à rebours de l’esprit de la réforme. Il renforce le contrôle du Pays" et "place les communes sous la tutelle du Pays, ce qui porte une atteinte manifeste du principe de libre administration des collectivités territoriales et risque la censure du Conseil d’Etat."

… ou régression statutaire ?

Face à ce projet de loi, le groupe La France insoumise à présenté une motion de rejet, défendue par Bastien Lachau qui, dans une longue prise de parole hors de propos sur la décolonisation, n’a pas, ni sur la forme, ni sur le fond, attaqué réellement le texte présenté. "Votre précipitation législative vous pousse à invoquer les arguments les plus fallacieux et surtout, elle peine à masquer votre véritable objectif visant à redistribuer les pouvoirs à 6 mois des élections municipales et espérer mettre en minorité les indépendantistes", a-t-il argumenté.

Une motion de rejet défendue par le PS et le groupe Démocrate et Républicain.

Mereana Reid-Arbelot, à la tribune, a défendu ce rejet dénonçant une "véritable régression statutaire", un "déni de démocratie", et une "offense envers nos représentants polynésiens ainsi qu’envers le peuple qu’ils incarnent".

Plus tard dans les discussions sur le texte en lui-même, la députée polynésienne indépendantiste est aussi revenu sur un danger lié au texte, "que certaines communes s’engagent dans des projets qu’elles ne pourront assumer" et "inévitablement, elles se tourneront vers le Pays pour obtenir des financements."

Un texte qu’elle a dépeint comme "dangereusement bâclé""sans cadre et sans retenue""qui flatte et qui promet."

La modification du statut a finalement été voté par 76 voix contre 35.

Un déni de démocratie ?

Tout au long des débats, les partis de gauche ont placé le déni de démocratie au centre des arguments, arguant que le projet de texte n’avait pas à être voté à l’Assemblée Nationale alors qu’un autre texte avait été déposé par le président du gouvernement polynésien à l’assemblée de la Polynésie française.

Des députés comme Perceval Gaillard (LFI), Marc Pena (PS) ou encore Steevy Gustave (Groupe Ecologiste) ont mis en avant ce fait, estimant le Tavini et les indépendantistes majoritaires en Polynésie française. Un postulat pourtant peu évident à considérer comme vrai à l’heure actuelle avec une assemblée de la Polynésie française rendue à majorité indépendantiste par la prime majoritaire de 2023 alors que les autonomistes cumulaient plus de voix aux dernières territoriales. Une telle affirmation tendrait à déclarer le Rassemblement national majoritaire en Hexagone si une prime équivalente avait été mise en place lors des dernières législatives.

Bien malin celui qui aujourd’hui pourrait dire en Polynésie française qui est réellement majoritaire. Le Tavini parce qu’il a remporté les territoriales ? Le Tapura puisqu’il affiche le plus grand nombre de tavana ? Les autonomistes parce qu’ils se sont alliés aux dernières législatives ? Les indépendantistes parce qu’ils ont obtenu la réinscription du Pays sur la liste des territoires non-autonomes auprès de l’ONU ? Les 46 maires favorables sur 48 à cette modification sont-ils plus représentatifs que l’assemblée, opposée à cette dernière ?

Difficile dans ces conditions de placer le curseur du déni de démocratie.

Rédigé par Bertrand PREVOST le Mercredi 10 Décembre 2025 à 12:59 | Lu 941 fois