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Philippe Raust : " Nous avons perdu plus d'espèces qu'il n'en existe aujourd'hui "


Philippe Raust, ancien vétérinaire, est le vice-président de Manu dont il a participé à la création.
Philippe Raust, ancien vétérinaire, est le vice-président de Manu dont il a participé à la création.
PAPEETE, le 12 juillet 2017 - Une nouvelle étude sur l'érosion de la biodiversité dans le monde a été publiée et relayée par le journal Le Monde ce lundi. La Polynésie française n'échappe pas à ce qui est qualifié par les chercheurs "d'anéantissement biologique". Philippe Raust, vétérinaire à la retraite et vice-président de la Société d'ornithologie de Polynésie, Manu, fait le point.

L'étude publiée par le PNAS et relayée par le journal Le Monde en début de semaine, est assez alarmante. Qu'en est-il de la Polynésie ?


En Polynésie, il y a toujours eu et il y aura toujours des risques d'extinction et de diminution de certaines espèces. Dans les îles, cela concerne notamment les oiseaux. La biologie terrestre a été impactée dès l'arrivée de l'homme. L'homme est responsable de la diminution du nombre d'oiseaux pouvant mener jusqu'à leur extinction. La plupart de ces extinctions se sont produites il y a moins de 1000 ans.

Combien d'espèces ont disparu en Polynésie ?


Aujourd'hui, il y a environ 33 espèces d'oiseaux terrestres sur l'ensemble de la Polynésie. Nous savons que nous avons perdu plus d'espèces qu'il n'en existe aujourd'hui. Avant, il y en avait au moins une cinquantaine connue. Deux faits principaux sont responsables de ces extinctions : l'arrivée des Polynésiens et celle des colons. Enfin, avant, il y avait de très grandes colonies d'oiseaux de mer. Elles sont aujourd'hui réduites.

De quelle manière l'homme a-t-il participé à l'extinction de ces espèces ?


Les hommes chassaient les oiseaux pour se nourrir ou pour leur plumage. Ensuite, ils ont modifié l'habitat de ces animaux en détruisant les forêts pour cultiver des champs à la place. La déforestation a beaucoup pesé dans la balance car tous les oiseaux terrestres vivaient dans les forêts. Enfin, les hommes ont amené avec eux des rats, cochons et chiens, qui ont fait des dégâts. Quand les Européens sont arrivés ils ont amené avec eux un nouveau cortège d'espèces : le chat, gros chasseur d'oiseaux, le rat noir, le bétail qui modifie l'environnement…

Comment les choses évoluent-elles aujourd'hui ?


En Polynésie, nous avons eu des extinctions d'oiseaux jusque dans les années 1980, comme le monarque des Marquises par exemple. En 1990, nous avons créé la société d'ornithologie. A partir de là, nous avons monté des opérations de sauvegarde des espèces et depuis, il n'y a pas eu d'extinction. Nous en avons eu quelques unes qui ne sont pas passées loin, et nous en avons toujours une qui est sur le fil.

Laquelle ?

Le monarque de Fatu Hiva. Il y avait le monarque de Tahiti qui était très menacé. Nous avions repéré une douzaine d'oiseaux dans les années 90 et aujourd'hui on en a 50. A l'association Manu, nous essayons de faire en sorte que ces extinctions soient stoppées et d'augmenter la population de ces oiseaux.

Comment faites-vous ?


Aujourd'hui, le vrai problème en Polynésie est les espèces envahissantes qui ont été importées par l'homme. Donc si ce sont les rats, on tue des rats. Ce n'est pas rigolo mais ça marche.

Avez-vous un exemple ?


Nous avons travaillé dans les vallées où se trouve le monarque de Tahiti. Depuis qu'il n'y a plus de rats, la population des monarques a augmenté. Nous retirons aussi des oiseaux introduits qui sont agressifs envers les oiseaux terrestres. Par exemple, les merles (ou martins tristes), beaucoup de gens croient que ce sont des oiseaux tahitiens, mais ce n'est pas le cas du tout. Il y aussi les bulbuls. Ces deux oiseaux sont très agressifs vis-à-vis des espèces endémiques, qui ne sont pas habitués à avoir des compétiteurs. Et puis, à la fin des années 1800, un rapace a été introduit pour manger des rats mais il s'attaque aussi aux oiseaux. Il n'a pas lu le contrat jusqu'au bout, avec la clause à la fin où il était indiqué qu'il ne devait pas manger les petits oiseaux…

En Polynésie, il y a aussi des espèces d'escargot qui sont menacées, n'est-ce pas ?

Il y a un groupe d'escargots terrestres qui avait vécu la plus grosse extinction sur ces 30 à 40 dernières années. Il n'y a quasiment plus d'escargots endémiques. Aujourd'hui, on réintroduit un peu de ces escargots au fenua mais c'est difficile car il reste encore des escargots cannibales. Cette espèce a été introduite pour manger les escargots d'Afrique. Ces escargots avaient été amenés à Tahiti car ils étaient gros et pouvaient être mangés. Sauf qu'ils se sont répandus dans les cultures et mangeaient les salades et les autres légumes.

Comment voyez-vous l'avenir pour la faune en Polynésie française ?

L'homme est le problème mais il est en même temps la solution. Quand on a bien identifié les menaces, on peut agir. Par exemple, avec les rats, nous avons pu agir pour faire des opérations de dératisation permanentes là où il y a des monarques. La Nouvelle-Zélande a un plan pour se débarrasser de ces espèces envahissantes d'ici 2050. Ce sont des spécialistes en la matière et nous travaillons avec eux. Cela nous servira à nous, pour des îles comme Tahiti, si on devait se lancer là-dedans.

Pour en savoir plus

Lire l'article du Monde

La liste rouge des espèces menacées en France

Le point sur les escargots menacés avec l'expert de la question, le généticien Trevor Coote : Les bains de soleil : secret de survie pour escargots tahitiens

Le site de Manu : www.manu.pf

Rédigé par Amelie David le Mercredi 12 Juillet 2017 à 16:18 | Lu 2813 fois