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Tahiti pearl Consortium : "touche pas à ma perle", répondent les professionnels


Tahiti pearl Consortium : "touche pas à ma perle", répondent les professionnels
Le modèle stratégique présenté par le consultant Gaetano Cavalieri visant une meilleure valorisation de la perle de Tahiti est très controversé par les professionnels du secteur qui dénoncent une manœuvre du Pays visant à prendre le contrôle de l’écosystème de la perle.

"Il faut être honnête : le projet est magnifique sur le papier, mais irréalisable dans ce pays", constate Aline Baldassari-Bernard, présidente du syndicat professionnel des producteurs de perles (SPPP). "Et pour une fois, nous sommes unanimes : toute la profession est réunie pour dénoncer ce projet."
Tous comme un seul homme, en effet. Sur le perron de la Présidence, une employée du service de la perliculture exprime même une indignation un brin admirative, en observant le groupe de professionnels s’approcher avec une bonne heure de retard : "s’ils étaient unis comme cela tout le temps…".
Tout le monde est là : les GIE et syndicats de producteurs, le syndicat des négociants et quelques producteurs indépendants. Tous viennent exprimer leur désaccord, mercredi 28 novembre, à la présentation animée par Gaetano Cavalieri, salle du gouvernement, à l’invitation du ministère des Ressources maritimes et de la Maison de la Perle. Non, ils ne veulent pas d'un plan de sortie de crise réalisé dans leur dos et sans concertation.

Le modèle stratégique évoqué par le consultant international s’inspire de celui développé par le Consorzio del prosciutto di Parma (Consortium du jambon de Parme), créé en 1963 par 23 producteurs et qui en compte 156 aujourd’hui.
En trois étapes, à l'horizon du 31 juillet 2013, il prévoit de complètement restructurer le négoce de la perle de Tahiti.

Aussi, le consultant propose-t-il d’organiser la vente du précieux joyau des lagons polynésiens autour d’un consortium de producteurs, régi par une charte et appuyé sur une société internationale de distribution de perles agissant pour son compte. Ce regroupement, le Tahiti Pearl Consortium, est chargé de veiller au respect des dispositions légales et réglementaires et de la promotion du produit, alors que la société internationale de distribution de perles, société d’économie mixte, s’occupe de la commercialisation.

Cette société ne s'attacherait qu'aux produits haut de gamme et se propose d’éliminer les intermédiaires japonais et chinois, pour fixer la valorisation du produit dans des mains polynésiennes. "Du producteur au fournisseur du vendeur au détail, la valeur commerciale de la perle est multipliée par un facteur entre 1,8 et 2,1", estime l'étude de Gaetano Cavalieri. "Par conséquent, il y a environ 100% de valeur ajoutée qui est perdue au profit des intermédiaires, entre le producteur et le vendeur au détail, et TPC est conçu pour capter cette portion.".

Gaetano Cavalieri se fait fort, en outre, profitant de sa fonction de président de la CIBJO, la confédération internationale de la bijouterie, de la joaillerie, de l’orfèvrerie et des pierres précieuses, de "travailler en étroite collaboration avec la CIBJO afin d’obtenir une reconnaissance internationale de la perle de culture de Tahiti".

Mais, outre le prix jugé un peu élevé de la consultation de Gaetano Cavalieri (79 millions Fcfp), épaulé par une ligne de 500 millions Fcfp au budget 2013, "à un moment où le Pays est à l’agonie", les professionnels redoutent l’intervention du politique dans un écosystème fragilisé : "tous les systèmes qui sont en monopole, a fortiori contrôlé par un gouvernement, ne fonctionnement pas correctement", constate Loïc Wiart, président du syndicat des négociants de perles. "Ce qui marche, c’est la concurrence. Une concurrence suffisamment saine pour stimuler les acteurs de la filière, producteurs, négociants ou acheteurs étrangers. Se retrouver tous dans une entité contrôlée par le Pays est inquiétant. Il suffit de regarder la Maison de la perle : ça ne fonctionne pas et 90% des acteurs ne sont pas dans cette Maison de la Perle."

Une voix discordante cependant, celle de Francky Tehaamatai, producteur et négociant de perles, qui adhère au projet du Pays en manifestant son appui par une question sybilline "vous savez ce que c’est qu’une centrale d’achat, la force que ça représente sur le marché ?"


Les perliculteurs unis pour signer un courrier adressé au Président Oscar Temaru pour signifier leur désapprobation

Tahiti pearl Consortium : "touche pas à ma perle", répondent les professionnels
Aline Baldassari-Bernard : "On ne veut pas d’une organisation dominée par le politique"

Tahiti infos : Que reprochez-vous au plan stratégique proposé par Gaetano Cavalieri ?

Aline Baldassari-Bernard : D’abord, sur le principe. On nous a présenté deux exposés Power Point en juin dernier, à la présidence, expliquant vaguement ce qu’il envisageait comme dispositif : en gros une centrale d’achat et une stratégie marketing pour vendre sur le marché du luxe.
Beaucoup à l’époque étaient dubitatifs. Depuis, il n’y a pas eu de concertation avec les professionnels. Aujourd’hui, le Pays nous met devant ce projet, décidé de manière unilatérale.
Depuis des années, on se bat pour réorganiser la filière en amont et non pas sur le plan de la commercialisation. C’est certes un point clé ; mais il y a beaucoup de problèmes au niveau de la production dont le gouvernement ne se préoccupe pas.
Ensuite, ce projet est très cher : 79 millions Fcfp pour une étude… En ce moment en période de crise.
Enfin, M. Cavalieri a annoncé que son objectif était d’éliminer les acheteurs historiques, japonais et chinois, alors que ce sont nos acheteurs pour 80% de la production, aujourd’hui. Cela fait 30 ans, nous, producteurs, que nous vendons nos perles – certes, pas de la meilleures des façons – mais dans le contexte économique mondial en crise, on a prouvé l’année dernière que l’on se débrouillait convenablement.


L’analyse de M. Cavalieri estime que la valeur commerciale de la perle pourrait être multipliée par un facteur entre 1,8 et 2,1, en supprimant les intermédiaires et en s’adressant directement aux détaillants.

M. Cavalieri appuie sa stratégie sur le marché du luxe, c'est-à-dire sur une certaine catégorie de perles : les A et les B. Ce n’est pas à vous que je vais apprendre qu’elle ne sont qu’une quantité infime de notre production. Effectivement, il pourrait peut-être travailler sur le marché du luxe et vendre ces perles ; mais ce sont celles que nous vendons le mieux : on n’a besoin de personne pour bien les écouler.
Les japonais et les chinois nous achètent les autres perles : les C et les D. Ils sont responsables de 80% des achats de perle. Cela représente 13 tonnes en 2011. Imaginez qu’ils apprennent ça et qu’ils arrêtent de nous acheter.


Pensez-vous que cette analyse a été faite en méconnaissance de l’écosystème de la perle ?

Voilà. En fait, il s’agit de quelqu’un fortement impliqué dans la bijouterie et joaillerie. Il est très compétent avec un réseau énorme, dans la joaillerie, la vraie. Il faut savoir que dans la bijouterie, la perle représente moins de 5% des ventes, à l’échelle mondiale. Comment voulez-vous que quelqu’un qui est spécialisé dans le diamant puisse faire une étude sur la perle alors qu’il ne la connaît même pas ? C’est ça qui nous préoccupe.
Je constate qu’il y a une unanimité, face à cette étude, parce qu’elle présente trop d’incertitude. Ce monsieur n’est pas spécialisé dans la perle.


L’idée d’une centrale d’achat a toujours été mal perçue par le secteur.

Aujourd’hui on est 400 producteurs, il est toujours très compliqué de satisfaire tout le monde. (…) M. Cavalieri a certainement des propositions intéressantes à faire. Elles doivent se situer dans le cadre d’une organisation à nous. On ne veut pas d’une organisation dominée par le politique. Là, on apprend que la Maison de la perle serait l’actionnaire majoritaire de la future entité. Nous ne voulons pas de ça : ce n’est pas au politique de s’occuper d’un domaine privé, on s’y refuse.

Tahiti pearl Consortium : "touche pas à ma perle", répondent les professionnels

Rédigé par Jean-Pierre Viatge le Mercredi 28 Novembre 2012 à 16:16 | Lu 2058 fois