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Quand le juge devient conseiller conjugal


PAPEETE, le 3 mai 2018 - Ce matin devant le tribunal de police, les affaires de violences conjugales se sont succédées à la barre. Pendant une dizaine d'affaires, le juge s'est évertué à expliquer aux femmes maltraitées qu'elles peuvent quitter leurs compagnons violents...

Le juge unique du tribunal de police de Papeete traite les "petites" affaires pénales. Violences sans armes, consommation de drogue, infractions routières.... Ce jeudi 3 mai, le hasard voulait que ce soient les affaires de violences sur conjoint qui prédominaient, avec une dizaine d'affaires à juger.

Le schéma était sensiblement le même à chaque fois : une dispute qui tourne mal, des coups donnés, et pour finir, une plainte à la gendarmerie. Et quand le juge demande à la femme agressée si elle a quitté son compagnon, elle lui explique non, ils se sont réconciliés...

Prenons l'exemple du couple T., de Moorea, pour une affaire remontant à octobre 2016. Madame devant amener son bébé à l'hôpital à Tahiti, elle réveille son compagnon et lui demande de garder le nourrisson de six mois pendant qu'elle prend sa douche. Levé du pied gauche, le compagnon s'énerve et pose "violemment" le bébé dans son porte-bébé sur la table. Une dispute commence, la femme prend une claque, elle riposte par un coup de poing, et se prend une deuxième claque qui lui laisse un hématome aux cervicales et un tympan percé. La tante de cette jeune femme qui avait dormi là confirme la scène aux gendarmes, ajoutant que le couple était de gros consommateurs d'alcool et de paka.

Quand le juge demande à la jeune femme si elle a quitté son compagnon, elle explique que non, ils sont toujours ensembles. "On se dispute et après on se réconcilie". Elle explique également qu'il continue de lui mettre des baffes quand il s'énerve... Et elle porte plainte régulièrement. Quand le juge essaie de lui expliquer qu'il est illogique de porter plainte encore et encore, mais de rester avec son tane violent malgré tout, elle ne sait pas quoi répondre...

Malgré tout, elle s'est constituée partie civile dans l'affaire jugée ce jeudi, demandant 1 franc symbolique de dommages et intérêts... Ce que le juge lui accorde, en condamnant aussi le compagnon violent à 2 mois de prison avec sursis. Ce dernier, qui ne nie nullement les faits, explique au juge avoir arrêté le paka et réduit sa consommation d'alcool, et qu'il se comportera mieux désormais... Le magistrat essaie de lui faire comprendre à lui aussi que de frapper sa femme à chaque dispute se terminera par un malheur et par un long séjour en prison. Le couple est finalement reparti ensemble, sous le regard inquiet du juge.

UNE AFFAIRE D'HOMME BATTU

Mais il y a des exceptions à ce scénario ultra-classique. Ainsi, l'affaire d'un homme qui avait porté plainte contre sa compagne violente. Dans une folle colère, elle l'avait roué de coups (il s'était défendu comme il pouvait sans riposter) puis, n'arrivant pas lui faire vraiment mal, avait dévasté sa maison. Une des différences avec les autres affaires de femmes battues étudiées le même jour est que la femme violente s'est retrouvée à la porte du domicile conjugal, et que le couple ne s'est pas reformé. Elle avait en plus été condamnée à 100 000 francs de dommages et intérêts et 25 000 francs d'amende en 2017.

Comme elle n'arrivait pas à payer ces sommes, désormais sans autres revenus qu'une indemnité Cotorep, elle se retrouvait à nouveau devant le tribunal ce jeudi matin. Le juge l'a condamnée à trois mois de prison avec sursis pour le non-paiement des 125 000 francs, en notant que le premier jugement avait de toute façon été très clément : "au vu du dossier et de la violence des faits, nul doute que si les sexes de la victime et de l'agresseur étaient inversés, la peine aurait été bien plus sévère."

Rédigé par Jacques Franc de Ferrière le Jeudi 3 Mai 2018 à 17:46 | Lu 3578 fois