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RST cherche équilibre à tout prix


PAPEETE, le 29 juillet 2014 - Aujourd’hui l’Assemblée étudie une proposition de réforme du Régime de Solidarité Territorial. Le but est d’assainir les comptes en s’attaquant à la fraude. En parallèle, le régime par défaut va devenir le RNS, régime des non-salariés, et obtenir la solidarité va devenir bien plus complexe.

Le régime de solidarité est en crise. Le dispositif qui permet à plus de 80 000 Polynésiens de bénéficier d’une assurance maladie accuse un lourd déficit financier, et pour simplement éviter le défaut de paiement il lui a déjà fallu deux rallonges budgétaires cette année : 1,5 milliard de francs en avril, et 2 milliards supplémentaires en juillet. Le déficit cumulé ces trois dernières années pourrait atteindre 10,2 milliards de francs fin 2014 selon la CPS, alors que les comptes du régime indiquent qu’ils étaient à l’équilibre en 2012 (après – déjà – un gros effort de redressement quand le régime avait dépassé le milliard de Fcfp de déficit en 2011).

La Caisse préconise le retour de l’État dans le budget du RST, au titre de la solidarité nationale, accompagné d’une réforme profonde. Mais la participation de Paris au financement est encore loin d’être gagnée. En réponse à une question de la député Maina Sage sur le sujet, la ministre des Outremer George Pau-Langevin a ainsi suggéré la mise en place, sur la base des observations faite par la mission de l’IGAS, "d’un groupe de travail mais aussi d’une méthode de travail conjoint définie entre les ministères concernés et votre gouvernement pour nous permettre de progresser et de trouver des solutions".

S’attaquer aux fraudeurs

L’État ne semble donc pas vouloir bouger rapidement sur le sujet. Reste donc la réforme. L’Assemblée de Polynésie française examine aujourd’hui un projet de loi pour tenter de maîtriser les coûts du RST (qui a repris la place du RSPF au début du mois). L’angle d’attaque : les fraudeurs, qui seraient estimé à 6400 personnes par le gouvernement, soit 8% des bénéficiaires du régime. « En préalables à la refonte du système de protection sociale généralisée (PSG) qui sera présentée d'ici la fin de l'année, le gouvernement souhaite assainir la situation du régime de solidarité territorial (RST) pour que ses crédits profitent, exclusivement, aux plus démunis » résume diplomatiquement le rapport de l’Assemblée sur le projet de loi.

Les fausses déclarations seront mieux détectées grâce à des enquêtes plus approfondies et des échanges d’informations entre les services du Pays. Les peines seront sévères, et pourraient aller d’une exclusion d’un an du RST jusqu’à des conséquences pénales pour des faux documents. Enfin, les conditions pour bénéficier du régime de solidarité seront durcies.

Favoriser les antennes de la DAS au lieu des mairies

Le texte veut que ce soient les antennes locales de la Direction des Affaires Sociales qui soient chargées de récolter les dossiers, un travail pour l’instant effectué par les mairies. Le CESC est dubitatif sur cette proposition : « le projet de texte prévoit que désormais les demandes seront déposées en mairie seulement s’il n’existe pas dans la commune où se trouve le domicile de secours du postulant, un service déconcentré de la DAS. Le CESC considère que ces dispositions sont de nature à créer un surcroît d’activité dans les antennes de la DAS faisant craindre un effet de file d’attente et un rallongement des délais d’instruction déjà trop longs (de 1 à 8 mois). »

Le RNS devient le régime par défaut

Le système change aussi de philosophie et le RNS devient le régime par défaut pour tous les non-salariés, en particulier les détenteurs de cartes ou licences professionnelles. Les nouveaux chômeurs seront aussi inscrits d’office au RNS, et devront cotiser au minimum 7 131 Fcfp par mois. Sauf s’ils montent un dossier de demande du RST, puisque le texte prévoit que dès la demande d’inscription, le RST couvre le demandeur.

Mais si un chômeur monte un dossier pour le RST qui est refusée par la solidarité territoriale, il sera obligé de rattraper tous ses mois de cotisation au RNS de retard. Ceux qui s’y refuseraient se retrouveraient sans couverture et devraient couvrir tous les frais médicaux de leur poche en cas de problème de santé ou d’accident.

Un cas de figure qui pourrait souvent apparaître puisqu’il sera plus difficile de s’inscrire au régime de solidarité. Le dossier à remplir sera plus complexe, avec de nouvelles pièces à fournir. Ainsi des relevés bancaires pour justifier de ses revenus pourraient être demandés. Et les avantages en nature, comme la valeur locative de son logement si le demandeur est hébergé gracieusement par un membre de sa famille, entreront désormais dans le calcul du revenu qui ne devra pas dépasser le plafond.

Pour l’instant ce plafond est de 87 000 Fcfp mensuel pour les célibataires comme les couples. Avec un peu de pêche et d’agriculture, en profitant de la maison familiale, le seuil sera vite dépassé, surtout dans les îles. Mais le texte prévoit qu’il puisse être relevé par arrêté ministériel, et surtout il voudrait enfin différencier le plafond des célibataires et celui des couples.


L’origine du problème

Les différents acteurs se renvoient la balle : le Pays accuse l’État d’avoir abandonné son devoir de solidarité, les partenaires sociaux et l’opposition soulignent le manque de financements territoriaux, et finalement la réforme s’attaque aux fraudeurs. Mais le fond du problème est le quasi doublement du nombre de bénéficiaires au RST depuis 2004, qui a fait exploser son coût de 18 à 27 milliards Fcfp en 10 ans.

En étudiant les effectifs du RST, il apparait que depuis 2004 (il y avait alors 45 000 bénéficiaires du régime) il y a eu deux phases d’augmentation. De 2004 à 2008 de nombreux célibataires sont sortis du RST et des familles y sont entrées, du coup les ayants droits (partenaires ou enfants) ont augmenté de plus de 9000 personnes même si les inscriptions restaient stables. Et depuis 2008, le fond du problème est la crise économique qui a décimé les effectifs du régime général. Les salariés cotisants ont ainsi baissé de 8000 personnes jusqu’en 2013. En additionnant leurs familles et les quelques 2000 jeunes qui ne parviennent pas à entrer sur le monde du travail chaque année, l’explosion de la hausse des bénéficiaires est presque entièrement expliquée.


La réforme proposée par le gouvernement

Selon les mots du rapport de l’Assemblée sur la proposition du gouvernement, les plus importantes mesures sont :
- pour rendre plus juste la répartition des financements, il est prévu l'institution de plafonds différents selon qu'il s'agit d'une personne seule ou d'un couple ;
- les bureaux de réception des admissions sont démultipliés en faveur d'administrations autres que les communes, et des arrêtés d'application imposeront notamment la production de relevés bancaires de l'année considérée pour vérifier la fiabilité des déclarations ;
- l'évaluation des ressources reprend les critères utilisés au R.N.S., et les avantages en nature sont calculés selon les mêmes bases que celles du R.G.S. ;
- en cas de fausses déclarations ou d'admissions abusives au R.S.T., les contrevenants sont automatiquement transférés au RNS avec effet rétroactif ;
- les contrôles et enquêtes sont renforcés avec de nouveaux instruments de vérification liés aux obligations de communication entre services du Pays, organismes de gestion, et autres ;
- la récupération des indus est organisée dans les mêmes conditions qu'au R.N.S., qui a prouvé son efficacité avec la mise en place à la CPS de cellules spécialisées ;
- un mécanisme de sanction est instauré pouvant aller jusqu'aux poursuites au pénal dans des conditions très sévères.

« Je suis indigné par ce texte »

Christian Vernaudon est délégué à la Charte Tahiti Nui 2015. Gaston Flosse l’avait chargé en 2003 de plancher sur l’évolution économique et sociale de la Polynésie. Dans ce cadre il a en particulier travaillé avec les partenaires sociaux sur les évolutions de notre système d’assurance santé :
« Je suis indigné par ce texte. Bien qu’il y ait des fraudeurs, ce texte va avant tout porter préjudice à des milliers de familles très modestes qui vont être victimes de cet objectif de vouloir chasser des milliers de familles du RST vers le RNS, ce qui créera encore plus d’injustices qu’il n’y en a actuellement. »

Il est aussi dubitatif sur l’aspect très répressif de la réforme : « Le texte dit qu’on va virer les soi-disant fraudeurs du RST, mais qui sont ces fraudeurs ? Il y a bien sûr les concubins de travailleurs souvent précaires affiliés au RGS, qui choisissent de s’inscrire au RST avec leurs enfants pour bénéficier de meilleures allocations familiales, 10 000 Fcfp par enfant au lieu de 7000 Fcfp. Il y a aussi les travailleurs au noir, souvent dans le BTP… Mais pourquoi ne veulent-ils pas être déclarés ? Au noir ils économisent 10% de leur salaire en cotisations, ils touchent plus pour leurs enfants et auront de toute façon un minimum vieillesse de 80 000 Fcfp, supérieur aux droits acquis pour sa retraite quand on travaille à temps partiel. Donc dans ce système tout incite à ne pas se déclarer, et c’est ça qu’il faut réformer. »


Rédigé par Jacques Franc de Ferrière le Lundi 28 Juillet 2014 à 17:15 | Lu 2224 fois