Tahiti Infos

​Des élus irrésolus à Tarahoi


Tahiti, le 10 décembre 2025 - Comment planter une résolution quand on est tous d’accord ? Demandez donc aux élus de l’assemblée de la Polynésie française qui ont réussi ce tour de force mercredi après-midi à Tarahoi.

 
Les élus à l’assemblée ont étudié ce mercredi après-midi la résolution déposée par le Tapura et les élus non-inscrits pour s’insurger face à l’annonce d’une possible reprise des essais nucléaires américains dans le Pacifique. Une résolution qui devait par la suite être envoyée aux membres du Forum du Pacifique pour qu’à leur tour, les États-membres se positionnent contre la reprise des essais nucléaires de l’administration Trump.
 
Cette résolution, le Tavini avait accepté de la soutenir, moyennant une petite réécriture du texte, ce qu’avaient consenti les élus de l’opposition. Jusque-là donc, tout allait bien et son étude ne devait alors ressembler qu’à une formalité coincée entre l’étude du budget de l’assemblée de la Polynésie française et la résolution déposée par Oscar Temaru sur la souveraineté du peuple polynésien sur ses ressources naturelles, déjà plus polémique.
 
Et patatras. La fatigue probablement liée à l’étude des textes depuis trois jours, de vieilles rancœurs sur le combat contre le nucléaire, associées à la division de points de vue sur l’avenir du Pays entre autonomistes et indépendantistes, ont réussi à créer la magie de Tarahoi, bien avant la magie de Noël. En trente minutes, les élus se prenaient les pieds dans le sapin et terminaient l’année en eau de boudin.

Vieux règlements de compte

La résolution devait pourtant suivre un tracé, somme toute, assez simple. Exposé du texte, discussions, vote et passage au sujet suivant. Édouard Fritch pouvait sereinement lire l’exposé des motifs de la résolution expliquant que “dans cette résolution, nous avons tout intérêt à être unis, à être ‘un’ pour se battre et ne pas être divisés comme nous l’avons été pendant plusieurs années. (…) Je crois qu’aujourd’hui, nous devons tous humblement se joindre à ce genre de position, localement comme dans le Pacifique Sud. Si nous ne sommes pas unis sur ce sujet, c’est peine perdue.”
 
Mais après la lecture de l’exposé de la résolution par Édouard Fritch, alors que tous les groupes politiques de l’assemblée étaient unanimes en commission sur sa rédaction et parlaient d’une même voix, les choses ont mystérieusement dérapé et laissé la place aux vieux règlements de compte.
 
Allen Salmon pour le Tavini embourbait le débat. “Il n’est pas interdit de remarquer le paradoxe politique qui traverse cette démarche”, a-t-il lancé lors de sa prise de parole. “Ce n’est pas faire injure à nos collègues que de rappeler cette vérité. Ceux qui portent aujourd’hui cette résolution sont précisément ceux qui, hier encore, justifiaient l’implantation du CEP, ce sont ceux qui combattaient farouchement les positions du Tavini depuis les années 70. Ce sont également ceux qui défendaient les 193 explosions nucléaires françaises pendant 30 ans. 30 ans de mensonges.”
 
En quatre phrases, Allen Salmon venait de ruiner la cohésion qui entourait le texte entre des bleus qui ont toujours combattu le nucléaire, et des autonomistes repentant qui ne veulent plus participer au mensonge d’État. Une situation qu’Édouard Fritch avait d’ailleurs reconnue le 15 novembre 2018. “Je ne m’étonne pas qu’on me traite de menteur alors que pendant trente ans, nous avons menti à cette population, que les essais étaient propres : nous avons menti, j’ai fait partie de cette bande”, avait-il assumé.
 
Allen Salmon, reprenant la thématique du mensonge, lançait même à l’attention d’Édouard Fritch : “Vous excellez dans ce domaine”, avant de continuer, le regard conquérant : “Nous, au Tavini, nous nous réjouissons. Grâce à une déclaration de Donald Trump, l’opposition a enfin découvert que les essais nucléaires étaient néfastes. (…) Ceux qui contestaient hier nos avertissements s’inscrivent désormais en farouches combattants du nucléaire… Le contraste est saisissant.”
 
Malgré ses mots acerbes, il tentait de conclure son discours par un coup de polish. “Au Tavini, nous savons discerner les erreurs d’hier, les ambitions de demain et, reconnaissons-le, la proposition présentée contient des intentions louables en replaçant Oscar Temaru à sa juste place”, avant de reconnaître plus loin : “Ce combat n’est pas celui d’un parti politique, mais celui d’un peuple.” Un peu tard. Le poison de la discorde avait déjà été inoculé dans les débats.

Le groupe Tapura quitte l’hémicycle

Évidemment, les propos d’Allen Salmon allaient provoquer des réactions. “On n’a pas attendu 2025 pour savoir que les essais nucléaires étaient nocifs”, rétorquait Tepuaraurii Teriitahi, rappelant aussi que les autonomistes avaient reconnu le combat d’Oscar Temaru. “Il faut arrêter de faire croire que les autonomistes sont pro-nucléaire et que les indépendantistes sont les seuls à être anti-nucléaire.”
 
“Ce type de discours n’avait rien à faire aujourd’hui parce qu’enfin, on était parti pour travailler ensemble”, a reproché pour sa part Hinamoeura Morgant-Cross à l’attention de son ancien collègue du Tavini. “Quand Édouard Fritch a reconnu ‘oui, nous avons menti’, c’est un des moments les plus courageux de l’histoire de l’assemblée de la Polynésie française. On aurait dû te féliciter. Et là, on t’insulte. Regardez-vous dans une glace”, a-t-elle envoyé. “Aujourd’hui, nous aurions dû nous unir.”
 
Face aux propos d’Allen Salmon et au lieu de prolonger l’étude du texte, Édouard Fritch, qui avait déposé la résolution, a fini par retirer cette dernière et, avec l’ensemble de son groupe, a quitté l’hémicycle. “Quand arrêterons-nous de réveiller la haine ?”, s’est-il interrogé. “Je retire cette résolution pour bien montrer que je ne faisais pas ça pour le Tapura, mais pour mon pays. Je propose que nous nous retrouvions pour réécrire ensemble cette résolution, mais je suis triste de ce qu’il se passe aujourd’hui.”
 
Devant les chaises vides, et alors que les non-inscrits étaient sur le point de ne pas participer au vote à leur tour, les excuses publiques ont commencé à descendre des travées. Celles d’Allen Salmon tout d’abord, puis Oscar Temaru et Antony Géros. Dans la précipitation, une suspension de séance était demandée et à la reprise, face aux sièges vides de l’opposition, la résolution qui devait mettre tout le monde d’accord était finalement retirée, tout comme celle d’Oscar Temaru sur la souveraineté du peuple polynésien sur ses ressources naturelles.
 
La dernière séance de l’assemblée de l’année, qui pouvait se clore dans le miel, a finalement pressé un vinaigre que personne n’attendait.

Rédigé par Bertrand PREVOST le Mercredi 10 Décembre 2025 à 17:54 | Lu 774 fois