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Steeve Hamblin : "On a l'impression d'être inaudibles"


Le tout nouveau président du Medef, Steeve Hamblin, a accordé un entretien à Tahiti Infos pour évoquer la loi fiscale qui fait son grand retour à Tarahoi ce jeudi. (crédit photo Wendy Cowan)
Le tout nouveau président du Medef, Steeve Hamblin, a accordé un entretien à Tahiti Infos pour évoquer la loi fiscale qui fait son grand retour à Tarahoi ce jeudi. (crédit photo Wendy Cowan)
Tahiti, le 10 avril 2024 - À la veille de l'ouverture de la session administrative avec le retour de la loi fiscale du gouvernement comme plat du jour, le tout nouveau président du Medef, Steeve Hamblin, dénonce un texte “anxiogène” pris de “manière brutale” et “sans concertation”. Interview.
 
 
Vous avez été élu à la tête du Medef il y a à peine 15 jours. Les relations entre votre prédécesseur et le Pays étaient pour le moins tendues, et vous avez tout de suite annoncé que vous souhaitiez ouvrir le dialogue avec le gouvernement ? Où en sont vos rapports aujourd'hui ? Avez-vous déjà eu des rencontres avec le ministre de l'Économie ou le président du Pays ?

“Oui j'ai rencontré le ministre de l'Économie et ses collaborateurs dès que j'ai été élu à la tête du Medef, avec l'ensemble de mon bureau. C'était aussi pour lui manifester notre motivation à participer aux travaux que mène le Pays pour développer notre économie. D'ailleurs, récemment le Pays a décidé de nous solliciter pour participer à l'élaboration de la stratégie de développement économique. On doit redéfinir avec eux la manière de travailler, mais c'est pour dire qu'on reste ouvert et motivé.”
 
En parlant de travaux, la fameuse loi fiscale qui cristallise tant de tensions doit repasser par l'assemblée jeudi. Le ministre Tevaiti Pomare affirme avoir travaillé dans la “concertation” en mettant en avant les deux “Journées prospectives de l'économie” qu'il a organisées à la présidence, mais dont les propositions qui en ont émané n'ont pas été traduites dans le texte fiscal. Cette concertation a-t-elle vraiment eu lieu ?

“Le Medef a largement travaillé à ces travaux lors de ces journées prospectives. Malheureusement, aujourd'hui, notre organisation est en opposition au vote de plusieurs articles de cette loi qui ne reflète pas en effet les recommandations qui ont été faites par le secteur privé.”
 
Sur quels articles précisément ?

“Celui qui nous affecte particulièrement concerne la révision du code des investissements qui vient baisser la défiscalisation pour les investisseurs dans l'hôtellerie, que ce soit pour la rénovation ou la construction d'hôtels. C'est un pari risqué. Il faut rappeler que c'est grâce à la défiscalisation que le tourisme a pu se développer ces 30 dernières années, et que construire un hôtel en Polynésie coûte plus cher que de le construire en Asie. Les charges de fonctionnement sont plus importantes aussi. Donc remettre en question ce dispositif c'est raisonner de manière comptable et je pense que le gouvernement a omis que le carburant d'une économie c'est l'argent bien sûr, mais c'est avant tout la confiance.”
 
Et cette confiance n'est pas vraiment au beau fixe si on se réfère à l'indicateur du climat des affaires (ICA). Et il n'y a pas que le secteur hôtelier qui va être impacté par cette loi fiscale. Quelles sont les remontées que vous avez au niveau du Medef ?

La commission fiscale du Medef a été claire : cette loi du Pays va potentiellement mettre un coup de frein aux investissements hôteliers, voire les arrêter. Il y a donc un impact clair au niveau financier avec des retombées indirectes sur l'ensemble des corps de métiers qui interviennent sur ces chantiers. Et les investisseurs vivent mal cette confiance qui aujourd'hui est ébranlée. Encore plus avec les recours juridiques auxquels cette loi s'est exposée et va éventuellement s'exposer demain en fonction des amendements qui seront déposés. Aujourd'hui les entrepreneurs se demandent s'ils vont être redressés ou pas dans le cadre de leur activité au premier trimestre. Donc tout cela est complexe. Sur la forme et sur le fond, les acteurs sont en colère parce qu'ils n'ont pas été entendus. Et cela a été fait de manière brutale, et sans concertation.”
 
Contrairement à ce qu'affirme le ministre donc, cela a été fait sans concertation, c'est ça ?

“Tout à fait.”
 
Dans le courrier que vous avez envoyé à Tevaiti Pomare et dans lequel vous faites part du mécontentement des patrons que vous représentez, lui avez-vous demandé de reporter l'examen de cette loi du Pays pour pouvoir y retravailler ensemble ? Ou alors attendez-vous de savoir à quelle sauce vous allez être mangés demain ?

“Aujourd'hui on est en attente de la finalité de ce processus qui ne concerne, à l'heure actuelle, que les élus et le gouvernement. Le Medef s'est manifesté au préalable, s'est prononcé, mais le ministre n'en a pas tenu compte. Donc aujourd'hui on attend les amendements éventuels.”
 
Quelles solutions pourriez-vous préconiser ? Est-ce qu'un effacement des créances serait envisageable pour ceux qui doivent rembourser de l'argent au Pays comme les concessionnaires automobiles, les primo-accédants et les entreprises d'importation de matériaux de construction ? Quelles sont les options du gouvernement là-dessus ?

“Proposer une solution, amendements ou pas, rétroactivité ou pas, c'est quelque part cautionner une partie ou la totalité de cette loi. On n'est pas du tout dans cette posture. On l'a contrée sur la quasi-totalité des articles. Donc aujourd'hui on ne se positionne pas comme contributeurs de cette loi, ni comme en mesure de pouvoir la sauver, et nous continuerons à la contrer.”
 
Quand vous dites que vous continuerez à la contrer, cela veut-il dire que vous allez à votre tour saisir la justice et déposer un recours sur le fond de ce texte après son adoption ?

Pour l'instant je n'ai aucune indication de la part des piliers du Medef sur la réaction que pourrait avoir notre organisation suite au vote de demain. La balle est dans le camp des élus et du gouvernement. On se réunira suffisamment tôt pour décider quoi faire. Mais on a le sentiment d'être inaudibles et de ne pas compter. [...] Les enjeux sont importants. [...] Nous surveillons une récession américaine qui, pour l'instant, est contenue et atténuée mais qui est imminente. Et qui dit récession, dit plus aucun touriste américain alors que c'est notre premier marché. Or aujourd'hui, nos hôtels sont pleins mais nos compagnies aériennes locales [Air Tahiti, Air Moana et Air Tahiti Nui, NDLR] sont déficitaires. Donc quid de la situation demain ?”
 
En fait, vous souscrivez aux propos d'Antony Géros qui attend des mesures fortes du gouvernement plutôt que, je le cite, “des petites lois comme ça qui posent plus de problèmes qu'elles ne créent de solutions” ?

“Oui, elle est anxiogène dans le sens où beaucoup d'entrepreneurs sont stressés de savoir s'ils vont être redressés ou pas. On a clairement autre chose à faire. Et il est impératif de déterminer quelle est la locomotive : Est-ce que c'est le tourisme, le social, le logement ? Aujourd'hui on n'a toujours pas de vision.”
 

Rédigé par Stéphanie Delorme le Mercredi 10 Avril 2024 à 16:33 | Lu 4290 fois