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Pitbull, Rottweiler... Molosses à vendre sur le web


PAPEETE, le 31 janvier 2018 - Rottweiler, pitbull, croisés…sont soumis à une réglementation très stricte. S'ils risquent de la prison ferme et jusqu'à 2 millions de francs d'amende, très peu de propriétaires respectent la loi. Bien que strictement interdits, la vente et les échanges de molosses sur les réseaux sociaux sont en forte augmentation. Les associations tirent la sonnette d'alarme.

Les annonces de vente de pitbull, croisés rottweiler ou croisés amstaff [american staffordshire terrier, NDLR] se multiplient sur les réseaux sociaux. Les demandes d'achat ou d'adoption de ce genre de chiens aussi. Les groupes privés destinés aux amateurs de molosses en Polynésie sont de plus en plus nombreux. "En ce moment, c'est la mode du pit, du rednose. J'ai constaté une forte augmentation des demandes de molosses sur les réseaux sociaux. Généralement, quand je vois ce genre d'annonces sur les réseaux sociaux, je laisse un petit commentaire qui ne plaît pas où je fais un rappel de la loi en indiquant que ces chiens sont interdits à la reproduction et à la vente", constate Carole Couturier présidente de l'Alliance pour le respect et la protection des animaux de Polynésie (l'Arpap).

En effet, les "chiens de race American Staffordshire terrier (chiens communément appelés "pit-bulls")", tout comme les "chiens assimilables par leurs caractéristiques morphologiques aux chiens de race Rottweiler, sans être inscrits sur un livre généalogique reconnu par la fédération cynologique internationale" sont considérés comme des chiens de première catégorie.

Ainsi, tous les croisés "pit", "amstaff" ou Rottweilers sont strictement interdits à l'achat, à la vente et même au don. Ils sont également prohibés à l'importation et à l'introduction sur le territoire. Sans compter que ces molosses ont pour obligation d'être identifiés et stérilisés "par voie chirurgicale et de manière irréversible". Par ailleurs, ces chiens n'ont pas le droit de circuler sur la voie publique sans muselière. La détention de ces animaux est soumise à plusieurs conditions. Les propriétaires de ce type de molosses doivent être titulaires d'une attestation d'aptitude, d'un permis de détention et le chien doit être soumis à une évaluation comportementale.

Or, il suffit de marcher dans les rues de Tahiti pour constater que cette réglementation, aussi sévère soit-elle, n'est absolument pas respectée. Il est très fréquent de voir des chiens en divagation correspondre aux critères d'un chien de première catégorie. Franck Duranteau, seul éducateur canin habilité à délivrer une attestation d'aptitude pour les chiens de première et seconde catégorie sur le territoire tient à rappeler qu'"il est très rare que les pitbulls que l'on voit traîner dans les rues soient des chiens errants. Ils ont tous un propriétaire qui les laisse divaguer quand ils vont au travail. Très peu sont en règle, encore moins sont identifiés et stérilisés."

"Des chiens qui ont besoin d'un cadre éducatif strict"

Il poursuit : "Les chiens de catégorie 1 et 2 ne sont pas plus dangereux que les autres. Pour moi, bichon, berger allemand ou pitbull…, ils ont tous le même caractère. Ce n'est pas les chiens qu'il faut diaboliser, mais il faut rappeler que le pitbull est né de croisements pour faire des chiens de combat. Ce sont des chiens d'un naturel bagarreur, ce sont des tueurs de congénères", indique le spécialiste. Le Pitbull est l'un des types de chiens à la mâchoire la plus puissante, capable d'exercer une pression de près de 160 kilos par centimètre carré. "Il faut garder en tête que ce sont des chiens qui ont besoin d'un cadre éducatif strict. Ils ont un caractère de chien d'attaque plutôt que de chien défendant. Aujourd'hui, il y a des gens qui vendent, mais il y a aussi beaucoup de gens qui donnent. Or, on sait que les chiens ici sont rarement éduqués, rarement cadrés et souvent livrés à eux même. Ils sont souvent divagants. Même s'ils sont mignons étant chiots, adultes, ils risquent de devenir dangereux. Je crains qu'à terme les attaques et les accidents se multiplient si le cadre légal n'est pas mieux appliqué", s'inquiète Carole Couturier. "Le cadre légal existe et il est sévère, mais personne ne prend la peine de le faire appliquer", rappelle-t-elle.

Le parquet porte "une attention particulière" à la question

Là encore, sur les réseaux sociaux, les plaintes d'une partie de la population remontent. Un commentaire indique : "J'ai signalé à la gendarmerie des pitbulls agressifs dans mon quartier, c'est limite s'ils ne m'ont pas ri au nez". Les associations de protection animale du territoire vont dans le même sens : "Quand on signale des chiens non identifiés ou des chiots pitbull en vente sur les réseaux sociaux, les forces de l'ordre refusent presque de prendre nos signalements". Le vice-procureur de la République, Michel Bonnieu répond : "Les associations signalent cela à la gendarmerie, mais elles se trompent d'interlocuteurs. Il vaudrait mieux, peut-être, le signaler au procureur. Il faudrait inviter les associations, si elles considèrent qu'il y a quelque chose qui présente un danger pour les personnes et qui est en contravention avec la loi pénale, a informer le procureur qui, à ce moment-là, diligentera une enquête. On ne peut pas partir d'un simple signalement fait par une association qui n'a aucun intérêt à agir, qui n'est même pas légitime à agir, c'est la porte ouverte à toutes les dénonciations…" Le procureur indique néanmoins que les attaques de chiens sont devenues un sujet d'attention du parquet : "En Polynésie, le parquet, sous l'impulsion du procureur de la République, M. Leroy, a décidé de porter une attention particulière à tout ce qui est blessure involontaire résultant d'une agression par un chien. La raison est très simple : c'est qu'il y a énormément de propriétaires qui se procurent des chiens et qui les dressent à devenir gardiens de leur propriété, soit parce qu'ils ont peur de devenir victimes de vol ou d'autres agressions, soit parce qu'ils ont été victimes à l'intérieur de leur propriété. Ce n'est pas interdit par la loi, sauf qu'ils utilisent le chien comme une arme par destination. Cela n'est pas tolérable. C'est pourquoi le parquet a décidé de poursuivre les faits d'agression par un chien, d'autant plus que souvent, ces agressions se passent à l'extérieur du domaine privé."

Une législation qui n'est ni appliquée, ni respectée

Les sanctions prévues pour non-respect de la réglementation sont lourdes, la non-stérilisation d'un chien de première catégorie (pitbull par exemple) est passible de six mois d'emprisonnement et de 1 789 900 francs d'amende ; ne pas avoir procédé à l'identification de l'animal est passible de 50 000 francs d'amende ; le défaut de permis de détention est quant à lui passible de 89 498 francs d'amendes ; une personne qui vend ou donne un chiot croisé rottweiler ou amstaf ou d'un pitbull risque jusqu'à six mois d'incarcération et 1 789 900 francs d'amende. Cependant, on note quotidiennement les manquements à la loi. En effet, les annonces de vente et donc de chiot de catégorie 1 se multiplient sur les réseaux sociaux et les pitbulls et autres chiens d'attaques en divagation sont de plus en plus visibles dans les quartiers. D'ailleurs, à ce sujet aussi, les témoignages se multiplient : "J'ai arrêté d'aller faire mon footing après m'être fait courser par un molosse", raconte Caroline. "J'étais en week-end à la Presqu'île et je me suis fait sauter dessus par un pitbull en me promenant", raconte un autre témoignage. "Je n'ose pas aller me balader de peur de croiser un chien dans la rue", les témoignages abondent. Il est légitime de se demander s'il est normal que des personnes lambda renoncent à aller se balader dans leur quartier de peur de se faire attaquer par un des chiens de leurs voisins. Pourquoi la loi n'est-elle pas respectée, et pire, pourquoi n'est-elle pas appliquée ?

C'est sans compter sur l'irresponsabilité de certains propriétaires qui abandonnent leurs chiens à la moindre complication. "Nous avons constaté qu'il commence à y avoir des pitbull et des croisés abandonnés... C'est encore assez rares, mais comme ce sont des chiens qui ont souvent des problèmes de peaux, qui sont nerveux et caractériels, dès qu'ils commencent à être encombrants, la solution de faciliter est quand même de s'en débarrasser." Raconte Flavie, présidente de l'association SPAP. Elle ajoute : "Là encore, le problème ne vient pas de l'animal. Ce ne sont pas des chiens plus dangereux qu'un bichon ou un caniche s'ils sont bien dressés. Le problème, c'est l'irresponsabilité des propriétaires. La solution n'est pas non plus de les garder attachés ou enfermer toute la journée, ça en fait des animaux agressifs. Ils doivent être dressés."

La responsabilité des municipalités

Le vice procureur ajoute : "La première responsabilité est celle de la municipalité et du maire qui ont un service, qui, normalement, s'occupent du ramassage des chiens errants qui sont dangereux parce que des personnes ont porté plaintes et le propriétaire n'est pas identifié. Quand cela ne marche pas et qu'il y a des blessures involontaires et que le chien est identifié, on est tenu par la loi pénale. C'est l'article 222-20 du Code pénal qui prévoit une peine de deux ans à cinq ans d'emprisonnement. Le parquet intervient en bout de chaîne".

Franck Duranteau confirme les déclarations du vice-procureur. Pour lui, cette situation est de la responsabilité des municipalités qui ne prennent pas d'arrêtés et qui fixent parfois à seulement 1 500 francs les amendes pour divagations animales. "Ce n'est pas assez dissuasif! Il faut toucher au portefeuille. Les policiers municipaux ne font pas appliquer la réglementation sur l'identification et l'interdiction de la divagation de ces chiens. Il n'est pas logique que quand ils voient un chien de type pitbull divaguer, ils ne demandent pas les papiers du chien aux propriétaires. Il est inadmissible qu'ils ne verbalisent pas les propriétaires des molosses quand ils constatent une infraction. Parfois, les policiers municipaux eux-mêmes ne respectent pas la loi." "Sans oublier que si certains vétérinaires font gentiment un rappel à la loi quand ils voient un chien de catégorie 1 ou des chiots de type pitbull, d'autres ferment carrément les yeux", ajoute-t-il.

S'il est vrai que quand un propriétaire souhaite être dans les règles cela lui coûte environ 100 000 francs de faire tous les papiers, la stérilisation, l'identification et les différents certificats, adopter un chien d'attaque ne peut pas se faire à la légère. L'éducateur canin constate que "l'an dernier, j'ai dû, en tout et pour tout, faire une petite dizaine d'attestations d'aptitudes pour des chiens de première et deuxième catégorie. Quand on voit le nombre de molosses qui traînent dans les rues, c'est ridicule."

Les principales dispositions du code rural ICI
Les formulaires et listes à remplir : ICI
Les Dossiers applicables ICI
La réglementation applicable aux chiens de 1ère et de 2ème catégoriesICI

Rédigé par Marie Caroline Carrère le Mercredi 31 Janvier 2018 à 21:00 | Lu 6110 fois